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La situation catastrophique en Seine-Saint-Denis exige de travailler une logique de rupture à inscrire dans le concret des propositions et des luttes immédiates.

La crise sanitaire que nous vivons depuis maintenant plus de neuf mois est un révélateur mais aussi un accélérateur de la situation que vivent des millions de Français, en particulier ceux qui sont issus des milieux les plus modestes. Outre les conséquences dramatiques en matière de surmortalité et de séquelles de la maladie, cette crise a d’ores et déjà des conséquences sociales terribles, particulièrement en Seine-Saint-Denis où des dizaines de milliers de familles se retrouvent dans le plus grand dénuement.
Le nombre d’allocataires du RSA a explosé depuis mars, au point d’ailleurs que le gouvernement envisage une renationalisation du versement du RSA, comme nous l’exigeons depuis des années ; les demandes d’aide alimentaire n’ont jamais atteint de tels niveaux depuis la Seconde guerre mondiale ; de nombreuses petites entreprises ne vont pas résister à ce deuxième confinement, le nombre de personnes se retrouvant sans emploi explose.

« Redonner sens et force à la réponse communiste, pas comme un rêve lointain, un idéal inaccessible mais comme une visée concrète dans une succession de luttes sociales, politiques et idéologiques. »

Nous sommes par conséquent dans une situation catastrophique qui demande une intense mobilisation politique, idéologique mais aussi des actions de solidarité concrète. La situation a contraint de nombreuses sections de notre fédération à organiser la collecte et la distribution de denrées alimentaires, de jouets et de livres dans la perspective des fêtes de fin d’année. Nous n’avions jamais eu à pousser si loin ces gestes solidaires. Alors que nous organisons, depuis des années, des voyages à la mer, des permanences d’écrivains publics, des bourses aux jouets, des ventes à prix coûtant de fournitures scolaires ou de fruits et de légumes, aujourd’hui il nous faut collecter et distribuer de la nourriture. Dès le printemps, le préfet de la Seine-Saint-Denis a dit craindre des émeutes de la faim.
Ces initiatives tendent à faire vivre une solidarité active, à travers laquelle ceux qui donnent, ceux qui organisent et ceux qui reçoivent, ensemble construisent ces temps de fraternité et portent des revendications politiques.

La pauvreté n’est pas une fatalité 
Cette solidarité concrète doit nécessairement s’accompagner de contenus politiques. C’est le sens de la campagne que nous avons engagée : « La pauvreté n’est pas une fatalité », qui exige du gouvernement la revalorisation du RSA et son extension aux jeunes de moins de 25 ans, la revalorisation des bourses d’études et des aides au logement, mais aussi l’aide exceptionnelle aux associations caritatives et un soutien, plutôt que l’asphyxie actuellement organisée, aux collectivités territoriales qui jouent un véritable rôle de bouclier social. Cette bataille touche très largement la population de Seine-Saint-Denis car, si tout le monde n’est pas directement concerné par une baisse de revenus, l’extrême inquiétude face à l’avenir est quasiment générale.
Les périodes comme celle que nous vivons sont lourdes de contradictions : elles voient naître des gestes solidaires, de la colère, l’envie et la recherche de changements profonds, la remise en cause de ce système de fonctionnement mais aussi du repli sur soi, de la fatalité, du rejet de l’autre, voire la recherche de boucs émissaires.

« Les initiatives prises tendent à faire vivre une solidarité active, à travers laquelle ceux qui donnent, ceux qui organisent et ceux qui reçoivent, ensemble construisent des temps de fraternité et portent des revendications politiques. »

