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Jean-Louis Cailloux témoigne de son expérience de militant à l’entreprise dans la filière de l’aéronautique, une activité militante motivante mais difficile.

J’ai toujours milité sur deux pieds, dans mon entreprise en tant que salarié de la SNECMA et dans ma ville, Suresnes. Depuis les années 2000, j’anime avec d’autres militants le collectif des communistes travaillant dans l’aéronautique et le transport aérien. J’ai toujours eu le souci de faire vivre le Parti communiste dans les entreprises et tout particulièrement dans cette filière industrielle où j’ai travaillé pendant trente-six ans. Cette activité du parti dans l’entreprise est motivante mais difficile. Il ne va pas de soi pour les salariés qu’il y ait des expressions et des actions politiques sur le lieu de travail. Toutefois, si l’activité militante est régulière, le parti est intégré dans le paysage et les salariés qui contestent sa présence sont rares.

L’entreprise, un lieu de citoyenneté
L’entreprise est un lieu, au moins potentiel, de citoyenneté. On se bat par exemple pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Pour l’écologie avant l’heure, au sein des comités d’hygiène et de sécurité. Sur le lieu de travail, on parle de l’école, de la santé, de la politique internationale. J’ai dit que l’entreprise est un lieu « potentiel » de citoyenneté : il serait trop long d’expliquer ici les raisons des réticences des salariés dans ce domaine mais il faut reconnaître que c’est en premier lieu l’absence de cellule, ou sa faible activité, qui ne rend pas cette présence naturelle. En effet, j’ai constaté un fort recul de la présence communiste dans l’entreprise depuis Robert Hue, lorsque l’activité dans le cadre de la « cellule » a été battue en brèche. La situation a été aggravée par le soutien apporté à la politique de privatisation des entreprises menée à cette période. L’accentuation de la répression patronale a porté un coup sévère au rôle du parti dans l’entreprise, en semant le désarroi et un sentiment d’inutilité de la politique conduisant à un repli sur l’activité syndicale.
En tant que salarié de la SNECMA, j’ai vécu douloureusement, malgré la position claire des communistes de notre cellule d’entreprise, les tracts de Lutte ouvrière dénonçant notre parti et notre ministre des Transports qui acceptait notre mise en Bourse.

« Moins nous sommes présents dans l’entreprise en tant que communistes, moins la nécessité de notre présence s’y fait sentir et il est patent pour la majorité des citoyens que la démocratie s’arrête aux portes des entreprises. »

Moins nous sommes présents dans l’entreprise en tant que communistes, moins la nécessité de notre présence s’y fait sentir et il est patent pour la majorité des citoyens que la démocratie s’arrête aux portes des entreprises. D’autres forces politiques développent l’idée que la citoyenneté devrait s’exercer en dehors de l’entreprise, sur le temps libre, la politique étant réduite à un spectacle. Mon vécu confirme le contraire : c’est essentiellement dans l’entreprise que se construit ou se détruit l’emploi, c’est dans l’entreprise que les possesseurs du capital font du profit sur le travail des salariés, c’est dans l’entreprise que se décident les délocalisations, la désindustrialisation du pays, la qualité de vie des familles. C’est aussi l’entreprise qui, en changeant de site, impose des trajets toujours plus longs aux salariés, créant de la pollution, des coûts et des fatigues supplémentaires. Même la question du logement concerne en partie les entreprises avec le 1 % patronal (qui n’a d’ailleurs jamais dépassé 0,45 %). En fait, l’entreprise détermine l’essentiel de l’activité économique et c’est là que se façonne, ou pas, la conscience de classe des salariés, soit plus de vingt millions de personnes.

« L’entreprise détermine l’essentiel de l’activité économique et c’est là que se façonne, ou pas, la conscience de classe des salariés, soit plus de vingt millions de personnes. »

Désormais retraité, je n’ai pas oublié la nécessité du travail militant en direction des entreprises. Le changement ne se fera pas au rabais, dans le flou des contenus. Il ne sera pas octroyé par on ne sait quel sauveur ou cartel de sauveurs. Il doit venir d’en bas, des travailleurs. C’est ce qui doit motiver les communistes à proposer des actions audacieuses et innovantes, à la hauteur de ce qu’ils ont su faire dans leur histoire. Bref, que la citoyenneté cesse d’être un vain mot.
Toute ma vie, j’ai été fidèle à Brecht dont nous avions repris une maxime en surtitre du journal L’Éveil publié par la section de Suresnes. « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu. »

Jean-Louis Cailloux est militant communiste à Suresnes.

Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020