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Le statut général de la fonction publique garantit le fonctionnaire, rouage important de la machine administrative, dans ses droits, son avancement et son traitement tout en faisant appel à sa responsabilité. Son élaboration a été jalonnée de débats sur les rémunérations et la spécificité des corps.

Le débat sur la nécessité d’un statut général de la fonction publique s’est installé au début du XXe siècle. Il est marqué par quelques étapes importantes, 1909, 1920, 1936 avant que, finalement, le gouvernement de Vichy publie, en septembre 1941 le tout premier statut général des fonctionnaires (de l’État) fondé sur les principes d’obéissance hiérarchique, d’allégeance au régime, – le droit de réserve y apparaît – insistant sur les devoirs, y compris moraux, des fonctionnaires. Ni le droit syndical, ni le droit de grève n’y apparaissent. Il est abrogé par une ordonnance du 9 août 1944.
L’historienne Jeanne Siweck-Pouydesseau relève trois origines différentes à ces tentatives, trois « grandes traditions ». La première relève de la tradition gouvernementale et hiérarchique. La seconde de la tradition socialiste et syndicale. La dernière, plus marginale reconnaît-elle, est influencée par la CFTC.

Une œuvre novatrice
Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ne prévoyait pas de réformes spécifiques pour la fonction publique, mais l’appel à une large démocratisation créait des conditions favorables à leur conception. Le 21 novembre 1945, Charles de Gaulle nomme Maurice Thorez ministre d’État chargé de la Fonction publique. Maurice Thorez, secrétaire général du très puissant Parti communiste français est très clair : « le fonctionnaire ne doit plus être le domestique du gouvernement livré à l’arbitraire ou au favoritisme mais seulement le serviteur de l’État et de la nation, garanti dans ses droits, son avancement et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité́, considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative ».

« Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ne prévoyait pas de réformes spécifiques pour la fonction publique, mais l’appel à une large démocratisation créait des conditions favorables à leur conception. »

C’est dans cet esprit qu’il confie à Jacques Pruja, syndicaliste des Contributions indirectes et secrétaire adjoint de l’Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT, l’animation d’une commission d’étude syndicale sur les fonctionnaires. Si Jules Jeanneney et Michel Debré ont entrepris de réformer la haute administration, c’est à la masse des agents que la commission pense. En décembre 1945, Jacques Pruja réunit une « équipe de camarades dévoués et d’esprit novateur » et propose une réforme de la fonction publique « dont le projet pourra paraître audacieux, voire révolutionnaire ». Une première partie concerne la réorganisation de l’infrastructure administrative. Une seconde « la rénovation des règles qui régissent la vie de la superstructure humaine ». Ce sera le statut général. Jacques Pruja met en avant comme source d’inspiration, le statut national des « civil servants » britanniques.
Le groupe de travail constitué par le ministre de la Fonction publique va se heurter à de nombreuses difficultés pour élaborer un projet.

Les positions syndicales
C’est tout d’abord la position de la Fédération générale des Fonctionnaires (FGTF-CGT qui devient l’UGFF) qui continue à revendiquer un « contrat collectif ». Présenté à son congrès, le projet va susciter un débat très vif. Alain Le Léap, nouveau secrétaire général de l’Union, est très favorable au projet, alors que la fédération des PTT, et plus généralement tous les syndicalistes membres des courants « Combat syndical » ou « Résistance ouvrière », qui vont progressivement se réunir dans la tendance Force ouvrière, souvent largement majoritaires dans les fédérations de fonctionnaires et dans celle des Services publics, y sont opposés. Ce débat interne à la CGT voit son apogée au congrès confédéral du 8 au 12 avril, avec l’intervention de Dominique Grimaldi de la Fédération PTT. Il est d’ailleurs significatif que Le Peuple, journal quasi quotidien de la confédération ne publie aucun article de fin 1945 à octobre 1946 sur la préparation et les débats autour du statut. Ce n’est que fin1946, sous le titre « la bataille que livrent les fonctionnaires », que, Pierre Neumeyer ancien secrétaire de la fédération écrira : « les fonctionnaires font ressortir que l’Assemblée constituante a voté, il y a à peine quelques semaines et à l’unanimité, le statut de la fonction publique qui prévoit que le traitement de base des échelles de traitement doit être établi en multipliant par le coefficient 120 un minimum vital dont le caractère a été nettement précisé dans la loi et au cours de sa discussion. Les fonctionnaires sont donc logiques et raisonnables en demandant que dans le calcul de l’augmentation actuelle il soit tenu compte de ces dispositions législatives. Comment comprendre cette distanciation? Sans conteste, la question des traitements est alors essentielle. Mais la position de Pierre Neumeyer est avant tout celle qui, quelques mois plus tard va mener à la création de Force ouvrière, dont il va d’ailleurs être un membre fondateur. Elle juge que les communistes ont pris le pouvoir à la CGT.
Finalement une motion présentée par six Fédérations de fonctionnaires obtient du congrès que la CGT soutienne le projet de statut.

