Les jeunes communistes ont joué un rôle clé dans de grandes luttes de l’entre-deux-guerres et de la Résistance. La première génération de jeunes communistes belges a formé des groupes de militants dévoués et très soudés.
José Gotovitch est décédé il y a quelques mois. Nous dédions cet entretien à sa mémoire.
Entretien avec José Gotovitch
réalisé par Adrian Thomas
Adrian Thomas : À sa fondation en 1921, le Parti communiste belge (PCB) est un parti composé de jeunes militants. A-t-il été vite évident pour ses dirigeants de créer une Jeunesse communiste, distincte du parti ?
José Gotovitch : C’était une consigne de l’Internationale communiste. L’IC joue un rôle clé dans la structuration de ces nouveaux partis. Ce sont en effet surtout des jeunes qui fondent le PCB. Le cofondateur, Joseph Jacquemotte, et ses amis syndicalistes sont trentenaires mais dénotent parmi les autres cadres, âgés d’une vingtaine d’années. À la différence du PCF, ce ne sont pas des anciens combattants de la guerre de 14-18. Ce sont surtout des chômeurs et des ouvriers, plutôt francophones. À part Joseph Jacquemotte, qui est syndicaliste, ils ont très peu de liens avec les masses. Le PCB naît comme un parti marginal, d’à peine cinq cents membres. Sa première décennie est dure.
Beaucoup de jeunes militants viennent pourtant des JGS (membres de la Jeune Garde socialiste). L’un d’eux, Henri de Boeck, fonde à 18 ans, la première JCB, qu'il dirige jusqu'en 1928 avant de prendre la tête du PCB jusqu’en 1934, avec un ouvrier de trois ans son cadet. Ces parrains du parti ont 25 et 27 ans.
La JCB tente de s’implanter dans les bassins ouvriers du pays, mais sans succès. En 1923, elle compte seulement trois cents adhérents, quand la JGS en réunit quinze mille.
AT : Pourquoi avoir séparé dans votre livre les Étudiants communistes des Jeunesses ? Qu’est-ce qui les différencie ?
JG : Il y a une fracture sociale totale entre les étudiants et la société. C’est un monde petit-bourgeois réactionnaire et restreint (neuf mille étudiants dans quatre universités en 1920), qui vit en vase clos. C'est en son sein que sont recrutés les briseurs de grèves. L’enseignement universitaire reproduit simplement les élites. Ce n’est vraiment pas un environnement qui produit des militants de gauche. Il a fallu du temps avant que le PCB le considère comme terrain de lutte viable. De manière générale, les étudiants et les autres jeunes communistes se fréquentent peu. Ils n’ont ni la même origine sociale, ni la même culture, ni les mêmes préoccupations, même s’ils peuvent se retrouver à de nombreux événements.
À l’université de Gand, des noyaux étudiants d’extrême gauche se forment aasez tôt et tiennent tête aux puissantes ligues nationalistes. Ils arrivent à s’entendre avec des groupes non catholiques, contre l’hégémonie cléricale alors écrasante. Le combat pour la laïcité facilite le ralliement à gauche et l’émergence de porte-paroles au sein du campus.
« La liberté d’organisation et d’expression revient beaucoup dans les discours des jeunes communistes mais ces plaintes signent un aveu d’échec à s’implanter durablement sur un terrain où la démocratie n’existe pas. »
À Liège, c’est l’opposé. Les catholiques gardent férocement l’université et mènent activement la chasse anticommuniste. Les quelques jeunes socialistes sont peu solidaires des communistes. C’est étonnant car Liège est un bastion de la gauche. Mais sa forte imprégnation politique ne déteint pas du tout sur l’université. La lutte sociale se mène dans les banlieues ouvrières.
À Louvain, c’est encore plus dur. Il y a néanmoins un petit cercle, orienté vers les chrétiens progressistes et les étrangers.
Les actions de ces cercles sont irrégulières et tournées sur la diffusion de la presse. Les thèmes tournent beaucoup autour de l’actualité internationale. Ils invitent aussi des personnalités, pas seulement du PCB, à tenir des conférences sur des sujets variés.
C’est à l’université de Bruxelles que les étudiants communistes parviennent le mieux à s'implanter. Lorsque le président du cercle étudiant de l’université libre est arrêté en 1931 à Rome avec des tracts antimussoliniens, le virage de l’université libre de Bruxelles contre le fascisme prend forme. Un grand mouvement soutenu par le recteur s’organise pour réclamer sa libération. Les jeunes communistes sont reconnus auprès de la majorité des étudiants. Des actions unitaires s’ensuivent et la fusion avec les étudiants socialistes, dans le cadre de la dynamique de Front populaire, va brasser fraternellement beaucoup de militants de gauche (1934 à 1938). Ces précieuses sociabilités se transformeront en résistance durant la guerre.
