Les conclusions de la dernière réunion du conseil européen des 26 et 27 octobre sont éloquentes : elles confirment les orientations stratégiques prises antérieurement de s’inscrire dans l’engrenage de la guerre, avec tous les risques que cela comporte.
Pas d’appel au cessez-le-feu en Ukraine
Sur l’Ukraine, aucune proposition diplomatique pour un cessez-le-feu n’est formulée, comme cela est le cas depuis février 2022. La seule allusion faite à une solution de paix est la référence au plan ukrainien et à un hypothétique « sommet mondial pour la paix », sans évoquer la moindre initiative concrète pour le réunir. On ne pourra y trouver aucune réaction, à nouveau, sur les différentes propositions déjà formulées, que ce soit par le Brésil ou par la Chine par exemple. Au lieu de cela, un blanc-seing est donné aux gouvernements les plus atlantistes en évoquant « le plein respect de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ». Il faut y comprendre le gouvernement polonais et ceux des républiques baltes. Ces conclusions laissent un éléphant au milieu de la pièce : l’OTAN. Ne pas en parler revient évidemment à laisser faire et à encourager le resserrement stratégique des relations entre l’Union européenne et l’Alliance atlantique.
Ni à Gaza
Sur l’effondrement humanitaire de Gaza et sur les crimes de guerre de l’armée israélienne, que les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre ne justifient en rien, pas un mot n’est dit. Aucun appel à un cessez-le-feu et aucune référence aux résolutions de l’ONU, ni, encore moins, à la nécessaire reconnaissance de l’État de Palestine, pourtant demandée par le parlement européen dans une résolution de décembre 2014. Sur cette question, l’emballement de la commission européenne à soutenir « inconditionnellement » le gouvernement suprémaciste de Benyamin Netanyahou et les projets du commissaire européen chargé de la politique de voisinage de supprimer les aides aux Palestiniens ont suscité des protestations venant de l’intérieur même de l’appareil de l’Union européenne et de certains des gouvernements. Cela illustre tous les dangers que représente l’autonomisation de la commission européenne qui se prend pour un gouvernement européen.
Aucune mesure concrète pour le peuple arménien
à propos des menaces qui pèsent sur l’existence du peuple arménien, quelques bonnes paroles ne sont assorties d’aucune mesure concrète et surtout pas de la décision que l’UE doit immédiatement prendre : dénoncer l’accord gazier avec l’Azerbaïdjan conclu en juillet 2022, qui a rapporté 15,6 milliards d’euros à la dictature en place à Bakou.
Il faut prendre la mesure de la gravité du positionnement de l’UE, dont le lien de dépendance aux États-Unis est de plus en plus affirmé sur le plan des relations internationales et de la politique diplomatique. Ce sera incontestablement un des sujets majeurs des élections européennes de 2024. Même sur les questions économiques, le passage relatif à l’IRA (Inflation Reduction Act) par lequel les États-Unis investissent 650 milliards de dollars est particulièrement contourné et confus : il n’y a aucune réponse à la hauteur de l’UE.
Des traités européens organisant la marginalisation de l’ONU
Bien évidemment, cela fait écho à la nature même de la construction capitaliste de l’Union européenne et montre la dangerosité des orientations prises et des projets de renforcement du fédéralisme en matière de politique étrangère et de défense. Le contenu des traités européens est ici en cause.
Ces traités organisent effectivement la marginalisation de l’ONU et s’inscrivent dans une orientation nettement néoconservatrice des relations internationales. L’article 42 du traité sur l’Union européenne stipule en effet que peuvent être menées « des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies ». Si un aspect particulier de la charte des Nations unies est mentionné – le seul par ailleurs –, l’ONU en tant que telle ne l’est pas. Au mieux, il s’agit d’un partenaire parmi d’autres. En revanche, l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) y est reconnue comme cadre opératif et stratégique. Le même article 42 précise que l’UE « respecte les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ». La différence de traitement entre l’ONU, non mentionnée, et l’OTAN est manifeste.
« Il faut prendre la mesure de la gravité du positionnement de l’UE, dont le lien de dépendance aux États-Unis est de plus en plus affirmé sur le plan des relations internationales et de la politique diplomatique. »
Le tableau ne serait pas complet s’il n’était pas fait état du fameux alinéa 7 de ce même article 42 : « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies. » Si la nature de l’assistance n’est pas précisée, il s’agit bien de l’équivalent de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.
Tout cela souligne l’extrême gravité des propositions actuellement en discussion sur la levée des règles d’unanimité en matière de défense et de politique étrangère. Cela représenterait à la fois la fin de la souveraineté des choix des États dans ces domaines et les entraînerait dans des actions dont nul ne peut prévoir les conséquences.
La France peut et doit agir en toute indépendance. On a vu à quel point les pays membres de l’UE sont divisés quand certains refusent de voter la résolution de l’assemblée générale des Nations unies pour une trêve humanitaire à Gaza. Cette position, calquée sur celle du Royaume-Uni et du Canada pour ne pas déplaire à Washington, est extrêmement grave. Elle ne peut pas s’imposer à la France.
Alternatives à porter durant la campagne des élections européennes
La campagne des élections européennes servira à dénoncer ces dangers et à porter les alternatives nécessaires, en particulier la rupture avec l’hégémonie de l’OTAN et des États-Unis sur l’Europe, pour constituer un espace de sécurité collective en Europe, dissoudre l’OTAN et remettre au cœur des relations internationales une ONU réformée, démocratisée et renforcée. Il faudra s’opposer à la levée des règles d’unanimité sur la politique étrangère et la défense. Quelle est la position du gouvernement français ? Mène-t-il bataille pour s’y opposer ou a-t-il fait le choix de s’effacer à nouveau ? Enfin, portons des propositions précises et concrètes pour la paix et la sécurité collective : l’application des résolutions de l’ONU pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens et celle du parlement européen pour la reconnaissance de l’État de Palestine ; une action politique et diplomatique pour un cessez-le-feu et la paix en Ukraine, portant les principes du respect de la souveraineté et de la sécurité de tous les peuples et de la neutralité de l’Ukraine dans le cadre de garanties internationales sous l’égide de l’ONU.
Enfin, sur cette question comme sur d’autres, il est nécessaire de rompre avec les traités européens et porter nos exigences d’une autre construction européenne de peuples et de nations souveraines et associées.
Vincent Boulet est membre du comité exécutif national, chargé des relations internationales du PCF. Il est vice-président du Parti de la gauche européenne.
Cause commune n° 36 • novembre/décembre 2023