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La précarité et la pauvreté inculquent aux jeunes une docilité à l’égard de l’ordre des choses. Travailler les propositions pour les jeunes dans une perspective de long terme permettant de donner à voir le combat communiste pour l’avenir et l’émancipation humaine est une urgence face au risque que représentent d’autres réponses au désarroi des jeunes.

«J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » La formule de Paul Nizan est d’une sinistre actualité. Si la crise amplifie la précarité des jeunes, cette fragilité n’est pas nouvelle. Les jeunes sont les premières victimes de la crise. Sans capital propre, ils subissent de plein fouet la loi du marché. Premiers à être embauchés de façon précaire, les jeunes sont considérés comme une variable d’ajustement par les em­ployeurs, qui les compressent en période peu favorable ou en temps de crise. Ainsi la précarité des jeunes s’aggrave au fil des années. Le taux de pauvreté des 18-29 ans est celui qui a connu la plus forte progression ces quinze dernières années, passant de 8,2 % à près de 13 % entre 2002 et 2018. En 2018, les 18-29 ans représentaient 38 % des contrats précaires. En 2019, 52,7 % des 15-24 ans étaient employés en CDD. La précarité est bien devenue la règle chez les jeunes. Pour la majorité d’entre eux l’insertion durable dans l’emploi ne se fait qu’après plusieurs années de stages et de contrats courts. Cette règle de la précarité n’est pas une question annexe du changement de société. La précarité et la pauvreté inculquent aux jeunes une docilité à l’égard de l’ordre des choses et en font une question politique pour le présent comme pour le futur. Agir sur le présent et faire émerger un autre avenir pour la jeunesse est essentiel pour construire l’alternative au système.

« Le communisme en tant qu’étiquette politique ne recueille que 35 % d’opinions positives (43 % chez les ouvriers ; 53 % chez les non-diplômés), alors que 83 % des jeunes sondés affirment que “la lutte des classes est toujours une réalité aujourd’hui”. »

En 2020, un sondage de L’Humanité a montré que les aspects néfastes du capitalisme sont désormais admis par une grande part des jeunes. Sur de nombreux sujets, l’incapacité du capitalisme à répondre aux défis de notre temps est désormais audible chez les jeunes. Le capitalisme construit une société du no future : pas d’avenir social. Pas d’avenir environnemental non plus, tant que le profit garde une priorité de fait sur notre écosystème. Cette logique du no future plonge de plus en plus de jeunes dans une détresse psychologique. Avant la crise, le suicide était déjà la deuxième cause de décès chez les 15-24 ans, selon l’OMS. Une enquête sur la santé et la consommation de 2019 montre que « plus d’un jeune sur dix a déclaré avoir pensé au moins une fois au suicide au cours des douze derniers mois ». La crise amplifie ce phénomène. Selon une enquête IPSOS de 2021, 47 % des 22-24 ans montrent des signes de « troubles anxieux généralisés ». À quoi s’ajoute l’augmentation des dépendances aux stupéfiants. 31 % des jeunes disent que leur dépendance à l’alcool, au tabac ou à la drogue a gagné du terrain depuis le confinement.
Les jeunes : des sous-citoyens ?
Le capitalisme réduit la capacité des jeunes à se projeter dans l’avenir. Face à la précarité endémique des jeunes, les gouvernements successifs ressassent les mêmes recettes : apprentissage, alternance, contrats aidés, exonérations de cotisations sociales pour les entreprises. Voilà des années que la jeunesse est présentée comme un problème. Emmanuel Macron ne déroge pas à la règle. Avec la crise le présent gouvernement a mis en œuvre un plan spécifique pour les jeunes, aides à l’embauche sans réelle contrepartie sociale. Le dispositif pousse à la multiplication de contrats qui par leur masse entraînent un nivellement par le bas général des conditions d’entrée des jeunes dans la vie active. Le recours abusif à ce dispositif, en lieu et place du contrat de travail ordinaire, révèle une indigence de la réflexion politique sur le long terme concernant la jeunesse et va à rebours du revenu stable légitimement réclamé par les jeunes. Alors que la majorité des jeunes aspire au CDI comme condition nécessaire à la construction de sa vie, par ses « solutions » court-termistes le pouvoir en place continue de faire de la jeunesse une catégorie à part à laquelle le droit commun ne s’applique pas.

« Un jeune peut être sensible aux injustices subies par le peuple palestinien et, dans le même temps, céder aux discours moralistes de la droite, stigmatisant son voisin chômeur
au nom de “la France qui se lève tôt”. »

Tout est fait pour humilier la jeunesse, la précariser au point de l’obliger à accepter n’importe quoi, à n’importe quel prix. On demande aux jeunes d’intégrer le fait qu’un CDI n’est plus la règle mais l’exception, qu’il se « mérite ». Cette humiliation permanente des jeunes, on la retrouve actuellement jusque dans des discours qui en font le premier vecteur de la propagation virale. Le discours dominant considère les jeunes comme des inconscients, des sous-citoyens incapables de construire notre avenir. Comme le pointe le rapport de la commission parlementaire dirigée par Marie-George Buffet, les jeunes sont peu, pour ne pas dire pas associés à la construction des dispositifs mis en place à leur intention. Cette incapacité à faire des jeunes des partenaires pour définir les politiques a bien souvent pour effet de rendre ces politiques inopérantes. Le rapport d’enquête parlementaire annonce qu’en décembre 2020, 23 % des jeunes déclaraient ne pas avoir bénéficié d’aides auxquelles ils avaient droit, soit 5 points de plus qu’en 2016.
Les jeunes sont infantilisés politiquement, alors que la société de consommation en fait, elle, des adultes. Elle attise un désir de consommation qu’ils ne peuvent assouvir et qui exacerbe les tensions entre eux, faisant croître, bien souvent à leur corps défendant, l’individualisme et la mise en concurrence. Les réformes éducatives poussent d’ailleurs dans le même sens en faisant de l’entrée en concurrence le seul moyen de réussite, en faisant juger acceptable que la réussite des uns se paie par l’échec des autres. Cette concurrence extrême génère de plus en plus de violence. Or, contrairement à cette tendance, les jeunes montrent par leurs mobilisations pour le climat qu’ils sont mus par d’autres motivations à potentiel transformateur. Dans ce combat, selon le sondage de L’Humanité déjà cité, ils sont 58 % à estimer que « le système capitaliste est le principal responsable du réchauffement climatique ». Cette capacité des jeunes à poser la question de notre devenir commun, tout en identifiant un capitalisme qui nous envoie dans le mur, montre son potentiel transformateur et la nécessité pour le capital de les museler.