« Les militants sont inscrits sur des listes noires qui circulent entre gros employeurs. »
Bien que les étudiants communistes ne recrutent jamais des foules à l’université, bon nombre de jeunes intellectuels se forgent une conscience révolutionnaire qui les marquera pour le reste de leur parcours, en cultivant une véritable camaraderie envers le PCB. Parmi ces compagnons de route se trouveront de grands avocats, des journalistes et des fonctionnaires d’État.
AT : Les jeunes communistes veulent montrer leur solidarité avec la classe ouvrière dans ses combats. Par exemple lors de la grève des mineurs de 1932, certains d’entre eux parcourent le Borinage en vélo entre les piquets de grève des charbonnages.
JG : À la différence de la JGS, la JCB ne se centre pas sur l’édification de sections par quartier mais tente davantage de pénétrer quelques usines. C’est bien plus compliqué en pratique mais c’est intrinsèque à leur modèle léniniste. La JCB ne parvient cependant à percer qu’un peu dans la sidérurgie liégeoise, dans des charbonnages du Centre et à la poste bruxelloise. Mais ce ne sont que quelques militants par-ci par-là, avec une activité en dents de scie. Les masses viendront après 1936.
La grève des mineurs en 1932 permet au PCB de s’implanter et de constituer ses premiers bastions. C’est une lutte de classes très dure, qui s’achèvera en demi-teinte mais qui préparera le raz-de-marée de 1936 où nombre de conquêtes sociales seront gagnées.
« L’adhésion des immigrés au PCB est une des voies d’assimilation au pays. Les communistes les intègrent en les faisant participer aux luttes nationales. C’est pour les juifs une sortie allégorique du ghetto. »
La JCB joue un certain rôle dans la grève de 1932. Les jeunes militants servent d’agents de liaison entre les piquets de grève, pour coordonner les actions. La JCB, dirigée par un ouvrier de 19 ans chassé de son usine pour syndicalisme, s’illustre en effet durant la grève par ses brigades cyclistes de choc. Le vélo est à l’époque le mode de transport ouvrier par excellence. La JCB l’a très vite adopté dans son arsenal politique. Non seulement les jeunes communistes organisent des compétitions cyclistes mais parcourent aussi en vélo les quartiers ouvriers avec pancartes, sirènes et clochettes pour annoncer leurs meetings. La JCB met sur pied en 1932 des cortèges de cyclistes en provenance de Bruxelles avec même le renfort du PCF du Nord. Elle développe également avec succès une expérience pionnière de « piquets rouges », avec des socialistes, alors que les deux partis ne se parlent pas. Son investissement dans ce mouvement lui permet de tripler ses effectifs.
Des maladresses de la JCB mais surtout la grande répression policière et patronale empêchent toutefois les communistes de consolider leurs acquis. Leur matériel d’édition est saisi lors de multiples perquisitions. Jusqu’à cent quatre-vingt-sept militants sont arrêtés, dont bon nombre de dirigeants. Certains seront poursuivis en procès. Pire, un jeune ouvrier est tué par un gendarme. L’armée occupe les quartiers ouvriers révoltés. Les communistes sont désorganisés. C’est la réorientation sur l’antifascisme et la ligne unitaire du Front populaire à partir de 1934 qui va leur permettre de décoller en engrangeant des succès de masse, en premier lieu au sein de la jeunesse travailleuse.
AT : Une des grandes particularités de la JCB est sa mixité. Garçons et filles sont partout bien sagement séparés mais pas à la JCB. Au-delà de cet avant-gardisme, quelle place les filles tiennent-elles dans l'organisation ? Certaines ont-elles des responsabilités ?
JG : À l'époque les femmes étaient cantonnées à un rôle ménager étroit. Il était très mal vu de s’en éloigner. La JGS a tenté de constituer une branche féminine, mais sans persévérer. Les jeunes communistes misent, eux, de prime abord sur un recrutement ouvert. Leurs camps d’été sont mixtes, ce qui est osé pour l’époque. Il y a cependant peu de filles. On les voit dans les cortèges mais rarement en nombre. La JCB dispose quand même d’un certain ancrage féminin dans le textile frontalier de Lille (Mouscron-Comines), surtout grâce à l’influence toute proche du PCF, car les filatures engagent beaucoup de jeunes filles. Mais peu de militantes deviennent des figures emblématiques ou des dirigeantes. Il faut toutefois relever la présence constante de femmes au sein des instances de la JCB depuis sa fondation.
