Par

Depuis 1958 le système d’assurance chômage a évolué. Les deux réformes Macron sabrent les droits des chômeurs en prétendant remettre au travail ces femmes et hommes privés d’emploi. Des luttes s’imposent pour construire un véritable dépassement du chômage.

Historique de l’indemnisation du chômage.
Lors de la création de la Sécurité sociale en 1945, la priorité est accordée à l’insuffisance de la population active et non à l’indemnisation du chômage qui n’est pas inscrite dans le plan de sécurité sociale.
Le système d’assurance chômage est créé le 31 décembre 1958 pour les salariés de l’industrie et du commerce. Ce système est établi en dehors du cadre de la Sécurité sociale, contre le souhait de la CGT qui refuse initialement de prendre part aux négociations. L’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), créée en 1967 est chargée de l’indemnisation et de favoriser la reprise rapide d’un emploi.

« Une lutte effective contre la précarité impliquerait la mise en place d’un taux de cotisation sociale progressif pour les employeurs en fonction de la durée des contrats, en limitant le recours aux CDD ou à l’intérim à 5 %
de l’effectif total. »

L’assurance chômage est obligatoire pour le secteur privé. Elle est financée par les cotisations des employeurs, puis par une petite part salariale et plus tard par une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG).
Ce système permet à ceux qui ont perdu leur travail d’être indemnisés. Il était géré paritairement par les syndicats de salariés et le patronat, ceux-ci devant négocier tous les trois ans une nouvelle convention afin de fixer le ­montant des cotisations sociales dévolues à l’assurance chômage et les conditions d’indemnisation des chômeurs. Une fois la négociation achevée, l’État doit entériner la con­vention et lui donner force de loi (ou ­demander certaines modifications). Si ces négociations n’aboutissent pas, le gouvernement reprend la main, c’est le cas de la réforme de 2019.

La réforme Macron de l’assurance-chômage
La réforme de 2019-2021 : une réforme inique contre les droits des chômeurs.
Elle devait entrer en application en novembre 2019 mais a été plusieurs fois reportée en raison du covid-19 et des fortes oppositions. Mais elle est relancée en 2021 par Élisabeth Borne (alors ministre du Travail). L’objectif fixé par le gouvernement est de réaliser 1 à 1,3 milliard d’euros d’économies par an sur le dos des chômeurs soit 3,4 milliards d’ici fin 2021. On sabre leurs droits, en déclarant remettre les chômeurs au travail. Ceux-ci sont rendus responsables de leur situation, coupables d’avoir des salaires et des prestations sociales trop élevés.
Cette réforme provoque d’abord un vaste recul du nombre d’indemnisés (pour accéder à l’assurance-chômage, il faudra avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois contre quatre mois sur vingt-huit auparavant), une quasi-suppression du droit rechargeable et un bouleversement des règles de calcul des allocations. L’exécutif serine que 20 % des demandeurs d’emploi gagneraient plus au chômage qu’en travaillant, alors que l’UNEDIC estime que cela ne concernait que 4 % des indemnisés.
Les personnes alternant CDD courts et inactivité auront une indemnisation potentiellement plus longue mais d’un montant mensuel plus faible, ce qui rendra aussi plus difficile le cumul de « petits ­boulots » et de l’allocation -chô­mage. C’est une véritable machine à fabriquer de la pauvreté qui se met en branle. Beaucoup de privés d’emploi et d’allocations vont aller émarger au revenu de solidarité active (RSA).
Plus d’un million de personnes seront potentiellement concernées par la baisse des allocations à l’ouverture des droits. Les calculs de l’UNEDIC rejoignent le dossier présenté par la CGT et Solidaires, pour leur recours devant le Conseil d’État, ainsi que les recours de la CFDT, FO et la CGC. Le Conseil d’État jugeait alors contraire au principe d’égalité la refonte du mode de calcul.
De plus, un coup est porté à l’indemnisation des chômeurs-cadres : la dégressivité. Le pouvoir veut pousser à la reprise du travail les cadres et professions supérieures soupçonnés de se complaire dans l’inactivité. Ainsi, leur indemnisation sera réduite de 30 % au début du septième mois, sauf pour les salariés âgés de 57 ans ou plus. Mais les allocataires dont les salaires bruts excèdent 4 500 euros représentent 4 % des demandeurs d’emplois indemnisés, soit 100 000 personnes.