Reproduction de la confusion
Nous l’avons dit, la précarité est un élément structurant des conditions de vie des jeunes. Mais même si cette précarité est commune à une grande majorité de la jeunesse, cela ne suscite pas spontanément un front de lutte commun. Il existe des jeunesses car il existe de nombreux degrés de précarité. Et, plus la précarité grandit, plus la mise en concurrence devient forte, plus les fossés se creusent. Ceci n’est pas sans conséquences sur la vision qu’ont les jeunes de l’action politique en termes d’efficacité, d’innovation ou d’espoir. Toutes les politiques menées contribuent à inscrire les jeunes dans l’éphémère. Ils ne s’inscrivent pas dans une histoire collective ; ils vivent dans l’instant. Le rapport à l’histoire, qui fonde un engagement, est de ce fait perturbé. On adresse aux jeunes un récit culpabilisant, qui n’est pas leur histoire, ni celle de leurs parents...

« La capacité des jeunes à poser la question de notre devenir commun,tout en identifiant un capitalisme qui nous envoie dans le mur, montre son potentiel transformateur et la nécessité pour le capital de les museler. »

Ce caractère éphémère est d’ailleurs un trait marquant de la société de consommation, qui s’étend aujour­d’hui jusqu’à la politique : les positions « ni gau­che ni droite » se multiplient, on zappe dans l’éventail politique selon les sujets et les propositions. Un jeune peut être sensible aux injustices subies par le peuple palestinien et, dans le même temps, céder aux discours moralistes de la droite, stigmatisant son voisin chômeur au nom de « la France qui se lève tôt ». Ce morcellement idéologique apparaît clairement dans le sondage de L’Humanité, qui montre que 68 % des jeunes plébiscitent les services publics, tout en ayant une vision positive de la concurrence à 61 % et du libre-échange à 75 %. Ce sondage marque aussi un fort attachement aux principes et valeurs qui fondent l’engagement communiste. Ainsi, les jeunes ont une vision positive du partage, de l’égalité et du progrès social, valeurs qui arrivent en tête, de 78 % à 83 %. Ils approuvent largement que « les travailleurs doivent pouvoir décider des choix de leur entreprise » à 75 % ; ou que « des secteurs comme la santé, l’éducation ou le logement ne doivent pas être soumis à la concurrence et à la compétition économique » à 78 %.

Communistes sans le savoir
Le communisme en tant qu’étiquette politique ne recueille pourtant que 35 % d’opinions positives (43 % chez les ouvriers ; 53 % chez les non-diplômés), alors que 83 % des jeunes sondés affirment que « la lutte des classes est toujours une réalité aujourd’hui ». La contradiction est frappante. Elle appelle à travailler les propositions pour les jeunes dans une perspective de long terme permettant de donner à voir le combat communiste pour l’avenir et l’émancipation humaine. C’est bien le sens du communisme qu’il faut reconstruire afin de bâtir une autre étape de la réponse politique. Ce travail est une urgence face au risque que représentent d’autres réponses au désarroi des jeunes. Pour rappel, 23 % des moins de 35 ans qui ont voté, ont voté pour Marine Le Pen en 2017.
Les manifestations des jeunes de 2019 pour le climat sont une démonstration de leur force de mobilisation. En revendiquant leur droit à un avenir sur une planète saine, les jeunes grévistes du climat ne s’attaquent pas seulement à l’apathie des décideurs mais font converger les luttes environnementales, sociales et féministes, et portent un rejet général du système en place, de ce « conte de fées d’une croissance économique éternelle », dénoncé par Greta Thunberg. Les jeunes sont donc loin d’être dépolitisés ou apathiques d’un point de vue civique. Leur intérêt pour la politique s’exprime dans un climat de défiance envers le système ou le personnel politique. Cette défiance révèle une panne de projet politique pour les jeunes. Si l’engagement des jeunes dans les partis politiques est en crise, il ne faut pas oublier que tous les partis politiques ne sont pas de même nature : la place de la jeunesse dans un parti révolutionnaire ne peut être la même que chez ceux qui veulent conserver les structures du système. La réflexion sur les pratiques militantes doit se mener en lien avec la visée, afin de mettre en lien ambitions pour la jeunesse et gestes du quotidien. Il existe un besoin d’immédiateté et de concret dans l’engagement des jeunes. Il faut prendre ces aspects en compte pour répondre à leurs aspirations, redonner confiance dans l’engagement politique et gagner en crédibilité. C’est dans ce sens que Fabien Roussel a initié un pacte pour la jeunesse.
La jeunesse est en quête d’un horizon différent, qu’elle n’appelle pas « communisme », mais les valeurs auxquelles elle adhère sont pour une large part celles du communisme.

Émilie Lecroq est membre du comité exécutif national du PCF. Elle est responsable
du secteur Jeunesse.

Cause commune • janvier/février 2022