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Notre projet européen, « Union de peuples et de nations libres, souverains et associés » peut susciter des questions : comment parler de « peuples et nations souveraines » en Europe ? Qu’est-ce qui nous distingue de la droite et de l’extrême droite ?

Crise des nations ?
Il faut tout d’abord partir d’une autre question : les nations ont-elles disparu dans la mondialisation capitaliste et, singulièrement, dans la construction capitaliste de l'Union européenne qui en est un de ses instruments ? Les libéraux aimeraient répondre par l’affirmative, encore que l’exacerbation des concurrences intercapitalistes et interimpérialistes sont en train de fractionner la mondialisation capitaliste et qu’il n’y a pas de bourgeoisie centralement unifiée ni au niveau international, ni au niveau européen. De notre côté de la barricade, la question est plutôt : quel est le champ d’action des luttes démocratiques et sociales des peuples ? quel est le cadre d’exercice de la lutte de classes ? Les espaces se réorganisent sans cesse et les citoyens changent d’échelle en permanence dans un jeu complexe. Crise des nations, oui. Mais décomposition des nations, non. Le cadre premier des luttes sociales et démocratiques reste celui des nations. On parle, à juste titre, de convergences européennes nécessaires du fait des intérêts communs du monde du travail qui s’expriment d’abord dans leur cadre et contexte nationaux. C’est par exemple le cas de la mobilisation contre la réforme des retraites : les convergences européennes sont nécessaires face à des attaques des bourgeoisies similaires dans d’autres pays européens. La porte d’entrée première reste le cadre national comme levier pour créer les nécessaires conjonctions européennes et internationales.

« Mettre dans le débat des élections européennes le rôle que les parlements nationaux doivent prendre dans le processus d’élaboration des lois européennes. »

Quand on parle de « nation », il ne faut pas se tromper de sens. L’extrême droite est habile pour en dévoyer le sens, dans une direction ethniciste, essentialiste, raciste, xénophobe et d’exclusion, notoirement à l’encontre des migrants. C’est le projet de « priorité nationale » du Rassemblement national, qui porte une véritable rupture avec la nation, démocratique et sociale, telle qu’elle a émergé de la Révolution française. On voit également cette politique nauséabonde se mettre en place en Italie où le gouvernement dirigé par la néofasciste Meloni développe une politique nataliste et antimigrants, jouant sur les crispations identitaires. Le projet de l’extrême droite est de détruire la conception de la nation telle qu’elle a émergé des luttes révolutionnaires des peuples européens, et singulièrement du peuple français, c’est-à-dire d’une nation politique et inclusive bâtie sur un projet démocratique. Comme le disait Fabien Roussel à l’occasion de l’annonce de la panthéonisation de Missak et de Melinée Manouchian, il s’agit d’une « nation politique composée de citoyens et de citoyennes de toutes origines, réunis par des valeurs républicaines universelles. Une nation ouverte et fraternelle. Une nation aux antipodes de celle des prêcheurs de haine, obsédés par l’origine, la couleur de la peau et la religion des femmes et des hommes qui la fondent ».
Cette approche permet une démarche dialectique, répondant au dilemme que pose la construction capitaliste de l’UE. Le Brexit d’un côté, et le fait que les classes dirigeantes européennes aient imposé aux peuples, contre leur volonté, des règles et des traités néolibéraux, de l'autre, suscitent un sentiment d’impuissance, qui ferait dire de l’UE, que l’on peut ni en sortir, ni la changer.

Reconstruire l’espoir en Europe
La question est donc bien celle du vecteur du changement en Europe pour reconstruire l’espoir. Il est nécessaire d’établir un programme, dessinant les traits de la construction nouvelle que nous voulons et que nous élaborons avec nos partenaires européens : alignement des droits sociaux vers le haut, reprise du pouvoir sur l’argent, en particulier celui de la BCE, action pour un nouvel ordre du monde. Mais il faut dire aussi comment nous comptons procéder pour mettre en œuvre ce changement.
C’est ici qu’il serait novateur d’imaginer un rapport dialectique nouveau entre les nations de l'UE et une construction européenne débarrassée de la domination du capital. Partir du cadre d’intervention populaire premier, c’est-à-dire les nations, est la clé du changement en Europe. L’exercice du choix souverain des peuples, dans les domaines politique, industriel, commercial, énergétique comme levier, base et principe fondamental de coopérations dans tous les domaines nécessaires nous fera apparaître comme porteurs d’une voie originale à gauche.

« Le projet de l’extrême droite est de détruire la conception de la nation telle qu’elle a émergé des luttes révolutionnaires des peuples européens, et singulièrement du peuple français, c’est-à-dire d’une nation politique et inclusive, bâtie sur un projet démocratique. »

Cela peut concrètement se décliner : par exemple, en mettant dans le débat des élections européennes le rôle que les parlements nationaux doivent prendre dans le processus d’élaboration des lois européennes. Cela serait une vraie rupture et représenterait le moyen de trouver des coopérations entre États qui peuvent être différenciées d’un domaine à l’autre selon les sujets : par exemple sur l’adhésion ou non à la monnaie unique, ou sur les questions de défense. S’il n’est pas possible d’arriver à une position commune, les États doivent pouvoir avoir le droit d’actionner une clause de sauvegarde pour ne pas appliquer telle ou telle politique.
Cette approche nous distingue résolument de l’européisme désincarné d’une part, des élucubrations souverainistes, d'autre part, car nous faisons de la souveraineté des peuples et des nations non pas une impasse mais une véritable souveraineté démocratique, tremplin pour construire des coopérations entre peuples et nations libres, souverains et associés en Europe.

Vincent Boulet est membre du comité exécutif national, chargé des relations internationales du PCF. Il est vice-président du Parti de la gauche européenne.

Cause commune n° 35 • septembre/octobre 2023