L’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025 marque une nouvelle étape, dangereuse, dans la montée des courants autoritaires et libertariens d’extrême droite et le renforcement des tensions internationales.
L'audition devant le Sénat de Pete Hegseth, désigné pour devenir secrétaire à la Défense, fait froid dans le dos. Voici ce qu’il a déclaré : « Il est temps de donner cette responsabilité à quelqu’un qui a de la boue sur les bottes […] Trump m’a désigné en premier lieu pour rendre au ministère de la Défense la culture de la guerre. Nous ne sommes ni des républicains, ni des démocrates, nous sommes des guerriers américains. » Cela illustre le fait, s’il en était encore besoin, que Trump, c’est-à-dire les forces sociales et la fraction du capital qui le soutiennent, n’est nullement isolationniste mais représente une nouvelle étape dans l’impérialisme américain en cours de recomposition.
Une nouvelle phase de la mondialisation capitaliste en crise
Quelles sont les bases sociales de Trump ? Il s’agit en premier lieu du capital à tendance monopoliste numérique et celui des hedge funds. Il ne s’agit pas de la même base que celle qui a porté la mondialisation capitaliste néolibérale des années 1980-1990, à l’époque où les États-Unis pensaient avoir « gagné » la guerre froide. Cela reflète une autre phase de la mondialisation capitaliste en crise, celle de la « mondialisation entre amis », telle que l’avait exprimé Janet Yellen, secrétaire au Trésor de Biden, c’est-à-dire de mécanismes de fragmentation commerciale, financière et politique de la mondialisation.
Ce contexte engendre des recompositions des rapports de force internationaux. L’impérialisme de Trump, c’est-à-dire des forces sociales qui le portent, est une face de sa recomposition dans un contexte où les prétentions hégémoniques des États-Unis sont contestées soit par des puissances internationales (Chine), soit par des convergences d’intérêts émergeant hors des institutions de Bretton Woods (BRICS+). D’autres puissances régionales, sans rompre leur lien organique avec les États-Unis, cherchent les voies d’une politique autonome et multivectorielle (Turquie, Inde, Arabie Saoudite).
« L’incapacité de l’Union européenne et des classes dirigeantes européennes à réagir montre bien la vacuité du discours sur “l’autonomie stratégique” si celle-ci n’implique pas de changement de nature dans la logique de la construction européenne et dans celle des relations transatlantiques. »
Le trumpisme est donc une réponse d’une partie des classes dirigeantes à la recherche de nouvelles modalités de domination, en n’utilisant plus les mêmes ressorts idéologiques qu’au cours de la phase précédente (« fin de l’histoire », discours sur les droits de l’homme…) mais des rapports de force fondés sur les droits de douane, un rapport financier (appels à atteindre le seuil de 5 % de dépenses militaires) et de nouveaux mécanismes d’ingérence. Les prétentions sur le Canada et le Groenland, loin d’être nouvelles dans les classes dirigeantes américaines, ne sont pas à prendre à la légère, elles révèlent l’intention de contrôler la route commerciale du nord-ouest dans l’Arctique, praticable depuis 2007, alors que la Russie revendique, elle, le passage du nord-est par la révision de sa stratégie navale en 2022 et par la signature d’un accord d’exploitation commun avec la Chine lors du forum économique de Saint-Pétersbourg en 2024. De même, les revendications sur le canal de Panama, là encore anciennes, prennent une autre dimension alors que la maîtrise des routes commerciales stratégiques du Golfe d’une part et des détroits d’Asie orientale sont devenues incertaines. Le contrôle des réseaux, qu’ils soient commerciaux ou numériques, revêt, dans ce contexte de recomposition brutale et guerrière des rapports de force mondiaux, une importance renforcée.
Des conséquences importantes en Europe.
Les ingérences grossières de Musk en faveur des forces d’extrême droite dans les pays clés du point de vue des États-Unis (Grande-Bretagne, Allemagne) pousse les feux d’un projet politique libertarien, autoritaire (ou plus exactement de « post-démocratie ») fondé sur la révocation des engagements internationaux, la haine des migrants et un démantèlement de l’État au profit du capitalisme numérique et des féodalités qui se constituent autour de lui.
S’il n’est pas certain que l’alliance entre ces différentes orientations soit durable derrière Trump – car les contradictions seront nombreuses au sein même des courants qui le soutiennent –, elle illustre en miroir l’impasse des classes dirigeantes européennes et pose des impératifs politiques nouveaux.
L’incapacité de l’Union européenne à réagir montre bien la vacuité du discours sur « l’autonomie stratégique », si celle-ci n’implique pas de changement de nature dans la logique de la construction européenne et dans celle des relations transatlantiques. Porter l’exigence d’autonomie stratégique nécessite de remettre en cause la domination des États-Unis et de leur bras armé, l’OTAN, sur l’Europe ; de faire appliquer les résolutions du parlement européen, laissées lettre morte, sur la lutte contre l’extraterritorialité des lois états-uniennes ; de remettre en cause les traités européens et de prendre, en toute indépendance, des initiatives politiques en ce sens.
Geler le conflit n’est pas la paix
L’exemple de la guerre en Ukraine est révélateur. Le risque d’un accord entre les États-Unis et la Russie, par-dessus les Européens, espoir caressé depuis 2001 dans certaines allées du pouvoir à Moscou, n’est pas à écarter. À force de déléguer leur sécurité à l’OTAN, à force de refuser de prendre la moindre initiative politique pour mettre fin à la guerre, les bourgeoisies européennes se retrouvent dans l’impasse. Pour le moment, les deux seules propositions concrètes formulées par Trump, c’est-à-dire un gel du conflit sur les positions actuelles et l’envoi d’une force européenne de maintien de la paix ont été repoussées par le pouvoir russe.
Si le cessez-le-feu (si tant est qu’il soit signé) a pour conséquence l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, cela reviendrait à créer les conditions d’un conflit futur encore plus grave. Le cessez-le-feu, nécessaire, doit au contraire être lié à l’ouverture de négociations de paix réglant les causes profondes du conflit et rendant possible la refondation complète du système de sécurité collective en Europe, y compris dans ses relations avec la Russie. Cela implique la rupture avec l’OTAN et sa dissolution. L’année 2025 marque les cinquante ans de la signature de l’acte final de la conférence d’Helsinki. Il serait temps de s’en inspirer pour enfin porter une politique de paix en Europe. Il y a urgence !
Vincent Boulet est membre du comité exécutif national, chargé des relations internationales du PCF. Il est vice-président du Parti de la gauche européenne.
Cause commune n° 42 • janvier/février 2025