Le Parti communiste français est à l’initiative de plusieurs événements pour défendre la paix, notamment au Proche-Orient dans le cadre d’une campagne commune avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Vincent Boulet, responsable du secteur international du PCF et vice-président du PGE, revient pour Cause commune sur ces initiatives.
Propos recueillis par Dorian Mellot
CC : Cette année doit se déployer une campagne commune entre le PCF et l’Organisation de libération de la Palestine. Quel est l’objet de cette campagne et pourquoi maintenant ?
Les droits nationaux du peuple palestinien font face à trois dangers mortels :
- le projet suprémaciste du gouvernement extrémiste israélien qui poursuit sa politique d’épuration ethnique à Gaza et en Cisjordanie et qui veut annexer la Cisjordanie ;
- le projet de Trump qui recherche un accord global avec certains des gouvernements arabes et qui soutient, voire devance les desiderata de Netanyahou d’expulser les Palestiniens de Gaza ;
- l’islam politique qui non seulement est le contraire d’un projet d’émancipation nationale et démocratique mais encore qui cherche à détruire une telle perspective.
La communauté internationale a considéré la question d’une solution politique pour la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien comme secondaire. On voit aujourd’hui à quel point ce fut une faute majeure. De plus, le projet de Netanyahou – c’est-à-dire celui d’une guerre sans fin et de transformer l’État d’Israël en une ethnocratie – emmène le peuple israélien vers la catastrophe. L’horreur des conséquences de sa politique démontre, à nouveau, que la seule solution sera politique, pour la paix, la justice et le droit. C’est bien ce que porte l’OLP comme seule représentante légitime du peuple palestinien : assurer l’indépendance de la lutte du peuple palestinien pour la réalisation de ses droits nationaux qui ont été systématiquement bafoués au cours du XXe siècle, et porter l’exigence de la construction d’un État de Palestine démocratique et laïc, sur le principe de la solution à deux États. L’objet de la campagne est de créer une alliance large pour une solution politique sur la base de la libération nationale du peuple palestinien, pour qu’il vive en paix, en sécurité et à égalité aux côtés du peuple israélien, par la création d’un État de Palestine dans le cadre des frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, la fin de l’occupation et de la colonisation. Le mouvement de solidarité avec la Palestine ne doit pas être laissé à ceux qui cherchent à en dévoyer le contenu sur des bases essentialistes. Le conflit au Proche-Orient est un conflit politique. Sa résolution sera politique.
CC : Quel est l’objectif de cette campagne et comment les communistes peuvent se l’approprier ?
L’objectif est la reconnaissance de l’État de Palestine dans le cadre des frontières de 1967 par la France. Nous appelons aussi à l’élargissement de la campagne au niveau européen. La solution à deux États est non seulement celle du droit international, c’est aussi celle de l’OLP et celle des partis communistes israélien (Maki) et palestinien (Parti du peuple palestinien ou PPP). Pour ces derniers, c’est le cas depuis 1947. Nous n’avons pas attendu les accords d’Oslo. À ce sujet, on peut se reporter à l’engagement de Meir Vilner, secrétaire général du Maki de 1965 à 1990, signataire de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël en 1948, opposant résolu aux guerres israéliennes : il le paya chèrement par des tentatives d’assassinat de la part de l’extrême droite israélienne.
« La paix n’est pas uniquement l’absence de guerre. C’est un projet politique global, au cœur du projet d’émancipation sociale et démocratique indissociable de
la visée communiste. »
Il faut également tirer les leçons des accords d’Oslo qui, faute d’avoir été bousculés en exploitant les brèches qu’ils ouvraient et faute de pression politique internationale sur les gouvernements israéliens successifs, se sont soldés par un échec. À l’inverse de la politique des petits pas qu’ils recommandaient, il faut commencer par la fin, c’est-à-dire par la reconnaissance de l’État de Palestine pour donner au peuple palestinien un État, une citoyenneté et un gouvernement, à égalité avec l’État d’Israël.
CC : Quel rapport le PCF entretient-il avec les différentes organisations progressistes palestiniennes ?
