Par

Les élections européennes de juin 2024 marquent un tournant dans l’histoire de la gauche. Jamais depuis les années 1990, elle n’a rencontré autant de défis, autant de secousses.

Le groupe The Left, présidé par Manon Aubry et Martin Schirdewan, compte désormais quarante-six députés. Les rap­ports de force internes sont bousculés. Les partis communistes sortent, dans l’ensemble, très affaiblis : le Parti commu­niste portugais ne compte plus qu’un seul député, à l’instar d’AKEL (Parti progressiste des travailleurs, Chypre). Le Parti communiste d’Espagne et la Gauche unie d’Espagne perdent leur représentation au Parlement, ce qui est historique. Le PTB (Parti du travail de Belgique) est de ce point de vue une exception qui se rapporte à la crise politique et sociale belge. D’autres partis importants dans l’histoire de la gauche européenne sont affaiblis et essuient des déconvenues électorales en série, à l’image de Die Linke.

« La reconstruction d’une culture politique commune européenne à gauche, fondée sur les différentes réalités nationales, est un des leviers pour relever la gauche en Europe. »

La première conséquence concerne le groupe lui-même. L’héritage de son fonctionnement confédéral qui a permis sa création et le maintien de son unité, n’est plus qu’un souvenir. Cela n’est pas uniquement une question de procédure interne. C’est une conception très différente de la politique qui préside à l’émergence d’une voix de gauche en Europe. Soit les différentes sensibilités et contextes nationaux sont respectés et servent de tremplin à concevoir des politiques et des actions communes : c’est le principe du confédéralisme, c’est la conception des communistes mais aussi d’autres partis non communistes qui ont rejoint le groupe parce que le pluralisme y a été respecté. Soit une conception centraliste et fédéraliste s’impose d’en haut aux partis nationaux : c’est la vision de la France insoumise et de ses alliés.

La seconde conséquence est l’annonce de la création d’un nouveau parti de gauche en Europe, composé d’un rapprochement entre les populistes de gauche et la gauche nordique. La base politique est assez minimale et aucun congrès constitutif n’a encore été annoncé, bien qu’une direction semble avoir émergé. Cela crée pour le PCF et les communistes plusieurs défis majeurs.

Défis pour le PGE

Le premier est de réformer le Parti de la gauche européenne (PGE). Le débat est désormais ouvert, tant sur le contenu politique que sur celui de son fonctionnement. Le PGE demeure, en nombre de partis représentés, le principal parti de gauche en Europe. C’est aussi le seul où les communistes ont leur place. Le fonctionnement au consensus doit être préservé. Surtout, il faut remettre au cœur des débats et des actions communes les questions des rapports capital/travail et d’une politique de paix et de sécurité collective en Europe.

Le deuxième est de trouver, entre partis communistes, membres ou non du PGE, les modalités d’un dialogue, d’une réflexion et d’une action convergentes. La plate-forme électorale adoptée lors de la campagne de juin 2024 peut servir de base. Quoi qu’il en soit, chacun dans son contexte national propre, est confronté à des questions communes. Des initiatives politiques devront être prises prochainement dans ce sens.

« Il faut remettre au cœur des débats et des actions communes les questions des rapports capital/travail et d’une politique de paix et de sécurité collective en Europe. »

Le troisième est de renforcer la coopération avec les forces syndicales et citoyennes, et avec les autres familles de la gauche, sur la base d’un travail sur le contenu politique et autour d’une question centrale : comment gagner la bataille des idées contre la droite et l’extrême droite et comment rouvrir un chemin d’espoir, de progrès et de paix pour les peuples européens ? De ce point de vue, le forum européen des forces de gauche, dont l’édition annuelle s’est tenu à Budapest du 8 au 10 novembre, est important.

Reconstruction d’une culture commune de la gauche européenne

Enfin, se pose la question de reconstruire une culture commune de la gauche. Il faut reconnaître que, sous le poids des crises nationales et de la crise européenne, l’espace pour une alternative de progrès et d’émancipation s’est brouillé. La dimension européenne n’est plus forcément reconnue avec évidence comme un lieu d’intervention politique. La culture politique d’une élaboration commune à gauche en Europe s’est affaiblie. Les ambitions hégémoniques se sont renforcées. La brutalisation des rapports politiques a également déteint sur les relations entre organisations politiques au sein même de la gauche européenne. Or la question n’est pas de juxtaposer des projets nationaux les uns aux autres, pas plus qu’elle n’est dans l’élaboration d’un projet commun désincarné et abstrait, incantatoire et sans moyens politiques et financiers de le réaliser. Elle n’est pas non plus de sublimer un modèle ou une organisation. L’affrontement des ambitions hégémoniques est mortel pour la gauche européenne. L’affaiblissement de la connaissance mutuelle sur la réalité politique des différentes situations nationales est un poison. La reconstruction d’une culture politique commune à gauche, fondée sur les différentes réalités nationales, est un des leviers pour relever la gauche en Europe.

Vincent Boulet est membre du comité exécutif national, chargé des relations internationales du PCF. Il est vice-président du Parti de la gauche européenne.

Cause commune n° 41 • novembre/décembre 2024