L’éducation populaire était à l’ordre du jour d’un rapport et d’un avis du Comité économique, social et environnemental (CESE) en 2019. Jean-Karl Deschamps et Christian Chevalier – les auteurs du rapport – l’avaient intitulé L’éducation populaire, une exigence du 21e siècle.
«Etudier l’éducation populaire, c’est étudier, entre autres sujets, l’engagement, la solidarité, la citoyenneté, le bénévolat, le militantisme, l’éducation, le monde associatif et même, plus globalement, l’histoire et la vie de la République », annonçaient les rapporteurs, rappelant qu’il n’existait pas de définition unanimement partagée de cette notion. Chose étonnante, et symptomatique : c’était la première fois que le CESE (et ses prédécesseurs, le Conseil économique puis le Conseil économique et social) se penchait sur la question, depuis la Libération donc.
Pour les deux auteurs, « l’histoire de l’éducation populaire est intimement liée à la République et au pacte républicain, son approche par principe bienveillante et respectueuse, sa reconnaissance que chacun “est capable”, ses méthodes innovantes, sa volonté d’émancipation des femmes et des hommes, son implantation dans le territoire de vie sont autant d’aspects qui peuvent contribuer à l’émergence de formes nouvelles de démocratie, d’engagement, de participation, de coproduction et d’actions concrètes au plus près des réalités vécues ».
« Le CESE préconise cinq axes d’action : “investir dans les politiques publiques d’éducation populaire pour contribuer à réconcilier la société ; développer le lien social pour conforter la citoyenneté ; sécuriser le modèle économique ; former et reconnaître les compétences ; encourager l’engagement et modifier la gouvernance”. »
La modernité, l’utilité sociale et citoyenne de l’éducation populaire
Le rapport montre « la modernité, l’utilité sociale et citoyenne (de l’éducation populaire) alors qu’au fil du temps, les politiques publiques se sont peu à peu désintéressées de cette approche. À l’effacement dans le vocabulaire s’est ajoutée une fragilité due, d’une part, à une nouvelle logique économique fondée de plus en plus sur la mise en concurrence par les appels à projets et, d’autre part, aux difficultés propres d’adaptation ou de renouvellement de ses modes d’organisation et de sa gouvernance ».
S’il n’y a pas de définition partagée de l’éducation populaire, les rapporteurs pointent cependant des constantes : « La finalité transformatrice ; l’objectif de contribuer à l’émancipation individuelle et collective et à la conscientisation des individus ; l’attachement à une démarche pédagogique active qui repose sur le principe que chaque personne est porteuse de savoirs, tous étant sachants et apprenants ; la reconnaissance “du droit au tâtonnement” dans l’exercice du rôle de laboratoire permanent de l’innovation sociale ; le portage des actions par des structures à but non lucratif, dès lors qu’elles s’inscrivent au service de l’intérêt général ; l’attachement au développement de la qualité de vie sur les territoires. »
Le document rappelle l’histoire de l’éducation populaire (EP), son importance, notamment sous le Front populaire ; il estime que trop souvent elle joua un rôle de « sous-traitance de l’impuissance publique » et insiste sur son « compagnonnage complexe » avec l’éducation nationale.
Ses champs d’intervention sont très divers : santé, prévention, éducation, engagement citoyen, petite enfance, culture, sciences, techniques, sports, activités ludiques, etc. Elle met en jeu une pluralité d’actrices et d’acteurs, est incarnée par des structures collectives aux statuts très divers (associations, collectifs, fondations, CSE [comité social et économique], syndicats, partis politiques...). S’y croisent des organismes issus de milieux très divers.
Les militants de l’éducation populaire
Le rapport s’intéresse aux militants de l’EP et considère qu’il n’y a pas de crise du bénévolat. Plusieurs chiffres sont avancés, qui datent de 2017. Les rapporteurs dénombrent 31 272 000 participations à une action bénévole, ce qui est de l’ordre de 1 425 000 emplois à temps plein. Il quantifie aussi les professionnels salariés : 680 000.
Au passage, il souligne le rôle de la ministre communiste Marie-George Buffet qui, en 1998, organisa les Rencontres pour l’avenir de l’éducation populaire – contexte qui aboutit au rapport de Franck Lepage et à Citoyens, chiche ! Le livre blanc de l’éducation populaire, de Jean-Michel Leterrier (éditions de l’Atelier, 2001).
« Étudier l’éducation populaire, c’est étudier, entre autres sujets, l’engagement, la solidarité, la citoyenneté, le bénévolat, le militantisme, l’éducation, le monde associatif et même, plus globalement, l’histoire et la vie de la République. »
Jean-Karl Deschamps et Christian Chevalier tentent, dans ce rapport, d’apporter des « réponses aux mutations en cours ». Concept moderne et précurseur, laboratoire permanent de l’innovation, l’EP est cependant en crise. L’un des motifs de celle-ci est le sentiment de remise en cause de l’indépendance associative. Les rapporteurs lancent quelques pistes : favoriser l’engagement, modifier la gouvernance des associations, sécuriser leur modèle économique, réussir la transition numérique, améliorer la formation des salariés et des bénévoles.
À la suite de ce rapport, le CESE préconise cinq axes d’action :
- investir dans les politiques publiques d’éducation populaire pour contribuer à réconcilier la société ;
- développer le lien social pour conforter la citoyenneté ;
- sécuriser le modèle économique ;
- former et reconnaître les compétences ;
- encourager l’engagement et modifier la gouvernance.
Il est ainsi suggéré de « faire vivre sur tous les territoires, en priorité les plus fragiles, au moins un équipement pluridisciplinaire, lieu de rencontres, de partage et de débat, en mobilisant pour cela les organisations d’éducation populaire de ces territoires » ; « nommer un délégué interministériel à l’éducation populaire » : renforcer « les moyens humains et financiers de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, l’INJEP […] chargé d’organiser tous les trois ans des assises de l’éducation populaire » ; « créer et animer un fonds de soutien à l’innovation et à l’expérimentation » ; « assurer la synergie de l’action des coéducateurs avec les établissements scolaires » ; « relancer les colonies de vacances et les classes de découverte » (avec l’idée de trois séjours dans le cadre d’une scolarité) ; épauler les comités d’entreprise et les CSE ; aider les salariés des entreprises sans CSE ; soutenir la formation des bénévoles et l’engagement des salariés dans la vie associative.
Gérard Streiff est membre du comité de rédaction de Cause commune.
Cause commune n° 36 • novembre/décembre 2023