Le PCF est attaché à poursuivre et à renforcer ses relations historiques avec les organisations progressistes palestiniennes se situant dans le sens de la lutte menée par l’OLP et avec l’OLP elle-même. C’est le cas évidemment du PPP, c’est-à-dire du parti des communistes palestiniens. Des fédérations du parti organisent régulièrement des événements publics avec leur participation. Le PCF est également attaché à développer ses relations avec le parti communiste israélien, le Maki, et la coalition Hadash que celui-ci a créée dans le prolongement de la journée de la terre de 1976 pour les droits des Arabes d’Israël. La relation unique entre ces deux partis est marquée par une origine commune. Il s’agit du Parti communiste palestinien des années 1920 et 1930, fondé par des militants du Poale Zion dont des unités ont combattu dans l’Armée rouge durant la guerre civile. Ce parti a ensuite mené une politique dite d’ « arabisation » pour regrouper les prolétariats juif et arabe de Palestine et pour développer un mouvement social et politique palestinien laïc et progressiste en rupture avec les orientations islamistes du mufti Amin al-Husseini (1895-1974). Aujourd’hui, ils partagent une même exigence : celle de l’égalité entre les peuples palestinien et israélien et d’une solution politique dans le cadre des deux États, sur les frontières de 1967. Ils mènent ensemble une action pour la paix. Les communistes sont la seule famille politique à le faire. Les deux partis ont ainsi publié une déclaration commune en juillet 2024 suite à une rencontre entre les deux directions qui s’est tenue à Ramallah et cela s’est poursuivi avec une réunion publique organisée en ligne en octobre dernier avec les deux secrétaires généraux. Il faut insister sur l’apport des communistes qui, dans une situation extrêmement difficile et avec des rapports de force très dégradés dans les deux sociétés palestinienne et israélienne, portent avec constance et détermination la voix de la paix, de la justice et du droit. Les positions du PCF ne sont pas isolées. Elles sont travaillées en permanence en liaison avec nos camarades de Palestine et d’Israël.
CC : Le 8 avril ont lieu des états généraux pour la paix, organisés par le PCF. Quels sont les objectifs de cette soirée ?
Il est évident de souligner la dangerosité de la période. Suite à l’agression du régime de Vladimir Poutine contre l’indépendance et la souveraineté de l’Ukraine, l’Union européenne, soumise à l’OTAN et aux États-Unis, s’est enfermée dans une stratégie de bloc et d’exacerbation des tensions. Elle n’a rien entendu, ni rien fait, alors que d’autres pays proposaient des initiatives de paix, comme le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, etc. Aujourd’hui, les propositions portées notamment par par les gouvernements de France et de Grande-Bretagne sont extrêmement graves, que cela concerne le déploiement possible de troupes de pays de l’OTAN en Ukraine ou l’européanisation du « parapluie » nucléaire français, alors que l’impérialisme américain, sous l’impulsion de Donald Trump, ne recherche absolument pas la paix, mais enregistre les recompositions internationales et surtout prépare une confrontation avec la Chine.
« Nous sommes pour réinvestir complètement la formule de la “paix juste et durable”, qui ne doit pas être seulement un slogan, mais un engagement concret pour la construction d’un projet de paix reposant sur la justice. »
Dans ce contexte, il importe de faire entendre une autre voix, celle d’une politique de paix. Il y a des fractures à gauche sur cette question, entre d’un côté ceux qui accompagnent la montée des tensions et de l’autre ceux qui essentialisent les conflits en dévoyant une certaine pensée « décoloniale ». Il s’agit donc de construire un espace, qui se définit par l’exigence d’une politique de paix, de sécurité collective et humaine et d’une solution politique pour résoudre les causes des conflits. Il y a des alliances et des rapports de force à construire. Les communistes sont force de proposition et d’action en ce sens.
Pour cela, nous avons des leviers, des points d’appui. En Europe, des forces politiques portent également ce projet. Cette réunion publique du 8 avril sera également l’occasion de faire apparaître des convergences européennes pour la paix avec des forces de la gauche européenne.
CC : Une autre conférence, organisée cette fois-ci par plusieurs partis communistes européens, est prévue le 5 mai. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Cette journée concourt à deux objectifs. Premièrement, les partis communistes européens, qu’ils soient membres ou associés au PGE (Parti de la gauche européenne) et/ou membres ou associés au groupe « The Left », ex-GUE-NGL, au parlement européen, sont confrontés à des défis majeurs convergents : l’essor de l’extrême droite (il y aura des élections anticipées au Portugal le 18 mai par exemple, sans compter l’Italie de Meloni qui sert de laboratoire pour une extrême droite qui plonge ses racines historiques dans les fascismes européens et qui met en place une formule de pouvoir capable de peser sur les politiques de l’Union européenne), la crise économique et sociale, la désindustrialisation, les bruits de botte, la construction d’un fédéralisme européen austéritaire, armé et nucléarisé, les recompositions à gauche, les évolutions des mouvements sociaux et citoyens… Il importe donc d’approfondir les échanges entre partis communistes européens et d’envisager des initiatives à prendre, dans l’esprit de l’appel commun des partis communistes adopté lors des dernières élections européennes.
« Le conflit au Proche-Orient est un conflit politique. Sa résolution sera politique. »
Par ailleurs, nous serons à quelques jours de deux anniversaires majeurs : celui des quatre-vingts ans de la victoire des peuples européens et soviétique contre le fascisme, les 8 et 9 mai, et celui des vingt ans du refus français et néerlandais du traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE), les 29 mai et 1er juin 2005. La soirée sera donc consacrée à un événement public sur l’Europe et la paix.
CC : Plus généralement, que propose le PCF pour garantir la paix ? Comment la défendre efficacement face aux politiques impérialistes ?
