Un projet de recherche-action pour mieux penser l’accueil en tenant compte des échecs et des expériences étrangères.
C’est à partir de 2015 que les camps, bidonvilles et autres squats se sont multipliés en France et que la crise de l’accueil des migrants a pris une visibilité nouvelle. Ces lieux « autres » sont apparus car ils remédiaient au défaut de politiques d’accueil des migrants par les pouvoirs publics. Par-delà la volonté d’accueillir ou pas de l’État, dont c’est la prérogative, il est apparu que, dans un contexte de faiblesse de la puissance publique, c’était surtout une pensée de l’accueil qui devait être mise en place, les politiques architecturales et urbaines classiques étant singulièrement désarmées pour trouver des solutions qui dépassent les camps, tels qu’ils avaient été imaginés dans les années 1930.
C’est ainsi que même le camp humanitaire de Grande-Synthe, conçu et construit avec la meilleure volonté du monde par la mairie et Médecins sans frontières, a fini par être incendié par certains de ses habitants, tant les conditions d’accueil ne correspondaient plus à leurs besoins humains fondamentaux.
Le projet de recherche-action sur la ville accueillante
C’est de ce triste constat qu’est né le projet de recherche-action sur la ville accueillante, financé par le plan urbanisme construction architecture (PUCA) et la ville de Grande-Synthe. Une équipe pluridisciplinaire a réuni plusieurs spécialistes de la question – humanitaires, architectes, urbaniste, sociologue, géographe, anthropologue… – pour constituer un ouvrage qui serait tout à la fois un ouvrage de fond et un manuel sur ce que pourrait être une ville accueillante. Il a été publié en octobre 2018 aux éditions du PUCA (https://www.cerema.fr/fr/centre-ressources/boutique/ville-accueillante-accueillir-grande-synthe-puca).
La recherche démarre par une analyse précise de ce qui s’est passé à Grande-Synthe pour ensuite proposer un certain nombre de scénarios. C’est ainsi qu’est apparue la nécessité de se donner de nouveaux outils d’analyse, plus centrés sur les besoins humains. Alors que l’on croyait jusque-là que les besoins fondamentaux se limitaient à tout ce qui est physiologique (manger, dormir, se laver, pouvoir aller aux toilettes…), on comprend aujourd’hui que ces besoins sont beaucoup plus larges et qu’on ne peut se contenter de ne satisfaire que les premiers : en effet, la reconnaissance, la cohérence, l’échange, la réflexion, l’affection sont aussi fondamentaux que les besoins physiologiques et toute réponse faisant l’impasse sur ces questions est incomplète et même génératrice de troubles personnels profonds. Il est important de se donner des indicateurs sur ces sujets pour pouvoir avoir un cadre d’évaluation de la réponse proposée.
« La participation et l’information de tous sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais et ce qui vaut pour les villes vaut bien évidemment pour tous les lieux d’accueil. »
Il est également nécessaire de dépasser les réponses s’appuyant uniquement sur la fourniture de services dont les bénéficiaires seraient les receveurs passifs. C’est quand le camp de Grande-Synthe a été confié à une association habituée à gérer des maisons de retraite qu’un état d’esprit délétère pour les exilés est apparu. Alors qu’auparavant ils participaient activement aux tâches de cuisine, de nettoyage et d’entretien des lieux, de sécurisation, la réalisation de celles-ci exclusivement par des professionnels a entraîné tout à la fois une moindre qualité de service (tant la tâche était immense alors que les moyens ne suivaient pas) mais surtout, ce qui est pire, un désinvestissement, un désintéressement des habitants pour des questions qui les concernaient pourtant au premier plan. La participation et l’information de tous sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais et ce qui vaut pour les villes vaut bien évidemment pour tous les lieux d’accueil.
La prise en compte d’expériences
Cette recherche s’est enrichie également de l’observation de ce qui se passe dans d’autres villes européennes et mondiales.
à Stuttgart, les camps, bien que construits en bâtiments modulaires, sont conçus comme des quartiers de ville, ne sont pas fermés du tout, sont situés au centre des bourgs, et on n’y voit ni vigiles ni gardes. L’autogestion des habitants en partenariat avec les villes fixe le fonctionnement quotidien des lieux.
« Il est nécessaire de dépasser les réponses s’appuyant uniquement sur la fourniture de services dont les bénéficiaires seraient les receveurs passifs. »
Dans le « village d’accueil » de Kara Tepe, à Lesbos, tout a été pensé pour que le nouveau quartier soit le vecteur d’activités économiques locales aussi bien pour les nouveaux que les anciens habitants de la petite ville de Mytilène.
à Mayotte, on a cessé de parler de bidonvilles, mais plutôt de « quartiers spontanés », avec toute la différence sémiologique portée par ces termes. Les politiques de destruction sont remplacées peu à peu par des politiques de requalification urbaine.
à Stuttgart, encore, des immeubles partagés ont été construits pour accueillir aussi bien des réfugiés que des Allemands ; tout y a été mis en place pour favoriser les activités en commun de tous à Athènes, la ville a opté pour un faisceau de solutions pour l’accueil, reconnaissant notamment la gestion de squats par des mouvements politiques comme faisant partie de la réponse…
En France, des villes se sont réunies dans l’Association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA) pour essayer de se fédérer et de mettre en commun une certaine culture et des expériences vécues. On y trouve entre autres les villes de Grande-Synthe, Ivry, Nantes, Strasbourg, Briançon, Grenoble, Saint-Denis, Montreuil…
La ville accueillante serait-elle l’occasion de revitaliser et de renouveler les politiques urbaines pour tous ?
Cyrille Hanappe est architecte. Il est maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture Paris-Belleville.
Cause commune n° 10 • mars/avril 2019