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Le travail, geste d’émancipation est soumis actuellement aux logiques de productivité, de compétitivité, de rentabilité que lui impose le capital. Il est temps de le remettre à sa place dans la vie de chacune et chacun.

Le travail est le geste par lequel l’humanité se lie et se met en jeu pour répondre à ses besoins, créer les conditions de son présent et de son avenir. Pour se réaliser et s’accomplir. Le travail est le geste par lequel chacune et chacun prend part au bien commun. C’est un acte de production, de création, de participation. Cet acte engage celui ou celle qui le pose. Et c’est aussi en cela qu’il est susceptible de l’affecter : dans le travail, c’est l’humain qu’on mobilise. Le travail produit des richesses, et d’ailleurs seul le travail les produit, mais il peut aussi être ce qui détruit l’humain et la planète.
La question se pose de savoir à quoi nous mobilisons le travail, c’est-à-dire le temps, l’énergie et la créativité humaine. La question se pose aussi de savoir comment nous le mobilisons. Implacablement, se conjuguent le sens et les conditions. C’est pour cela qu’il est au cœur de la contradiction de classe : il conditionne l’avenir. C’est bien comme un geste d’émancipation qu’il faut le concevoir.

Crise du travail
Et pourtant, il est malmené, soumis aux logiques de productivité, de compétitivité, de rentabilité que lui impose le capital. Et le grand mouvement civilisateur qui a desserré cet étau est plus que jamais à l’ordre du jour, tant les atteintes sont nombreuses qui viennent faire du travail une souffrance physique, psychique ou sociale. Agir pour la santé au travail est une urgence.
L’humain au travail, c’est celui ou celle qui exerce un métier. Un métier pour lequel il s’est formé, ayant acquis un savoir et un savoir-faire. Mais tout cela est percuté par l’exigence de polyvalence, la logique de flux tendus, la dépréciation du travail bien fait, les nouvelles servitudes imposées par les outils numériques, la parcellisation des tâches… Agir pour le travail est une grande cause.

« Le travail est au cœur des mutations qui s’opèrent sous le feu de la concurrence mondialisée : les technologies changent, les métiers sont soumis à rude épreuve, les organisations sont bouleversées… »

Car le travail est en crise. Une crise profonde. Une crise de sens. La pandémie a accéléré les mutations de nos rapports au travail. Selon une récente étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, le nombre de démissions a atteint fin 2021-début 2022 un niveau historiquement haut depuis 2008, avec près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. Les plus jeunes semblent particulièrement touchés par ce phénomène. La conjoncture économique, avec une forte reprise, peut expliquer une partie de ce phénomène, mais une partie seulement.
Cette crise n’est pas un mouvement d’humeur, un effet de mode. Elle résulte de la façon dont l’humain est maltraité au travail. Elle résulte de la façon dont le travail est gâché, abîmé, méprisé. Il est au cœur des mutations qui s’opèrent sous le feu de la concurrence mondialisée : les technologies changent, les métiers sont soumis à rude épreuve, les organisations sont bouleversées… Ce sont les corps et les esprits qui sont mobilisés, qui sont utilisés, qui sont instrumentalisés. Il faut bien gagner son pain et celui des siens. Et l’on se sent parfois pris au piège : jusqu’où suis-je prêt à donner de moi-même pour un salaire ? Cette tension existe depuis les origines.

« Mettre en place un mode de production qui rompt avec la spirale consumériste, qui respecte les travailleurs mais aussi l’environnement. »

Au début du XIXe siècle, le travail accaparait quasiment tout le temps de toute la vie, et ce n’est qu’au prix de ses luttes que le mouvement ouvrier a pu le circonscrire, pour laisser de la place à autre chose, à l’instruction pour les enfants, au repos pour reconstituer les « forces productives », puis aussi au temps libre, aux congés, à la retraite. Un espace s’est ouvert pour les salariés : du temps pour la culture, les loisirs, des pratiques récréatives et émancipatrices, du temps pour nouer des sociabilités, pour prendre part à la vie de la cité.
Depuis vingt-deux ans en France, il occupe « légalement » 35 heures de notre temps par semaine. Mais selon l’OCDE, les Français travaillent en moyenne 37,4 heures. Tandis que les cadres travaillent en moyenne 44 heures selon la CGT, d’autres (surtout des femmes) subissent des temps partiels, et d’autres encore sont précarisés et privés d’emplois. L’ubérisation du travail fabrique des travailleurs et des travailleuses sans droits, payés et formés à la tâche.

« L’ubérisation du travail fabrique des travailleurs et des travailleuses sans droits, payés à la tâche et formés à la tâche »

Pourtant, le progrès technique, les avancées technologiques ont fait croître les gains de productivité et vont continuer de le faire. Qui en profite ? La poussée néolibérale et le mouvement de financiarisation de l’économie ont privé celles et ceux qui travaillent de ces gains. Ils leur font même supporter les conséquences environnementales de leur voracité.

Remettre le travail à l’endroit
Il faut donc remettre le travail à sa place, remettre le travail à l’endroit. Le remettre à sa place dans la vie de chacune et chacun : travailler pour vivre et non pas l’inverse. Avec une augmentation du temps libéré du travail prescrit et pour une part du travail tout court. Car le travail crée des droits au-delà de lui-même, à travers la formidable invention qu’est la Sécurité sociale. Pour cela, il faut mieux partager le travail. Dans un contexte de chômage de masse, alors que le recours aux heures supplémentaires est largement encouragé, 32 heures hebdomadaires permettraient par ailleurs la création de quatre millions d’emplois dans le privé comme dans le public.
Le remettre à sa place dans la société : mettre en place un mode de production qui rompt avec la spirale consumériste, qui respecte les travailleurs mais aussi l’environnement. Savoir pour quoi on travaille et la réponse ne peut pas être la distribution de dividendes toujours plus exorbitants à quelques-uns. Pour cela, il ne faut pas que les producteurs et productrices soient ravalés au rang d’instruments, mais soient bien actrices et acteurs en pleine conscience. Le travail ne peut pas être le vecteur d’une fuite en avant dépourvue de sens, dépourvue de rivage. À quel prix produisons-nous, pour construire quelle humanité, sur quelle planète demain ?
Certains s’imaginent un monde sans travail. Un monde dans lequel l’intelligence artificielle et les robots s’occuperaient de tout, stade ultime de la croissance des gains de productivité. Ils pourraient même vivre à notre place. Cette dystopie, c’est celle d’un monde déshumanisé, d’un monde sans la personne humaine. Il y aura toujours du travail. Ce sera toujours consubstantiel à l’être humain. C’est autour du sens du travail que doivent s’articuler les réflexions sur la diminution du temps de travail.
J’ai déposé en février dernier une proposition de loi pour que les salariés puissent agir sur l’organisation concrète de leur travail, fassent valoir leur expertise et laissent s’exprimer leur créativité au sein des collectifs de travail de l’entreprise. Cela répond à une aspiration partagée au travail bien fait, qui rend fier, qui fait se sentir utile.
Il faut s’occuper du travail. Il mérite un puissant mouvement social de fond.

Pierre Dharréville est député (PCF) des Bouches-du-Rhône et membre du Comité exécutif national du PCF.

Cause commune32 • janvier/février 2023