La paix n’est pas uniquement l’absence de guerre. C’est un projet politique global, au cœur du projet d’émancipation sociale et démocratique indissociable de la visée communiste. Les bourgeoisies mènent une politique inverse, en miroir : celle de lier un projet de guerre avec ceux d’une économie de guerre et d’une politique d’austérité. La paix n’est pas une voie d’abandon ou de capitulation, comme les porte-voix de la bourgeoisie essaient de le faire croire. Ce n’est pas le « pacifisme intégral » porté par une partie de la gauche dans les années 1930 qui « préféraient la servitude à la guerre ». Bien au contraire. Une politique de paix, c’est une voie offensive au cœur de plusieurs objectifs transformateurs de la société.
« Il faut insister sur l’apport des communistes qui, dans une situation extrêmement difficile et avec des rapports de force très dégradés dans les deux sociétés palestinienne et israélienne, portent avec constance et détermination la voix de la paix, de la justice et du droit. »
C’est une politique fondée sur l’exigence du respect du droit international, de la charte des Nations unies, des principes de l’acte final de la conférence d’Helsinki de 1975, ou, comme le disait Jaurès, sur l’arbitrage international, c’est-à-dire la résolution diplomatique des causes des conflits. Cela ne repose pas sur la loi du plus fort ou sur le simple constat des agressions impérialistes mais sur la justice, le droit et le droit des peuples à l’autodétermination. Une « paix carthaginoise », comme Keynes et Lénine qualifiaient le traité de Versailles, fondée sur l’humiliation, ne permet rien de durable. Nous sommes pour réinvestir complètement la formule de la « paix juste et durable », qui ne doit pas être seulement un slogan, mais un engagement concret pour la construction d’un projet reposant sur la justice. La voie de la paix est donc démocratique. C’est également la recherche d’un désarmement global, multilatéral et négocié, en premier lieu dans le domaine du nucléaire. Par exemple, par le fait de relancer le TNP (traité de non-prolifération des armes nucléaires), alors qu’aucun engagement nouveau n’a été pris depuis 1995, ou de signer le traité TIAN de l’ONU (traité sur l’interdiction des armes nucléaires). Une politique de paix doit aussi remettre en cause la domination de l’OTAN, qui est fondamentalement le bras armé des États-Unis. La paix et la sécurité collective ne peuvent pas se construire dans ce cadre. La France a les moyens de sortir à court terme du commandement militaire intégré de l’OTAN et de préparer sa dissolution.
C’est également une politique de progrès et d’émancipation sociale. Il n’y aura pas de progrès social sans paix, ni paix sans progrès social. La logique de paix que nous défendons est indissociable de la sécurité humaine, qui est le fondement des objectifs du développement durable de l’ONU, c’est-à-dire la lutte contre les inégalités, celle pour l’égalité des droits (égalité des droits femmes-hommes, etc.), ou encore celle pour l’éducation. C’est la raison pour laquelle les logiques d’austérité libérales ne sont pas des politiques de paix. Elles aggravent les facteurs de tensions, d’affrontements et de conflits.
« Il importe d’approfondir les échanges entre partis communistes européens et d’envisager les initiatives à prendre, dans l’esprit de l’appel commun des partis communistes adopté lors des dernières élections européennes. »
Une politique de paix, c’est la prise en compte des crises climatiques qui s’aggravent et qui exacerbent les risques de guerre, les migrations, les conflits sur l’accès aux ressources, à l’eau, aux denrées alimentaires. La guerre civile au Soudan, dont personne ne parle alors que ce pays est en train de s’effondrer et que la famine s’y répand, en est une illustration tragique.
Enfin, la paix signifie la réorientation de la politique de défense, non pas pour se projeter, comme cela est le cas aujourd’hui, mais pour se protéger, ce qui va de pair avec la restauration des liens de l’armée avec la nation, pour une armée au service de la nation, et avec la construction d’un pôle public de défense, pour une industrie de défense indépendante des États-Unis, et des intérêts capitalistes des marchands d’armes, mais qui réponde aux besoins en moyens de la défense nationale, et qui construise les coopérations européennes pour établir une alternative aux GAFAM et à Starlink, notamment avec Galileo et Iris 2.
CC : Que peuvent faire les communistes pour porter cette exigence ? Quelles actions sont envisagées ?
La campagne pour la reconnaissance de l’État de Palestine aux côtés de celui d’Israël se déploie. Les parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat portent l’exigence de la paix et de la sécurité collective (dernièrement en s’opposant à la résolution sur l’Ukraine). La coopération décentralisée, avec les collectivités territoriales, se renforce également. Par ailleurs, le matériel militant, avec tracts et affiches, est en train d’être diffusé. Enfin, les fédérations du parti organisent énormément de débats et d’événements publics, ou de formations pour les camarades, sur la paix en général, ou sur la Palestine ou l’Ukraine en particulier. Tout cela concourt au fait que l’engagement historique des communistes sur la paix franchisse une nouvelle étape.
Cause commune n° 43 • mars/avril 2025