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Depuis le mois d’août, les sujets de tension entre les diplomaties européennes et la Russie se multiplient. L’Union européenne en porte en grande partie la responsabilité.

Sur la crise politique en Biélorussie
La Russie soutient Alexandre Loukachenko comme la corde soutient le pendu, en ayant accordé une aide financière d’1,5 milliard de dollars, non pas par amour pour le président biélorusse, mais par crainte de voir s’installer à Minsk un régime qui ouvre la voie à une coopération avec l’OTAN. La pression des gouvernements polonais, baltes et roumain pour une aide financière directe de l’UE à l’opposition est grande. La politique de sanctions enclenchée par l’UE n’aboutit qu’à exacerber les tensions. Le voyage d’Emmanuel Macron à Vilnius et à Riga s’accompagne de déclarations appelant au « départ » de Loukachenko et le président français a été le premier dirigeant politique à rencontrer la libérale-nationaliste biélorusse Svetlana Tikhanovskaïa. Cette prise de position et cette rencontre enferment la diplomatie française dans une logique d’ingérence et de blocs. Cela donne le point à la représentation politique de l’opposition biélorusse avide d’une thérapie de choc et d’un réalignement de la Biélorussie dans un sens atlantiste, alors qu’il n’y aura de solution politique durable à la crise biélorusse ni en faisant du pays un bastion antirusse et un nouveau laboratoire du néolibéralisme, ni en occultant les dirigeants biélorusses actuels. Ce sont des fautes politiques qui entachent la voix de la France. Cette visite dans les pays baltes s’est accompagnée d’une rencontre avec les unités françaises déployées dans la région dans le cadre des bataillons multinationaux de l’OTAN tournés directement contre la Russie.

« Au lieu d’endosser le rôle de boutefeu, la diplomatie française jouerait un véritable rôle international en formulant une proposition politique, celle d’une conférence pour la coopération, la paix et la sécurité collective en Europe, celle d’un traité de sécurité collective incluant la Russie. »

Sur l’affaire Navalny
L’empoisonnement assez mystérieux d’Alexeï Navalny fournit l’occasion d’une nouvelle escalade diplomatique. La présidente de la commission européenne, Ursula van der Leyen, lors d’un discours sur l’état de l’Union prononcé le 16 septembre dernier, a rejeté en bloc toute initiative diplomatique envers la Russie. Et, ce qui a été très peu souligné, elle s’est prononcée en faveur de la levée de la règle de l’unanimité au conseil européen sur les questions de politique étrangère et pour l’instauration de décisions prises à la majorité qualifiée, ce qui représente un pas majeur et grave vers une fédéralisation renforcée de l’UE. Le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, Josep Borrell, s’est exprimé en faveur de l’instauration d’une « liste Navalny » de personnalités russes frappées de sanctions, sur le modèle de la liste Magnitski en vigueur aux États-Unis.
L’ensemble de ces éléments, en dépit des quelques déclarations d’Emmanuel Macron sur l’importance de maintenir un dialogue avec la Russie, souligne la responsabilité de l’UE, de l’OTAN et de la ligne diplomatique du président français dans l’exacerbation d’une politique de blocs et dans la montée des tensions. Rien ne peut être plus profitable aux va-t’en-guerre, qu’ils soient au pouvoir dans les capitales d’Europe de l’Est, dans les bureaux de l’OTAN ou à Washington d’une part. Cela arrive aussi à un moment où le pouvoir en place à Moscou est affaibli par des résultats électoraux aux consultations régionales qui ont eu lieu en Russie, au profit d’ailleurs, dans un certain nombre d’endroits, du Parti communiste, et où la victoire qu’il a enregistrée lors du référendum constitutionnel de juillet montre surtout une volonté de gagner du temps. Un tel comportement de la part des Européens peut provoquer, une nouvelle fois, un sentiment d’agression en Russie, assez légitime en soi après l’expansion de l’OTAN à l’est, que le pouvoir en place serait en position d’instrumentaliser pour se donner un nouvel élan.
Contre l’OTAN, contre le cours de la politique européenne et française, c’est une logique de sécurité collective qu’il faut mettre dans le débat public. Au lieu d’endosser le rôle de boutefeu, la diplomatie française jouerait un véritable rôle international en formulant une proposition politique, celle d’une conférence pour la coopération, la paix et la sécurité collective en Europe, celle d’un traité de sécurité collective incluant la Russie. La politique de sanctions sert cette logique de blocs et doit être révoquée, en particulier à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie.
C’est urgent ! La multiplication des tensions, qu’elles soient du fait de l’UE ou de l’OTAN à l’encontre de la Russie, ou du fait des agressions expansionnistes d’Erdogan, sont autant de mèches qui sont allumées près d’un baril de poudre. Les crises accumulées ces dernières années, alliées à la relance d’une politique d’armement, font que la guerre ouverte entre États n’est plus aujourd’hui une hypothèse d’école mais un risque concret. Trop d’exemples dans l’histoire montrent que la situation peut très gravement et très rapidement dégénérer à partir d’un fait considéré comme mineur ou local. La mobilisation pour la paix et la sécurité collective, et l’établissement d’un rapport de force qui s’appuie sur des propositions politiques allant dans ce sens, sont donc plus nécessaires que jamais !

Cause commune n° 20 • novembre/décembre 2020