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En janvier 2023, une rencontre des députés ultramarins a eu lieu à Cayenne, en Guyane. Cette initiative a notamment permis à ces élus d’aller au-delà de leurs divergences et d’approfondir les relations entre les représentants des différents territoires d’outre-mer.

Une ambition de faire peuple, de faire commun
L’initiative de Cayenne a vu le jour au soir de la niche parlementaire du groupe La France insoumise, à l’occasion des discussions sur une proposition de loi visant la réintégration des soignants non vaccinés. Quel que soit le groupe politique auquel nous étions rattachés au sein de l’Assemblée nationale, nous avons subi collectivement l’obstruction massive et éhontée menée par le gouvernement et l’avons vécue comme une humiliation.
Sans se concerter, nous nous sommes réunis lors d’une suspension de séance, et le constat qui a pu être établi ce soir-là a été le suivant : il n’est plus tenable, ni respectueux, de faire parcourir aux députés ultramarins des milliers de kilomètres pour que ces derniers se retrouvent ou bien humiliés, ou bien privés de tout levier leur permettant de peser dans l’hémicycle et de faire ainsi entendre les revendications des outre-mer.

« L’État français, dans le sens d’un système à la main d’un groupe d’hommes et de femmes souvent ignorants des réalités ultramarines, contribue, dans sa manière de traiter les dossiers ultramarins, à cliver les territoires d’outre-mer entre eux. »

Partant de ce constat, il a été proposé que les députés qui le souhaiteraient se réuniraient en janvier 2023 en Guyane afin d’envisager collectivement comment faire commun à l’Assemblée nationale pour peser dans les débats. Cette rencontre de Cayenne a été pour moi une très belle rencontre humaine : avec des députés de générations diverses, toutes et tous portés par la même ambition de faire sens, de faire peuple, de faire commun, pour des territoires pourtant séparés, pour certains, par des milliers de kilomètres. Ce séminaire a permis d’achever de nous convaincre que nous sommes portés au quotidien par davantage de points communs que séparés par des divergences. Pourtant, l’État français, dans le sens d’un système à la main d’un groupe d’hommes et de femmes souvent ignorants des réalités ultramarines, contribue, dans sa manière de traiter les dossiers ultramarins, à cliver les territoires d’outre-mer entre eux. Cette rencontre a permis de dépasser ces clivages, au demeurant subalternes, et sera renouvelée en septembre prochain à La Réunion. Certains peuvent y voir un acte de sédition, mais il ne s’agit là que d’un juste remodelage des relations qui doivent s’établir, s’approfondir et se maintenir entre les représentants des territoires dits d’outre-mer.

Les territoires d’outre-mer oubliés
La France, au travers de la voix de son ministre de l’Intérieur, a récemment déclaré que la République ayant aboli l’esclavage, les territoires d’outre-mer se devaient de l’aimer pour cette seule et unique raison. Il est important de rappeler à M. Darmanin que l’amour ne se témoigne pas sur injonction. Ces propos illustrent la situation subie par les outre-mer : nous évoquons régulièrement des discriminations, du racisme, mais il est important de rappeler que ces discriminations, ce racisme, sont institutionnels.
Sur un même territoire, deux populations sont présentes, celle composée des fonctionnaires qui bénéficient d’une prime de vie chère, et celle, majoritairement locale, qui n’en bénéficie pas. Pourtant, cette dernière frange de la population fait ses courses dans les mêmes supermarchés, dans les mêmes épiceries, règle les mêmes factures que la première. Discrimination, donc, entre une population que l’on divise sur un même territoire. Au plus haut sommet des institutions, cette discrimination est également prégnante. Toutes les lois examinées à l’Assemblée nationale évincent l’outre-mer et ne traitent ses composantes qu’à la marge. Les territoires ultramarins font par la suite l’objet de mesures spécifiques, le plus souvent par voie d’ordonnances. Pourtant chaque territoire est spécifique, qu’il soit ou non hexagonal. La Guyane, La Réunion, la Guadeloupe, ne sont pas plus spécifiques que la Bretagne, la Loire-Atlantique ou Aix-en-Provence.

« Faire parcourir aux députés ultramarins des milliers de kilomètres pour que ces derniers se retrouvent ou bien humiliés, ou bien privés de tout levier leur permettant de peser dans l’hémicycle et de faire ainsi entendre les revendications des outre-mer. »

C’est ce qui explique aussi le manque d’acculturation aux réalités ultramarines au sein de l’hémicycle : dès lors qu’ils ne traitent jamais des outre-mer, pourquoi les députés hexagonaux manifesteraient-ils un intérêt pour ces territoires et leurs populations ? Comment voulez-vous que les Français de l’hexagone s’intéressent à nos territoires dès lors que ceux-ci ne sont que très rarement évoqués dans les médias, dans la presse, dans les émissions ?

Affrontons nos peurs, ayons du courage
Ce mandat doit être celui que va nous permettre d’exploser le plafond de verre qui nous courbe le dos depuis trop longtemps. Il est temps pour nous de marcher droit et de nous regarder droit dans les yeux. Il est temps de faire valoir nos histoires, différentes de celle de la France hexagonale. Il est temps de rappeler ce que Frantz Fanon soulignait déjà en son temps : la colonisation comme la décolonisation ont constitué des phénomènes d’une extrême violence.
Qu’on le veuille ou non, la décolonisation n’a toujours pas été achevée. Rappelons que le terme de départementalisation a été prôné par nos prédécesseurs, notamment Aimé Césaire, du fait d’un rejet du terme d’assimilation.
Aujourd’hui, l’égalité n’est pas au centre de nos préoccupations, mais l’équité oui. Un rattrapage des territoires d’outre-mer vis-à-vis de l’hexagone est indispensable. Pour ce faire, il va falloir assumer des mesures inégalitaires, car on ne peut pas traiter La Réunion de la même manière que la Guyane, ou comme Mayotte. Parlons de prise en compte effective des réalités de chaque territoire. Au sein même de l’hexagone, chaque région a ses réalités, ses aspirations.
Pour terminer, j’aimerais rappeler des propos tenus par Nelson Mandela, qui n’a jamais fait de distinction entre les races, et qui assumait la peur comme un sentiment naturel dont il ne fallait pas se détourner. L’affronter, c’est avoir du courage. C’est ce que je demande à mes collègues ultramarins aujourd’hui : affrontons nos peurs, ayons du courage.

Davy Rimane est député (GDR) de la deuxième circonscription de Guyane.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023