« Les travailleurs et les privés d’emploi sont de plus en plus dessaisis de leur droit à choisir librement un emploi en cohérence avec leurs qualifications ou une formation. »

On organise une rupture d’égalité entre les différentes catégories de demandeurs d’emploi. Or l’indemnisation du chômage est fonction du salaire et ne prétend pas viser l’égalitarisme, elle vise à faciliter le retour à l’emploi qualifié à partir de la formation.

La réforme de l’assurance-chômage de 2022.
La réforme scandaleuse de l’assurance chômage de 2019, mise en application en 2021 n’a même pas été évaluée. Le nouveau texte de novembre 2022 prétend répondre à des mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché́ du travail en vue du « plein-emploi ».
Cette nouvelle réforme dite contracyclique serait « plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé́ ». Elle imposerait une modulation des indemnités chômage selon la conjoncture comme au Canada. Mais c’est surtout une réforme structurelle régressive qui marque une nouvelle étape du processus d’étatisation de l’assurance chômage, afin de servir plus directement les intérêts du patronat. Elle remet en cause la gouvernance paritaire de l’assurance chômage, les règles actuelles d’indemnisation doivent prendre fin en décembre 2022. Le gouvernement possède de facto les pleins pouvoirs jusqu’en décembre 2023 pour décider de sa réforme de l’assurance chômage. Il sera à la fin maître de la gestion du régime d’assurance chômage.
Après le cirque médiatique autour du bonus-malus, la montagne a accouché d’une souris : le dispositif annoncé en 2019 prétend inciter les employeurs à̀ allonger la durée des contrats de travail et éviter un recours excessif aux contrats courts, en modulant la contribution patronale d’assurance chômage selon le recours à ces contrats courts. Mais l’objectif est surtout de réduire les inscriptions à Pôle emploi, les chiffres du chômage, les coûts pour l’UNEDIC et les dépenses d’allocation-chômage. Un taux médian défini dans chaque secteur détermine le seuil au-dessous duquel l’entreprise bénéficie d’un bonus ou à l’inverse, si elle le dépasse, est soumise à un malus. Mais les secteurs tels que l’hôtellerie-restauration ou la santé n’ont pas été pris en compte. Ce dispositif ne remet pas en question l’usage récurrent de certains secteurs aux contrats courts, il le contraint faiblement avec un taux plafond à +1 %. Ce « malus » est peu dissuasif, la sanction n’est pas proportionnelle au dépassement.

« Les chômeurs sont rendus responsables de leur situation, coupables d’avoir des salaires et des prestations sociales trop élevés. »

Sur le fond, c’est une non remise en cause du recours excessif aux contrats courts. Ce manque de volonté́ de pénaliser les employeurs qui abusent des contrats courts est d’autant plus choquant que la reforme précédente de l’assurance chômage s’en est pris directement aux personnes subissant ces contrats précaires.
Le gouvernement prétend atteindre le « plein-emploi » en réalité un taux de chômage de 5 %, contre 7,4 % actuellement, d’ici 2027, agitant le chiffon rouge des emplois non pourvus. Il s’agit de pourvoir les emplois vacants dans les secteurs dits « en tension », en évacuant la question de la nature et de la qualité des emplois non pourvus, en cachant la responsabilité des employeurs. Les travailleurs et les privés d’emploi sont de plus en plus dessaisis de leur droit à choisir librement un emploi en cohérence avec leurs qualifications ou une formation. Ils deviennent des variables d’ajustement du« marché du travail ».

