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La crise économique internationale précipitée par la covid-19 est une crise majeure de la mondialisation capitaliste telle qu’elle s’est construite depuis les années 1980.

Les comparaisons historiques ne sont désormais plus à chercher dans la crise de 2008 mais dans celle de 1929, et les besoins de reconstruction pour les peuples dans ceux de l’immédiat après-guerre. Cela frappe de plein fouet la construction néolibérale de l’Union européenne (UE) telle qu’elle s’est dessinée depuis l’acte unique de 1986, soubassement des traités libéraux qui l’ont suivi, et qui a fait de l’UE un outil de la mondialisation capitaliste. Cette crise n’éclate évidemment pas dans un ciel serein mais dans une UE dont les éléments centrifuges et la crise de perspective étaient patents depuis plusieurs années. Par ailleurs, les politiques austéritaires européennes et les contraintes budgétaires portent une très lourde responsabilité dans la dislocation des systèmes publics de santé. La commission européenne n’a-t-elle pas demandé à soixante-trois reprises aux États membres de baisser leurs dépenses de santé ? La crise de l’UE n’est donc pas conjoncturelle, mais structurelle.

Alors, oui, des brèches sont ouvertes
Les classes dirigeantes européennes sont bien obligées de « suspendre » le pacte de stabilité et de croissance. C’est un acte important, mais qui touche un cadre général que certains États ne s’étaient pas privés par le passé de remettre en cause, et non des moindres, comme la France et l’Allemagne en 2000. Le recours au mécanisme européen de stabilité (MES) se fait certes selon des procédures allégées mais les États demeurent soumis à un examen de la soutenabilité de leur dette qui donne au MES la possibilité d’exiger des mesures supplémentaires pour la rembourser.
Pour éviter que la crise historique de l’UE n’emporte avec elle toute idée de solidarité entre les peuples d’Europe, la gauche européenne a devant elle une responsabilité majeure. Celle de travailler à des orientations concrètes qui puissent dégager des majorités sociales et politiques au sein des peuples et des nations européennes en combinant respect de leur souveraineté et intérêts communs.
Beaucoup de choses ont été écrites sur les mesures immédiates en matière de financement des systèmes de santé, en réorientant les efforts financiers de la BCE. Soulignons l’importance de la pétition internationale lancée à l’initiative de Paolo Ferrero et de Frédéric Boccara « L’argent de la BCE pour la santé, pas pour le capital » adressée à la commission européenne(1). Les aides européennes ne peuvent pas se faire en s’appuyant sur l’endettement accru des États sur les marchés financiers, ni sur une quelconque conditionnalité budgétaire.

D’autres coopérations entre les peuples et les nations de l’UE sont possibles
Au-delà de ces mesures immédiates et en s’appuyant sur elles, il est possible de dégager quelques axes qui enfoncent les brèches ouvertes et qui donnent à voir d’autres coopérations entre les peuples et les nations de l’UE.
1- La fin de l’austérité européenne et la refonte de l’économie politique
La « suspension » du pacte de stabilité et de croissance appelle d’autres mesures, notamment l’abolition du semestre européen et des différents mécanismes de contrôle des budgets européens qui ont été introduits en 2011-2012 pour resserrer le corset austéritaire, les bourgeoisies européennes appliquant le principe « Nous sommes face au gouffre, il est temps de faire un grand pas en avant ». De même, la réorientation d’urgence des efforts de création monétaire de la BCE appelle la mise en place d’un fonds pour financer les services publics et une politique d’investissements en prêtant aux États à taux négatif ; et, pour être à la hauteur des exigences de la situation, les objectifs statutaires de la BCE, actuellement orientés uniquement vers la seule maîtrise de l’inflation dans la plus pure orthodoxie monétariste, doivent être revus en profondeur et y inclure le développement économique, la reconversion écologique et des emplois de qualité. Et la BCE placée sous contrôle du parlement européen et des parlements nationaux.

2- Les relocalisations pour l’emploi et la transition écologique
Il est nécessaire que les États européens s’engagent à la relocalisation des industries stratégiques, liées notamment, mais pas exclusivement, à la santé. La remise en cause des chaînes de production et de valeur établies au niveau international dans le cadre de la mondialisation capitaliste pose la question de la relocalisation à l’échelle régionale européenne. Ce serait évidemment bénéfique pour l’emploi et permettrait en outre de poser la question du modèle de développement dans le cadre de la transition écologique.

« Les politiques austéritaires européennes et les contraintes budgétaires portent une très lourde responsabilité dans la dislocation des systèmes publics de santé. »

3- L’annulation de la dette publique
La dette publique est un instrument de domination sur les peuples. Les États européens vont être confrontés à au moins dix points de PIB de dette publique supplémentaires à la fin de l’année. Un processus de renégociation des dettes publiques (les intérêts et les montants) est urgent pour réorienter les ressources mises sur le remboursement de la dette vers les dépenses économiques et sociales. Cela passe par un moratoire généralisé sur le remboursement des dettes publiques en Europe afin de pouvoir en identifier la partie illégitime et l’annuler. La question d’une conférence européenne sur la dette est donc à nouveau posée. Cela vaut également pour la dette que les États européens détiennent sur les États africains.

4- L’alignement vers le haut des droits des travailleuses et des travailleurs.
Le droit du travail est particulièrement attaqué dans un certain nombre de pays européens, notamment en France. Un pacte protégeant les mesures sociales prises par les États membres pour l’emploi, la protection des salaires, la protection sociale, le logement, l’éducation, l’énergie et alignant ces mesures vers le mieux disant serait un outil important. La question d’une assurance chômage européenne alignée vers le haut est également posée.

« La crise de l’UE n’est donc pas conjoncturelle, mais structurelle. »

5- Aller chercher l’argent là où il est
La lutte contre l’évasion fiscale par l’imposition à la source des entreprises est plus que jamais nécessaire à l’heure où le Brexit permet au Royaume-Uni de se transformer en paradis fiscal géant. Cela conduirait à stopper les transferts fictifs de bénéfices dans les paradis fiscaux et implique l’établissement de bases d’imposition communes à l’impôt sur les sociétés. Cela nécessite d’instaurer un taux plafond pour l’ensemble des impôts indirects et des taux planchers pour l’ensemble des impôts directs et d’organiser et d’instaurer un contrôle fiscal des multinationales et de leurs filiales sur l’ensemble du territoire de l’UE via un droit de suite entre les diverses administrations financières nationales, afin qu’un réel suivi des contrôles engagés soit réalisé et que des résultats tangibles en termes de sanctions puissent être obtenus.
Ces mesures sont quelques exemples de batailles structurelles majeures pour remettre en cause le contenu des traités libéraux européens et pour rendre concrète la perspective d’une union des peuples et des nations libres, souveraines et associées.

Vincent Boulet est membre du conseil national du PCF, responsable adjoint aux questions européennes

1) https://www.openpetition.eu/petition/online/largent-de-la-bce-pour-la-sante-pas-pour-le-capital-petition-internationale

Cause commune n° 17 • mai/juin 2020