« Toute la direction de la JCB a été liquidée sous l’occupation. Il a fallu repartir de zéro après la guerre. »
Des femmes communistes jouent un rôle important dans l’entre-deux-guerres. Fanny Beznos, occupe une fonction clé à la tête de la JCB (1928-1933), tout en gérant la librairie du parti. Buntea Crupnic, plus jeune, émigrée de Roumanie, rejoint dès son arrivée en Belgique la direction de la JCB. Elle sera ensuite également requise par le parti et l’Internationale communiste pour des missions délicates, préparant peu avant la guerre l’appareil clandestin du PCB. Elle aurait même joué un rôle pivot dans l’Orchestre rouge, la grande toile d’araignée d’espions communistes reliés dans toute l’Europe, qui a fourni de si précieux renseignements à l’Armée rouge.
AT : Une autre caractéristique remarquable de la JCB est qu’on y trouve beaucoup de réfugiés, issus des quatre coins de l’Europe (Italie, Yougoslavie, Europe centrale), quelles sont les raisons qui expliquent leur adhésion ? La JCB facilite-t-elle leur intégration à la Belgique ?
JG : C’est en effet une particularité originale. Les autres partis ne cherchent pas à les accueillir, tandis que le PCB crée des cellules spéciales (la main-d’œuvre immigrée) comme antichambre du parti. Les migrants sont parfois même majoritaires dans certaines sections. Si les premiers Italiens se regroupent dans leur propre fédération au PCB, les Juifs d’Europe centrale se fondent rapidement au sein du parti. On en trouve beaucoup à Anvers et à Bruxelles, points de chute de l’immigration. Ce sont des réfugiés politiques qui ont découvert le communisme dans leur pays d’origine avant de fuir la tyrannie. Ils poursuivent leur engagement au PCB qui est la section belge de l’IC. L’attrait envers l’URSS est aussi un facteur unificateur. On retrouve aussi des Espagnols et des Allemands, victimes du fascisme. D’aucuns cherchent à se mettre à l’abri avec le rêve de revenir chez eux après la dictature mais d’autres pensent plutôt à rester en Belgique, malgré les grandes difficultés d’insertion et le racisme ambiant.
« Bien que les étudiants communistes ne recrutent jamais des foules à l’université, bon nombre de jeunes intellectuels se forgent à cette école une conscience révolutionnaire qui les marquera pour le reste de leur parcours, en cultivant une véritable camaraderie envers le PCB. »
L’adhésion de ces immigrés au PCB est une des voies d’assimilation au pays. Les communistes les intègrent en les faisant participer aux luttes nationales. C’est émancipatoire. C’est une sortie allégorique du ghetto. Moi-même, quand j’étais enfant, j’ai fréquenté des mouvements de jeunesse juifs (laïcs et communistes) puis je suis entré à 18 ans aux pionniers du PCB. En deux ans, j’ai migré de la rue juive à la rue belge. J’ai découvert un monde que mes parents ne connaissaient pas et des gens que je n’aurais pas rencontrés en dehors de leur communauté. J’ai pris goût à l’histoire grâce aux conférences du parti. Grâce à la sociabilité militante, ces migrants s’intègrent dans les structures socioculturelles belges, souvent par le travail et le syndicalisme, du moins s’ils ne sont pas expulsés. Cette intégration se poursuivra après la guerre.
AT : Les jeunes communistes sont confrontés à une sévère répression de toutes parts, que ce soit de l’armée, de la police, de la justice, du patronat mais aussi des rectorats universitaires.
JG : La Belgique s’inscrit clairement dans un anticommunisme d’État. C’est marquant lors du procès en 1923 du « complot contre l’État ». Parmi les cinquante-quatre communistes arrêtés se trouvent beaucoup de jeunes militants. C’est une tentative ratée d’étouffement de la contestation par la voie légale. Malgré de grands moyens déployés par la Sûreté de l'état pour les surveiller et par les Parquets pour leur imputer des accusations délirantes, les communistes ne se laissent pas faire, se défendent, captent le soutien d’une partie de l’opinion publique et finissent par être acquittés. C’est un camouflet pour la magistrature, qui n’attaquera plus que rarement la contestation de front mais par les flancs. On arrêtera par exemple pour « outrage à la famille royale », et non pour fait de grève.
