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La pandémie a fait grandir la soif d’un « monde d’après ». Le confinement a dessillé des millions d’yeux quant à l’injustice de rémunérations si peu fondées sur l’utilité publique des métiers exercés. Une saine colère a grandi dont Pierre Dharréville se fait l’écho dans Les 10 commencements du jour d’après : « Il y a des choses que l’on ne pourra pas laisser passer. On interrogera ces retards, ces pénuries, ces consignes, ces mesures et ces non-mesures. » Au-delà, dans un opuscule destiné au grand public, L’après-capitalisme, Bernard Vasseur écrit même : « Ce qui sort des aspirations nées de cette épidémie et de cette crise sanitaire, ce n’est rien d’autre que, ce que Marx appelait pour sa part le communisme. » On pourrait ajouter l’ampleur considérable de la mobilisation antiraciste qui a soulevé le pays au lendemain du déconfinement ou le soutien maintenu aux personnels soignants et à leurs revendications.

« Pour la première fois depuis des décennies, l’une des deux élections rescapées de l’abstention de masse, avec la présidentielle, a vacillé : la participation aux élections municipales a chuté de vingt points. »

Et pourtant, pour la première fois depuis des décennies, l’une des deux élections rescapées de l’abstention de masse, avec la présidentielle, a vacillé : la participation aux élections municipales a chuté de vingt points. Assurément, la peur – conjoncturelle – de la maladie, a sans doute compté dans la raréfaction des sexagénaires et leurs aînés au sein des bureaux de vote – la chute est de trente points ! Mais est-on sûr que c’est elle qui a maintenu à distance du scrutin près de trois jeunes de 18-34 ans sur quatre ? Surtout, les couches populaires sont restées à la maison.
Après les petites larmes de crocodile rituelles (« cette abstention qui doit tous nous préoccuper », etc.), les commentateurs se sont rués sur les suffrages exprimés, de préférence dans les très grandes villes, diagnostiquant une « vague verte » tôt élevée au rang de phénomène national. C’était manquer complètement ce décrochage électoral historique, alors même que la colère et les rêves ont grandi si fort dans la dernière période.
C’est un véritable défi stratégique posé pour les communistes. Bien sûr, c’est le salariat tout entier, y compris ses massives couches moyennes, ce sont aussi les artisans, petits commerçants et auto-entrepreneurs que les communistes doivent œuvrer à rassembler dans une dynamique de dépassement de capitalisme. Ce n’est pas une formule de style et il n’est pas certain que nous fassions tout ce qui est possible en la matière. Pour autant, il n’y a aucune illusion à se faire : nous n’y arriverons pas sans la mobilisation des couches populaires. Même les socialistes tentés de faire le deuil des milieux populaires, sur les conseils de Terra Nova, en ont fait les frais lors des grands scrutins nationaux. Alors les communistes… Faut-il rappeler que les grandes heures électorales du Parti communiste correspondent aux moments d’abstention les plus faibles ? Regardez les taux de participation des élections municipales de 1977 si vous en avez la curiosité et frémissez en comparant avec 2020…


« Réfléchir à la mobilisation consciente du plus grand nombre pour une transformation révolutionnaire implique une réflexion spécifique qui sera d’autant plus forte qu’elle sera collective. »

Nous voici donc confrontés à un problème dur comme un silex et, faut-il ajouter, aux allures de paradoxe. Outre tout ce qui a été dit sur le mouvement des idées pendant le confinement ou sur les mobilisations sociales qui ont suivi celui-ci, il faut en effet rappeler, en amont immédiat, l’imposant mouvement de lutte refusant la contre-réforme des retraites et le fort soutien dont il a joui continûment dans le pays. Ce n’est pas par hasard ni charité que le MEDEF marque ses distances avec la volonté macronienne de ressusciter ce funeste projet que chacun croyait enterré.
Et pourtant, si peu ont cru bon, utile, nécessaire, indispensable d’aller voter aux élections municipales. On pourra souligner, à la suite de la politiste Céline Braconnier, que la politique sans politique ne permet pas de mobiliser les milieux populaires. C’est un fait certain : la dimension démocratique d’une élection ne tient pas tant aux bulletins qu’on compte un dimanche soir plutôt qu’au grand débat qui précède le scrutin et s’installe dans la population pendant la campagne. Là, les arguments cheminent, les idées croissent et se croisent. Il est vrai que ce moment a été particulièrement malmené pour ces élections municipales. Plus largement, d’ailleurs, combien de campagnes sont désormais réduites à des séquences minimales ? Rappelez-vous les européennes qui ne sont pas si loin : à partir de quel moment les grandes chaînes de télévision, la presse et même la plupart des partis politiques ont véritablement commencé à évoquer ces élections et leurs enjeux ?

« Nous ne partons pas de rien et les élections ou réélections victorieuses dans bien des communes ont sans doute déjà donné à voir des éléments de réponse qui méritent d’être connus et médités. »

Mépris de classe, présentation technocratique des questions… on le sait, les milieux populaires sont tenus, encore plus que les autres, à distance de la politique. Réfléchir à la mobilisation consciente du plus grand nombre – pour des élections, dans le cas de l’exemple ici développé, mais aussi pour toutes les autres formes d’action au moins aussi indispensables pour une transformation révolutionnaire – implique une réflexion spécifique qui sera d’autant plus forte qu’elle sera collective. D’autant que, malgré ce portrait vite brossé, nous ne partons pas de rien et les élections ou réélections victorieuses dans bien des communes ont sans doute déjà donné à voir des éléments de réponse qui méritent d’être connus et médités.
À suivre…

Guillaume Roubaud-Quashie, directeur de Cause commune.

Cause commune n° 18 • juillet/août 2020