Face à une droite cherchant des rapprochements avec l’extrême droite, les responsabilités de la gauche européenne sont très importantes et relèvent de la stratégie et de la démarche politiques. Un vaste débat doit s’engager dans les différents pays.
Le 5 mai, le groupe The Left (anciennement GUE/NGL) réunissait les chefs de partis membres au Parlement européen pour débattre des principaux enjeux qui se présentent pour la gauche à l’orée de la campagne des élections européennes.
Des enjeux vitaux. Une évolution préoccupante à droite
Les enjeux relèvent tous de la capacité de la gauche à mener les batailles d’idées pour faire évoluer les rapports de force en Europe face aux évolutions dangereuses en cours à droite. Manfred Weber, président du Parti populaire européen, qui regroupe sur le continent les partis conservateurs, en offre une sorte de précipité. Il a rencontré en janvier dernier Giorgia Meloni pour évoquer les possibilités d’un rapprochement entre la droite et l’extrême droite au Parlement. Il a aggravé son cas en déclarant quelques semaines plus tard que le principal danger en Europe n’étaient pas les gouvernements polonais et hongrois, mais le gouvernement de coalition de gauche en Espagne. Ainsi une partie des bourgeoisies européennes cherche à droite, une issue autoritaire à la crise, trouvant l’oreille attentive de l’extrême droite qui, comme à son habitude, est friande de compromis avec le capital pour arriver au pouvoir. Convergence funeste et mortelle pour la gauche, pour la démocratie et pour les peuples ! C’est dire à quel point les élections européennes représentent un enjeu important et seront scrutées de très près, bien au-delà des frontières de l’Union européenne (UE). Pour ne prendre qu’un seul exemple : à Cuba on s’inquiète déjà, et à juste titre, qu’une majorité de droite et d’extrême droite au Parlement européen ne signifie non seulement le renforcement des positions anti-cubaines au sein de l’UE mais encore un alignement de cette dernière avec la politique criminelle poursuivie par les États-Unis contre le peuple cubain.
Les tâches de la gauche
Pour contrer une telle évolution, les tâches à gauche sont d’un niveau extrêmement élevé et exigeant. Elles vont en réalité bien au-delà du programme. Elles relèvent de la stratégie et de la démarche politiques. J’en listerai rapidement ici trois.
La première consiste à répondre d’une manière audible et crédible aux grands défis de la période pour les peuples et aux grandes questions qui se posent pour l’Europe. Cela concerne la manière dont la gauche est capable de travailler à des solutions pour les grandes préoccupations populaires. Transform Europe a mené une enquête extrêmement utile à ce propos, montrant qu’elles concernent, dans cet ordre : le travail, les salaires et le climat. Notons que la question sociale est bien au cœur des exigences des peuples. Par ailleurs, l’UE a été fortement bousculée ces dernières années. Une partie des classes dirigeantes parle désormais de « souveraineté européenne ». Ayons donc le débat. De quelle souveraineté parle-t-on dans les actes, dans les décisions de l’UE ? Le projet de la commission Industrie Net Zero est non seulement loin d’être à la hauteur des plans américains et chinois, mais aussi refuse, par exemple, de privilégier les productions locales dans les achats publics et d’investir dans l’industrie. De qui se moque-t-on ? Parler de souveraineté implique de lutter contre la désindustrialisation, de mettre en œuvre une souveraineté industrielle, énergétique et alimentaire. Ce n’est pas en s’arc-boutant sur la défense du marché intérieur, c’est-à-dire sur le fondement néolibéral de l’UE actuelle, qu’on y arrivera. Il y a donc une bataille importante sur la nature même de la construction européenne que nous souhaitons. Celle-ci se mène aussi dans le domaine de la défense et de la politique étrangère. L’UE doit se désengager de la tutelle des États-Unis et de l’OTAN. Ouvrons donc le débat sur la boussole stratégique de l’UE adoptée en mars 2022 qui renforce l’alignement de l’UE sur les États-Unis, ou sur les dernières déclarations de Thierry Breton, commissaire européen à la concurrence, qui déclare que l’UE est entrée dans une « économie de guerre ». Voulons-nous une Europe qui concourt à l’engrenage de la guerre et à la logique de blocs ou qui rompt avec l’atlantisme en s’engageant dans la voie de la paix et de la sécurité collective ?
Le deuxième défi est celui des moyens, démocratiques et financiers, à mobiliser en Europe. La tentation de renouer avec la logique d’une forme de pacte budgétaire est grande, sous la pression d’un certain nombre de gouvernements européens qui n’ont rien appris de la crise. On évoque désormais des objectifs quadriennaux et non plus annuels, sans changer réellement la logique fondamentale. Le PCF s’est opposé à l’instauration de règles budgétaires. Il est toujours favorable à leur abolition. La question démocratique, de la souveraineté démocratique des peuples et des nations, est la base de la dynamique des coopérations dans une union refondée, de peuples et de nations libres, souveraines et associées. La question des moyens financiers, quant à elle, doit s’articuler étroitement avec la question démocratique. Le GIEC recommande de consacrer 6 % du PIB par an à la transition écologique et industrielle. Cela représente 900 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE. C’est possible, notamment en s’appuyant sur une réorientation de l’utilisation de la création monétaire de la banque centrale européenne (BCE), mais aussi sur la lutte contre l’évasion fiscale, pour investir dans des emplois de qualité, dans les services publics, pour la décarbonation de l’énergie, et en mettant la BCE et l’utilisation de l’argent sous contrôle démocratique. Là encore, ayons le débat.
« Une partie des bourgeoisies européennes cherche à droite, une issue autoritaire à la crise, trouvant l’oreille, attentive de l’extrême droite qui, comme à son habitude, est friande de compromis avec le capital pour arriver au pouvoir. »
Ce sont autant de questions importantes sur lesquelles mener la nécessaire bataille d’idées pour construire le rassemblement à gauche, qui s’appuie sur la dynamique du mouvement social, sans chercher à s’y substituer, et qui soit construit sur la richesse des différentes sensibilités, et non sur une volonté hégémonique. Le groupe The Left, qui est actuellement le plus petit groupe au Parlement européen, doit garder son esprit fondateur : son caractère confédéral. C’est le moyen d’assurer son unité, sa pérennité voire son élargissement. Il ne suffit pas d’appeler à l’unité désincarnée mais de discuter de ses conditions et de sa conception. Il y a quatre questions principales sur lesquelles il est nécessaire d’ouvrir le débat : à quelle base sociale s’adresse-t-on, quel bloc social veut-on construire : aller chercher les classes populaires qui s’abstiennent ou s’enfermer dans la course aux radicalités juxtaposées les unes aux autres ? Avoir une perspective majoritaire de pouvoir ou se satisfaire de stagner au tiers des votants et d’être la « première opposition », version 2.0 du funeste « pôle de radicalité » ? Veut-on faire du respect des composantes de la gauche une force, ou caporaliser la gauche ? Souhaite-t-on remplacer le mouvement social ou construire avec lui un débouché politique ? Le PCF a décidé quant à lui, lors du 39e congrès, de travailler à la présentation d’une liste de large rassemblement et de tenir une conférence sur les élections européennes le 14 octobre prochain. Le PGE tiendra une assemblée générale le 24 juin pour débattre des orientations programmatiques puis engagera une large consultation des partis membres. D’ici là, il est nécessaire d’avancer sur toutes ces questions.
Vincent Boulet est membre du Comité exécutif national, chargé des relations internationales du PCF. Il est vice-président du PGE.
Cause commune n° 34 • mai/juin 2023