« C’est la réorientation sur l’antifascisme et la ligne unitaire du Front populaire à partir de 1934 qui va leur permettre de décoller en engrangeant des succès de masse, en premier lieu dans la jeunesse travailleuse. »
L’anticommunisme se manifeste aussi dans l’enseignement. La répression rectorale est méthodique à l’université. Les recteurs exigent en effet le dépôt des listes de membres des comités estudiantins. Dans l’enseignement technique, où la JCB tente de pénétrer les écoles industrielles, la répression est sévère. Les élèves recrutés sont vite expulsés. Les établissements scolaires restent globalement inaccessibles à la JCB.
Dans les casernes, l’armée surveille attentivement les approches communistes auprès des jeunes conscrits. La JCB distribue de petits journaux dans les cafés de soldats mais les officiers n’hésitent pas à flanquer au cachot les séditieux, voire à en envoyer en cour martiale. Deux jeunes communistes sont ainsi jugés pour désertion. Le secrétaire bruxellois de la JCB est condamné à des mois de prison pour avoir appelé les soldats à retourner leurs armes contre la bourgeoisie. L’antimilitarisme est important en raison de la crainte que l'armée soit envoyée dans une guerre contre l’URSS. C’est un trait d’union avec les JGS qui luttent aussi sur ce thème. Ce combat connaîtra son apogée en 1950 avec la bataille contre l’allongement du service militaire et la détention d’un jeune marin communiste d’Ostende. De même la JCB critique le colonialisme en s’indignant des sanctions prises contre des soldats et marins congolais jugés pour indiscipline.
« La JCB dispose d’un certain ancrage féminin dans le textile frontalier de Lille (Mouscron-Comines), »
Mais la plus forte répression a pour cadre le terrain de la lutte des classes, dans les usines, où la JCB ne parvient pas à s'ancrer durablement. C’est perceptible en premier lieu dans leur propagande car la dénonciation de l’autoritarisme y est centrale. Les périodiques de la JCB sont souvent axés sur l’expulsion de leurs membres des ateliers ciblés par leur stratégie. La liberté d’organisation et d’expression revient beaucoup dans leurs discours mais ces plaintes signent un aveu d’échec à s’implanter sur le long terme sur un terrain où la démocratie n’existe pas. Si les chômeurs sont particulièrement nombreux au sein du PCB, c'est surtout à cause de la chasse systématique des communistes par le patronat. Les militants sont inscrits sur des listes noires qui circulent entre les gros employeurs. Pour les traquer efficacement mais illégalement, le patronat crée des réseaux secrets et fiche massivement les ouvriers rebelles. De riches magnats industriels et des patrons charbonniers en sont les principaux bailleurs de fonds. D’autres réseaux patronaux feront florès après-guerre en finançant des barbouzes.
AT : Un leitmotiv revient sans cesse chez les jeunes communistes, c’est leur relation avec les JGS. La question revient invariablement à l’ordre du jour. Sont-ils parvenus à se comprendre ?
JG : La JCB et la JGS ont toujours eu cette relation « je t’aime, moi non plus », même si le ratio était très inégal. Des contacts, voire de la camaraderie, mais pas longtemps. Les dirigeants de la JGS sont farouchement anticommunistes et la JCB le leur rend bien. Les communistes s’en sont longtemps tenus au recrutement de JGS à la base ou au noyautage des sections par des « sous-marins », c’est-à-dire des militants socialistes bolchévisés. Le secrétaire brabançon des JGS essaye jusqu’à son exclusion fin 1927 de pousser à gauche ses camarades socialistes, avant de prendre de grandes responsabilités au PCB et d’en devenir le dirigeant (1939-1943). Cette stratégie d’infiltration ne remporte pas de succès très probants, si ce n’est le retournement ponctuel de quelques brillants militants, comme le secrétaire socialiste des JGS bruxellois. Mais d'autres font le chemin inverse. Un dirigeant de la JCB deviendra en 1963 ministre socialiste de la Justice et instaurera des lois de maintien de l’ordre, pour éviter que la grande grève de 1960-1961 ne se répète. Les parcours peuvent donc être contrastés.
L’union des jeunesses de gauche a aidé leurs partis tutélaires à se tendre la main. C’est un mouvement qui se conçoit d’abord au niveau mondial par la priorité antifasciste de l’IC. Sans l’Espagne, il n’y aurait pas eu de rapprochement. La gauche s’est unie pour de grandes collectes de vivres, de vêtements, voire d’armes, pour les républicains espagnols. Cet élan fraternel a permis de dépasser un temps les conflits JGS-JCB, à la satisfaction du PCB, et a abouti en 1936 à la fusion des deux organisations en JGS unifiés. Mais cette union a surtout existé à Liège, Bruxelles et dans le Centre. La majorité des fédérations JGS l’ont refusée par anticommunisme. Le Parti ouvrier belge (POB) a d’emblée été sceptique, et a mis des conditions strictes à la fusion : par exemple, les communistes sont privés de postes dirigeants. Sa direction craignait fort la contagion communiste et n’avait pas tort, car de jeunes socialistes prometteurs sont passés au PCB. La JGSU a disparu avec la victoire de Franco. C’était difficile pour les jeunes socialistes d’être en porte-à-faux avec leur direction. Mais cette expérience se révélera profitable ensuite dans les multiples réseaux de la Résistance.
