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Au-delà des mouvements contre la réforme des retraites en France, les mouvements sociaux qui se développent partout en Europe interpellent la gauche.

Le mouvement social massif en France contre la contre-réforme des retraites a un effet européen. En premier lieu, par son ampleur et sa résonnance. Les retraites sont bien un sujet européen. Les statistiques européennes montrent que plus l’âge de départ est tardif, plus les conditions de vie des retraités sont déplorables. En Allemagne, par exemple, le taux de remplacement n’est que 52,9% ; sans parler de la Pologne où il est de 28% pour les femmes. On voit là le résultat honteux et dramatique des politiques libérales menées à l’échelle européenne par leurs classes dirigeantes. Et ce n’est jamais suffisant pour les bourgeoisies.

« Cela pose à l’ensemble de la gauche et particulièrement aux forces de transformation sociale la question stratégique des alliances de classes et des constructions politiques à vocation majoritaire. »

En Allemagne, la banque centrale recommande déjà de porter l’âge de départ à 69 ans, alors qu’il doit être porté à 67 ans d’ici 2029 selon la réforme Merkel de 2007. C’est également une question européenne car la Commission européenne est tentée d’en faire, pour certains pays, une condition pour le versement des tranches d’aide du plan de relance. C’est déjà le cas en Belgique, où le gouvernement a accéléré sa réforme augmentant l’âge de départ à 67 ans d’ici 2032. Sur le long terme, il est évident que la thérapie de choc néolibérale imposée aux pays d’Europe de l’Est a servi de laboratoire. On peut penser aux « réformes » polonaise de 1998 et hongroise de 1999, qui ont annoncé non seulement la vague de report de l’âge de départ, mais également la destruction du système de retraites par répartition au profit d’une retraite par points. L’ensemble de ces attaques démontre que les classes dirigeantes européennes, depuis plusieurs décennies, ont fait des retraites un axe stratégique de la lutte de classes, de leur point de vue, avec l’objectif de détruire l’ensemble des conquêtes issues des luttes sociales des peuples européens sur plusieurs décennies. C’est bien une question de modèle de société qui est en jeu : soit un modèle de solidarité, soit celui de la jungle et du chacun pour soi, au plus grand bénéfice des fonds de pension rapaces. La lutte en cours en France a donc un effet européen : si Macron est finalement contraint de reculer, cet axe stratégique pour les bourgeoisies connaît un coup d’arrêt important, ce qui appellerait d’autres victoires pour les peuples en Europe.

Des mouvements de grève dans toute l’Europe
Par ailleurs, le mouvement social en France s’inscrit dans le contexte du retour de la question sociale en Europe. Plusieurs pays européens ont connu dernièrement, ou connaissent en ce moment, des mouvements importants. C’est d’abord le cas du Royaume-Uni, où les travailleurs et les travailleuses britanniques sont entrés dans une confrontation de longue durée avec le gouvernement conservateur dont la politique représente un condensé d’ultralibéralisme au service de la finance et d’autoritarisme, jusqu’à limiter de nouveau le droit de grève et faire appel à l’armée. La liste est impressionnante. L’ensemble des secteurs du monde du travail est en ébullition : tout le mois de février – les 9-10, les 14-16, les 21-23 – et le mois de mars – le 2, les 16-17, les 20-22 –, le personnel et les enseignants et enseignantes de cent cinquante universités sont en grève. Le 6 février, les ambulanciers et les infirmiers et infirmières organisées dans le Royal College of Nursing débrayaient. Le 14 février, les enseignants et enseignantes du Pays de Galles, organisées dans le NEU-National Education Union, sont en grève. Le 20 février, les ambulanciers relancent leur mouvement. Le 28 février, les enseignants et enseignantes des régions du Nord, du Nord-Ouest, du Yorkshire et du Humber feront grève. Un scrutin pour obtenir le droit d’engager une grève est en cours – du 23 janvier au 16 février – dans le Royal Mail. Il en va de même dans le secteur des transports de Londres, où un scrutin est organisé par le l’union ferroviaire RMT. Les dernières semaines de 2022 ont vu des mouvements de grève s’étendre à la Belgique, à la Grèce, à l’Espagne, au Portugal, à l’Allemagne, à la Bulgarie, aux Pays-Bas. La conjonction et l’ampleur de ces mouvements sont inédits depuis au moins trente ans. C’est dire à quel point l’urgence sociale est commune à l’ensemble des peuples d’Europe.

« Les classes dirigeantes européennes, depuis plusieurs décennies, ont fait des retraites un axe stratégique de la lutte de classes avec l’objectif de détruire l’ensemble des conquêtes issues des luttes sociales des peuples européens sur plusieurs décennies. »

L’ensemble de ces mouvements a évidemment une portée politique car ils interpellent la gauche. Ils dessinent en creux l’exigence d’un plan d’urgence social : sur les salaires, sur les prix de l’énergie et de l’alimentation, sur les retraites. Ils posent donc la question de leur traduction politique et des médiations politiques capables de les porter dans une perspective majoritaire de classe. En Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique, les directions sociales-libérales restent omniprésentes dans le champ politique à gauche tout en n’étant pas capables d’y répondre. Partout, dans les différents contextes nationaux, la gauche est à la croisée des chemins. Cela pose à l’ensemble de la gauche et particulièrement aux forces de transformation sociale la question stratégique des alliances de classes et des constructions politiques à vocation majoritaire. La réflexion existe partout sur les moyens de renouer avec le monde du travail et les classes populaires. La bataille centrale est la bataille de classes et le rapport de force qui en est issu. Ce sont eux qui vont être importants dans les prochains mois, face à l’extrême-droite et face aux bourgeoisies européennes.

Cause commune n° 33 • mars/avril 2023