Il est donc essentiel de resituer les responsabilités des uns et des autres. Les profits des milliardaires ont progressé de 439 % en dix ans en France ; les grosses entreprises ont versé des dividendes aux actionnaires, comme d’habitude ; les laboratoires pharmaceutiques se sont engraissés pendant la crise et le gouvernement n’a rien changé à sa politique : CICE, fraude fiscale non combattue, exonérations de cotisations sociales, délocalisations… Et, malgré les sommes considérables d’argent public qui sont versées, les plans de suppressions d’emplois et le démantèlement de filières entières se succèdent.
Lors de la suppression de l’ISF, la colère s’était exprimée largement dans le département. Politisons, argumentons sur le fait que ce qui crée la misère des uns, c’est la richesse des autres. Ces deux questions sont en permanence déconnectées, alors qu’elles sont pourtant intimement liées. Il est d’autant plus nécessaire de politiser cette situation que le gouvernement va vouloir nous faire payer les dépenses qui ont été engagées pendant la crise.
Ainsi, les politiques de santé, menées depuis des décennies dans notre pays, sont fondées sur la réduction de l’offre de soin, pour aboutir à une réduction de la dépense : ce sont ces choix qui nous conduisent à la situation catastrophique que nous connaissons aujourd’hui et qui font que la France est le septième pays au monde qui enregistre le plus de décès dus au virus. Mais loin de mettre un coup d’arrêt à ces choix, le gouvernement poursuit sur la même voie. En Seine-Saint-Denis, la fermeture de l’hôpital Jean-Verdier à Bondy est toujours d’actualité, tout comme la suppression de quatre cents lits liés à la création de l’hôpital Grand Paris Nord à Saint-Ouen… (la lutte a permis de faire baisser le nombre de lits supprimés de cinq cents à quatre cents).

« La pandémie met directement en cause ce système qui surexploite avec la même violence les êtres humains et la nature. »

Par ailleurs, la pénurie de médicaments devient quasi systématique, pour l’unique raison que ceux-ci ne sont pas suffisamment rentables pour les groupes pharmaceutiques qui préfèrent se concentrer sur des produits à forte plus-value. Cette situation valide plus que jamais notre proposition d’un pôle public du médicament qui l’extrait des mains du marché : une proposition qui fait preuve de créativité et d’audace, qui montre concrètement qu’il est possible d’adopter des mesures qui nous sortent de la logique capitaliste.

Le besoin d’un changement de civilisation
La situation que nous vivons est ainsi marquée par l’incapacité à répondre aux besoins les plus élémentaires. C’est le résultat de la globalisation capitaliste et du choix d’une production à l’échelle mondiale fondée sur la recherche de main-d’œuvre à bas coût. Un système où la valeur d’échange (les profits) prime sur la valeur d’usage (les besoins), alors que la richesse, les capacités de répondre aux besoins et les possibilités de notre époque sont immenses.
À l’heure où la lutte contre la pandémie appelle à faire de la connaissance médicale et de la production du médicament un bien commun, la recherche du profit, la santé business, entraîne une logique de jungle. Plus que d’une rupture de l’égalité républicaine, les départements populaires comme le nôtre sont victimes d’une logique de décivilisation qui tire toute la société vers le bas.
La pandémie met directement en cause ce système qui surexploite avec la même violence les êtres humains et la nature. Plus qu’un changement de société, c’est un changement de civilisation qui est à l’ordre du jour. Nous avons besoin d’organiser la solidarité la plus concrète, d’être présents et forts de propositions dans les luttes qui s’organisent mais aussi de prendre beaucoup de temps de réflexion, de confrontation avec tous ceux qui comme nous s’interrogent sur le sens de la société, portent une autre vision, se battent avec leurs mots, leurs gestes pour faire vivre d’autres réalités et avec qui nous devrions, plus que jamais, chercher des convergences, des constructions communes, des chemins communs.

« Les profits des milliardaires ont progressé de 439 % en dix ans en France ; les grosses entreprises ont versé des dividendes aux actionnaires comme d’habitude. »

La question pour nous ne peut se limiter à l’amélioration de l’existant pour sortir des difficultés, il s’agit de travailler une logique de rupture à inscrire dans le concret des propositions et des luttes immédiates. Redonner sens et force à la réponse communiste, pas comme un rêve lointain, un idéal inaccessible, mais comme une visée concrète dans une succession de luttes sociales, politiques et idéologiques. Cet effort est indispensable car on voit bien à quel point c’est d’abord le manque de perspectives, d’espoir qui conduit aux replis, aux divisions qui sont du pain béni pour ceux qui nous réduisent à une survie sans perspective.

Nathalie Simonnet est membre du comité exécutif national du PCF. Elle est secrétaire départementale de la Seine-Saint-Denis.

Cause commune n° 21 • janvier/février 2021