Les refus de la haute administration
Puis c’est la forte réserve des hauts fonctionnaires et notamment du directeur de la Fonction publique, Roger Grégoire, à qui un premier projet a été transmis le 22 mars 1946. Relu et fortement critiqué par son directeur, le texte est amendé plusieurs fois. Soumis à l’avis du Conseil d’État, celui-ci, le 30 avril, apporte d’importantes modifications parmi les plus novatrices et les plus démocratiques. Il introduit des dérogations au Statut pour de grands corps de fonctionnaires, il introduit des réserves sur les facilités de promotion interne, limite la compétence des organismes paritaires, préconise une disjonction du texte sur le régime de retraites, etc. Le texte est à nouveau contesté lorsqu'il passe en Conseil des ministres le 12 avril 1946 et Maurice Thorez doit transiger sur la création d’un secrétariat général de l’administration qu’il abandonne. Il tient bon sur le reste.

« Maurice Thorez obtint du président du Conseil, Georges Bidault l’assurance que son projet sera présenté. Il sera adopté par l’Assemblée constituante le 5 octobre 1946 à l’unanimité. »

Enfin la présentation du projet devant les députés est contrariée par de nouvelles élections législatives et la présentation d’un contre-projet soutenu par le parti démocrate chrétien d’alors, de concert avec la CFTC. D’ultimes négociations ont lieu en septembre 1946. Finalement, Maurice Thorez obtint du président du Conseil, Georges Bidault, l’assurance que son projet sera présenté. Il sera adopté par l’Assemblée constituante le 5 octobre 1946 à l’unanimité, après seulement quatre heures de débat pour cent quarante-cinq articles, les responsables des groupes parlementaires socialiste, radicaux, et MRP se réjouissant que ce statut existe mais déclarent en même temps qu’ils entreprendraient sa révision dès qu’ils en auraient l’occasion. Cette courte discussion et sa promulgation in extremis avant l’entrée en vigueur de la IVe République font aussi argument chez les adversaires du statut qui est publié au JO le 19 octobre 1946.

Une grande conquête démocratique
Ce statut, comme l’écrit l’éminent juriste Jacques Chevallier, parachève le processus d’unification par la soumission des agents à des règles identiques. Il parachève également le processus de leur professionnalisation. Mais surtout, il fait du fonctionnaire un citoyen comme les autres, en lui donnant les mêmes droits que les autres salariés. Parmi ces droits, la syndicalisation.
L’uniformité n’est que de façade. Non seulement, un certain nombre de fonctionnaires sont placés explicitement hors du champ d'application du statut, qui ne s'étend pas aux agents des collectivités locales, mais encore les « statuts particuliers », pris pour chaque corps de fonctionnaires, peuvent, pour les grands corps administratifs (Conseil d'État, Cour des comptes, corps diplomatique, corps préfectoral), les enseignants, la police, les corps techniques, déroger aux dispositions du statut général « incompatibles avec les nécessités propres à ces corps ou services ». La prétention de construire un statut identique pour l'ensemble des fonctionnaires s'avère donc d'emblée illusoire et c’est l’une des raisons qui poussera à la naissance d’un nouveau statut en 1984. 

Dominique Durand est membre du conseil scientifique de l'IHS CGT de la fédération des services publics.

Cause commune n° 39 • juin/juillet/août 2024