AT : Beaucoup de résistants durant la Seconde Guerre mondiale sont très jeunes. La JCB a-t-elle été un incubateur de militants clandestins ? La guerre d’Espagne semble avoir un rôle marquant dans ce processus.
JG : Oui, à tel point qu’on trouve très peu de jeunes communistes d’avant-guerre à la Libération car cette génération a vite rejoint la Résistance et beaucoup y ont laissé la vie. Toute la direction de la JCB a été liquidée sous l’occupation allemande. Il a fallu repartir de zéro après la guerre. Il n’y a pas de continuité entre les deux époques. La Gestapo a été cruellement efficace, surtout lors des rafles de 1943 qui ont décapité le PCB. Les jeunes communistes qui ont participé aux brigades internationales en Espagne ont une expérience de guérilla qui leur a permis de se joindre rapidement à la formation du bras militaire du PCB sous l’occupation, les Partisans armés. Mais pas de manière généralisée. Les ex-brigadistes ne sont pas des gamins qui cherchent l’aventure, ce sont pour la plupart de jeunes adultes mariés déjà inscrits dans la vie professionnelle. Et beaucoup de leurs compagnons ont laissé leur vie en Espagne. La MOI est aussi une des meilleures pourvoyeuses de résistants : bien des jeunes juifs qui n’ont plus rien à perdre la composent. Nombre d'entre eux sont également passés par les brigades.
« La crainte d’envoyer l’armée dans une guerre contre l’URSS nourrit l’antimilitarisme en outre trait d’union avec les jeunesses socialistes. »
Plus globalement, les jeunes communistes prometteurs ne restent pas longtemps à la JCB. Le PCB requiert constamment des renforts de sa jeunesse pour ses tâches de parti et dégarnit par conséquent la JCB. C’est un processus assez naturel mais qui freine son développement. On compte peu de personnalités marquantes, de porte-paroles mémorables, qui émanent de la JCB d’avant-guerre. Certains seront valorisés dans la mémoire du parti mais ce sera surtout en raison de leur sacrifice.
AT : Finalement, pourquoi avoir écrit une histoire de la JCB ? Vous étiez ému lors de la présentation du livre au CArCoB en évoquant une « dette ». Pouvez-vous l’expliquer ?
JG : Cet engagement a une résonance bien sûr forte chez moi puisque j’ai été membre des Pionniers et des Étudiants communistes. C’est un passage merveilleux de ma vie. J’ai été formé politiquement par cette école militante, j’en ai été constitué pour la suite de mon parcours. Notre enthousiasme pour le socialisme paraissait atteignable, nous pensions que nous allions vivre un changement profond de société. C’est l’esprit du titre (Allons au-devant de la vie) : c’est LA chanson par excellence du Front populaire, fredonnée autant sur les piquets de grève que dans les camps d’été durant les premiers congés payés. Les jeunes communistes ont été nourris de cet espoir. Notre combat avait du sens. C’est inoubliable. Je ne veux pas laisser perdre ce souvenir. C’est presque un devoir de le restituer quand on est historien et qu’on a accès à de précieuses sources. C’est le sens de la dette que j’ai évoquée. C’était une période formidable, traversée de courants d’une force inouïe, qui ne mérite pas d’être salie sous le couvert de l’anticommunisme. C’est un passé valorisant pour ceux qui l’ont vécu.
José Gotovitch était professeur honoraire d'histoire contemporaine à l'Université libre de Bruxelles.
Adrian Thomas est historien du syndicalisme belge.
Cet entretien est un résumé d'un plus grand format paru en septembre 2023 sur le site de la revue Lava.
José Gotovitch s'est éteint le 16 février dernier. Cet historien de renom a marqué la recherche dédiée à la Seconde Guerre mondiale et la Résistance (communiste en particulier) en Belgique. Enfant juif caché sous l'Occupation, jeune communiste puis pionnier dans bien des domaines de l'historiographie belge, Gotovitch aura enseigné de nombreuses années à l'ULB mais aussi à Nanterre avec Annie Kriegel. Il collaborera aussi beaucoup avec Serge Wolikow au grand projet du Maitron.
Cause commune n° 38 • mars/avril/mai 2024