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L’Organisation internationale du travail élabore des normes internationales du droit du travail et syndical. C’est un cadre d’expérimentation de la démocratie sociale et de la solidarité de classe internationale à investir.

Le Parti communiste français reconnaît et affirme le rôle central que doit jouer l’Organisation des Nations unies (ONU) comme organisme international de résolution des conflits et garant de la paix. Face aux critiques sur le fonctionnement de l’organisation et notamment de son conseil de sécurité, il nous faut définir le rôle que nous devons jouer dans sa démocratisation. L’alternative serait de laisser la sécurité au cadre d’analyse nationale ou aux alliances militaires et clubs transnationaux restreints, tel le G7. Quand nous examinons le rôle des Nations unies, il nous faut cependant ne pas oublier ses prérogatives sociales qui sont tout aussi importantes pour la préservation de la paix que le développement des populations. Une de ses institutions spécialisées, la plus ancienne, sort alors du lot, l’Organisation internationale du travail (OIT).

Histoire de l’OIT
Seule organisation internationale survivante de l’entre-deux-guerres, elle intègre l’ONU dont elle est la doyenne en 1946. L’OIT a pour but d’institutionnaliser la négociation tripartite entre les États, les syndicats et le patronat, pour l’élaboration de normes internationales du droit du travail et syndical. L’organisation a été (et peut continuer à être) le cadre d’une expérimentation de la démocratie sociale et de la solidarité de classe internationale.
Née en 1919 dans le cadre du traité de Versailles, l’OIT devient l’organisme multilatéral chargé de définir les normes internationales en matière de droit du travail et de droit syndical. Sa structure tripartite en fait une anomalie. Les gouvernements y sont représentés, leur voix compte même double, mais ils sont flanqués des représentants des organisations syndicales et patronales de chaque pays avec leur propre droit de vote. Cela en fait de facto une institution plus avancée que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en France où les voix des organisations syndicales (et patronales, associatives, etc.) sont seulement consultatives dans le processus législatif.
La pression géopolitique faisant suite à la révolution bolchevique et à l’avènement de républiques socialistes n'est pas pour rien dans la création de l’OIT. La mise en place d’une institution défendant les droits des travailleurs et des syndicats ainsi que l’institutionnalisation d’une forme de démocratie sociale font partie des mesures pour détourner la classe travailleuse de toute tentation vers le communisme au prix de concessions sociales. Dans ce cadre, la représentation de la classe bourgeoise est elle-même institutionnalisée, elle devient un partenaire social au même titre que les travailleurs, amenant l’organisation à se fondre dans un rapport de classe capitaliste. Cette structure rendra d’ailleurs problématique l’intégration future des pays socialistes au-delà des questions géopolitiques, car ceux-ci n’ont pas de classe bourgeoise, ou du moins ne reconnaissent pas toujours sa légitimité politique.
La Fédération syndicale internationale (FSI) sociale-démocrate fait, pendant l’entre-deux-guerres, de son activité au sein de l’OIT un axe principal de sa stratégie. En effet, dès sa première conférence, l’organisation adopte des conventions avant-gardistes sur la semaine de 40 heures, le droit au chômage et le congé maternité. La FSI prise en étau entre d’importantes avancées idéologiques entérinées au sein de normes internationales, et la réticence concrète des états à ratifier les conventions, se fait le chantre d’une organisation indépendante et audible. Aujourd'hui encore, l'activité de lobbying exercée par les fédérations syndicales internationales auprès de l'OIT reste déterminante. Ceci explique que nombre d’entre elles ont leur siège à Genève ou aux alentours, comme c’est le cas pour l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois, IndustriALL Global Union, ou l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation.

« Huit conventions, ratifiées ou non par les gouvernements membres, couvrant : le travail des enfants, le travail forcé, la discrimination professionnelle, le droit de se syndiquer, de négocier, et de faire grève, sont devenues obligatoires depuis 1998. »

Comme nous le voyons, l’histoire de l’OIT est profondément liée à la social-démocratie et à un anticommunisme. De plus, la structure actuelle de l’OIT pose un problème pour nombre de raisons. Son fonctionnement dépend des ressources des États membres, notamment, comme pour l’ONU, des États-Unis, ce qui la rend très vulnérable aux aléas et intérêts politiques de ce pays impérialiste.
De plus, ses conventions n’ont pas vocation à être universelles dans leur application, chaque gouvernement choisissant s’il veut ratifier tel ou tel texte. L'organisation n’a d’ailleurs que très peu de moyens de coercition dans le cas de violation de traités ratifiés. Finalement, l’organisation permet la coordination politique du patronat mondial qui, depuis des années, essaye de revenir sur le droit de grève entériné dans la jurisprudence de l’organisation.

Investir l’OIT
Loin de justifier une condamnation ou un abandon pur et simple de l’OIT, cela invite au contraire à l’investir plus fortement encore. L’organisation reste en effet par sa composition même l’émanation des rapports de classe mondiaux et leur traduction juridique et institutionnelle. Ceci est salvateur dans des moments de faiblesse localisée des organisations de la classe travailleuse. Ainsi, en temps de guerre civile, les travailleurs du Myanmar ou du Soudan peuvent compter sur un soutien international contre la répression à laquelle se livre contre eux leur propre État. Elle permet une solidarité des syndicats du monde entier par-delà les confédérations, dans une coordination profonde des avancées prioritaires du monde du travail. Elle accorde aussi une voix prépondérante aux syndicats du Sud global dans les choix stratégiques, ce qui n’est pas toujours le cas au sein des fédérations internationales. Pour aller plus loin, la question de la représentativité des travailleurs non organisés est elle-même posée de manière régulière, dernièrement en 2011 avec la convention sur les travailleurs domestiques.
En 1998, l’OIT adopte la déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Cette déclaration rend huit des conventions obligatoires, qu’elles aient été ratifiées ou non par les gouvernements membres, en raison du simple fait qu’ils sont membres de l’organisation. Ces huit conventions couvrent le travail des enfants, le travail forcé, la discrimination professionnelle, et surtout le droit de se syndiquer, de négocier, et de faire grève. Cette innovation majeure, où l’organisation prend entre ses mains le caractère non négociable du droit international qu’elle crée, doit être une source d’inspiration pour des réformes futures profondes du droit du travail international et pour l’harmonisation vers le haut des régimes nationaux. Bernard Thibault, ancien secrétaire général de la CGT et administrateur de l’OIT pendant sept ans, revient par exemple sur l’événement marquant que fut l’adoption en 2019 de la convention contre les violences et le harcèlement au travail (L’Humanité du 3 juillet 2021). Avec la moitié des votes, les états ont bien sûr un rôle majeur à jouer dans la direction que prend l’organisation. L’OIT, comme l’ONU, n’est pas un organisme distant et aveugle mais un champ de bataille de la lutte de classes, qu’il ne faut pas hésiter à investir, que ce soit dans notre discours politique ou dans notre programme concret de gestion de l’État une fois au pouvoir.

Alex Desbordes est responsable de l'activité dans les entreprises au sein de la fédération de Paris du PCF.

Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024