« Il s’agit de pourvoir les emplois vacants dans les secteurs dits “en tension”, en évacuant la question de la nature et de la qualité des emplois non pourvus, en cachant la responsabilitté des employeurs. »

La nécessité de réelles propositions alternatives.
Nous refusons le principe de la gouvernance par ordonnances ou par le 49.3 pour s’attaquer aux droits des salariés. Il ne s’agit pas simplement de contester l’étatisation et de s’en tenir à une fausse gestion paritaire.
C’est un projet nouveau de société et de civilisation que nous voulons construire, appuyé sur les propositions alternatives des salariés pour de nouveaux droits. De nouveaux moyens de financement sont indispensables avec une défense et promotion de la cotisation sociale au lieu de la CSG pour répondre aux besoins de financement de l’assurance chômage, impliquant la responsabilisation des employeurs.
Nous proposons une réelle modulation du taux de cotisations patronales qui ne soit pas à somme nulle, ainsi qu’une contribution nouvelle sur les revenus financiers des entreprises et des banques. Une lutte effective contre la précarité impliquerait la mise en place d’un taux de cotisation sociale progressif pour les employeurs en fonction de la durée des contrats, en limitant le recours aux CDD ou à l’intérim à 5 % de l’effectif total. Une lutte résolue à la racine contre la montée des licenciements avec de nouveaux pouvoirs des salariés est indispensable.
Au-delà, il s’agirait de promouvoir, en lien avec les luttes, notre projet de sécurisation de l’emploi et de la formation dans l’objectif d’éradiquer le chômage et la précarité. Il s’agit d’une construction de portée révolutionnaire allant au-delà des avancées révolutionnaires de la Sécurité sociale. Pleinement réalisé, ce système vise à assurer à chacun et à chacune un emploi ou une formation rémunérée pour revenir ensuite à un meilleur emploi, avec une continuité de droits et de revenus, sans passage par la case chômage. Il implique une expansion systématique de la formation continue. II s’agit d’aller au-delà du « plein-emploi » et de construire un véritable dépassement du chômage, articulé à la formation afin de viser une mobilité de progrès social choisie.

Catherine Mills est économiste. Elle est maîtresse de conférences honoraire à̀ l’université Paris-Panthéon Sorbonne.


Au chômage

De Travail d’Émile Zola à L’établi de Robert Linhart, de À la ligne de Joseph Pontus en passant par En salle de Claire Baglin ou Dernier travail de Thierry Beistingel, par exemple, la France est riche en romans sur les conditions de travail. Avec Un homme inutile, roman paru en 1998, Valère Staraselski s’est attaché, selon un critique, « à restituer un visage à ceux dont on gomme, jour après jour, l’existence », à savoir les privés d’emploi, les chômeurs.

Extrait de Un homme inutile :
« Et puis d’abord il avait chaud. Vraiment, il avait chaud. L’intérieur de la station Châtelet bruissait du va-et-vient des sorties de bureaux. Il avait chaud, Brice Beaulieu, parmi toute cette cohue ordonnée et étouffante à la longue.
Oui, il la trouvait injuste, Coryse ! Et puis, cela avait pris un tour nouveau depuis que son contrat au musée d’Orsay s’était achevé : une nouvelle fois, il se retrouvait sans ­emploi.
Parce que, tout de suite, il avait envisagé, il l’avait même évoqué devant Coryse, de mourir plutôt que de survivre dans ce contraire de l’existence que représentait si parfaitement le chômage. Le non-emploi. Mon Dieu, se disait-il, ni perte ni privation ne s’apparentaient autant, dans le vécu, à une sorte de suppuration de chaque instant de l’agonie. Seules les maladies incurables, que parfois Brice aurait voulu contracter afin de donner un peu de sens à sa débâcle, lui semblaient pouvoir se comparer à l‘exclusion absolue des moyens de vivre. Oui, il était bien conscient de ce qu’il pensait ! Cette multitude qui se croisait sans fin à l’intérieur des couloirs de métro, et personne à qui s’en prendre. Ou alors à tout le monde ! C’est-à-dire à ceux-là qui continuaient d’exister comme si de rien n’était. Complices dans leur chance, dans leur bonheur, d’avoir un emploi…
Certes, il y avait Coryse. Mais Coryse relativisait : il n’y avait, après tout, pas de raison, disait-elle, qu’il ne trouve pas quelque chose. La malchance n’allait pas éternellement durer. Et puis, et puis…
Mais Brice se renfrognait, se butait, se calait dans le refus. La vérité tenait dans ce qu’il s’était, cette fois-là, senti touché à mort… » n

Cause commune32 • janvier/février 2023