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Notamment parce qu’il repose trop souvent sur des médecins « de passage », le système de santé actuellement existant en Guyane dysfonctionne. Si les décisions étaient prises par les Guyannais eux-mêmes le système de santé serait plus opérationnel.

Une politique de santé incohérente
Aujourd’hui, l’essentiel des professionnels dans nos hôpitaux viennent de l’extérieur. Si la question de la rémunération des médecins en intérim se pose dans l’hexagone, en Guyane, nous avons des médecins en structures hospitalières payés 25 000 euros par mois ! Ce qui n’empêche pas pour autant le turn over ! Sur ce point vous constaterez donc que, sans même entrer dans la polémique politique, du simple point de vue de la gestion des ressources (humaines et financières) nous sommes dans de l’absurdité. Or ce turn over permanent (en dépit de salaires mirobolants), on le retrouve aussi dans l’éducation et dans toutes les administrations. Et manifestement ça ne fonctionne pas : ces professionnels de passage ne trouvent aucun intérêt à s’investir. Certains médecins ne restent pas plus de 6 mois. Il y a donc une discontinuité du fonctionnement dans les services publics, ce qui est particulièrement grave dans la santé. Cela aboutit à de l’inefficacité, y compris pour la médecine curative.
Car, penser la santé en Guyane, c’est aussi penser à la médecine traditionnelle qui se retrouve interdite d’un côté, mais d’un autre, est pillée par tous les chercheurs, y compris les fonctionnaires qui récupèrent les savoirs traditionnels puis déposent des brevets de façon totalement immorale. En ce moment, l’on observe des procédures juridiques en cours contre 99 brevets déposés sur les vertus du couachi. Or il ne s’agit ici que d’une plante ! Compte tenu de l’importance de la flore guyanaise, vous imaginez la richesse que nous possédons et les appétits cupides que cela suscite. Nos peuples (autochtones, marrons africains, afro-descendants...) ont de fortes connaissances des plantes que l’on pourrait mettre à profit.
Au-delà des chiffres et des statistiques, il importe de comprendre que nos connaissances peuvent apporter à l’humanité y compris en matière de santé. Je ne veux pas mépriser la médecine du Surinam ou celle du Brésil, qu’elle soit traditionnelle ou moderne. Et le problème se pose dans les mêmes termes au niveau de l’éducation où nous avons beaucoup à apprendre des pays qui nous entourent, même s’ils ne se trouvent pas en Europe. La Guyane a plus à partager avec le Brésil, le Surinam, le Guyana ou le Venezuela qu’avec l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, et le Portugal ! L’approche doit changer car ce n’est qu’avec un autre regard que nous pourrons trouver des solutions efficaces.

Le cas des évacuations sanitaires
Au cours d’une conférence de coopération régionale Antilles-Guyane, la sénatrice de Saint-Martin a évoqué la problématique des évacuations sanitaires qui, au lieu de se faire en direction de la partie néerlandaise de l’île, ce qui serait plus rapide, moins coûteux et permettrait en plus de ne pas isoler le malade de sa famille, se font toujours vers la Guadeloupe, la Martinique ou vers Paris. En Guyane, la problématique est identique ! Aucune évacuation vers le Brésil ou le Surinam n’est envisagée, quand bien même le patient serait dans une commune frontalière et, compte tenu de l’enclavement et de l’absence de route, qu’il serait plus facile de l’évacuer là-bas plutôt que de le ramener vers Cayenne.

« Il faut assumer le fait que sur toutes les questions, y compris dans le domaine de la santé, nous devons définir nous-même quels sont les choix politiques à faire en s’affranchissant des doctrines, des façons et des modes opératoires français. »

Est-ce à dire que le Brésil et le Surinam sont dans l’incurie sanitaire ? Ce n’est pourtant pas le cas ! Est-ce à dire qu’il n’y a jamais eu de coopération entre la Guyane et ses voisins en matière de santé ? Ici aussi la réponse est non ! Pendant de nombreuses années, les coopérations étaient importantes tant en ce qui concerne les soins qu’en ce qui concerne les formations des professionnels de santé. Alors que s’est-il passé ? Nous sommes entre temps devenus européens et nous subissons un empilement de normes et de règlements nationaux et communautaires faisant de la Guyane un pays d’interdits dans tous les domaines, y compris au niveau du soin.
Pour la Guyane le coût de ces évacuations est à peu près de 6 millions par an. À cause de l’enclavement de nombreuses communes sans aucun accès routier, chaque jour des personnes meurent en Guyane pour l’unique raison qu’il est impossible de les évacuer vers un hôpital du littoral. Et lorsqu’à cause de l’obsolescence ou de l’insuffisance de nos plateaux techniques, il faut être évacué vers la Martinique ou vers Paris, il est souvent déjà trop tard. De plus, du fait des économies et autres coupes budgétaires, désormais tous les prétextes sont bons pour que la Sécurité Sociale refuse les évacuations sanitaires. Des associations de malades, atteints de pathologies lourdes ne cessent de nous interpeller en la matière.

« Nous sommes devenus européens et nous subissons un empilement de normes et de règlements nationaux et communautaires faisant de la Guyane un pays d’interdits dans tous les domaines, y compris au niveau du soin. »

Si nous décidions par nous-mêmes, nos hôpitaux seraient certainement plus opérationnels. Or le projet de centre hospitalier universitaire (CHU) actuel est largement pensé par des personnes « de passage ». Comment voulez-vous que cela fonctionne quand on reproduit les mêmes schémas qui ne fonctionnent pas depuis soixante-dix ans ? Nous sommes habitués à voir défiler les fonctionnaires d’État à la veille de leur départ, venir nous dire : « vous avez raison, mais on doit suivre la feuille de route ! »

Un problème d’ordre politique
La Guyane représente vingt-deux communes dont certaines totalement enclavées en Amérique du Sud, sur une superficie équivalente à celle du Portugal et l’on voudrait penser les soins, l’éducation, l’urbanisme… comme on le fait en France. C’est absurde. Il s’agit d’un fonctionnement totalement anachronique, que les autres pays dans le monde ne peuvent pas comprendre. Comment, en Guyane, peut-on toujours avoir un gouverneur (même s’il est aujourd’hui appelé préfet) ? Pourquoi la Guyane n’a-t-elle pas son gouvernement ? Ce mode de fonctionnement anachronique ne pourra pas perdurer et en Guyane même les plus conservateurs le savent et aujourd’hui le disent : un changement est non seulement nécessaire mais inéluctable.
Des hommes comme Elie Castor ont pris la responsabilité de s’affranchir du cadre et de construire des centres de santé mais aussi des centres techniques et administratifs dans toutes les communes dépassant ici les compétences de leur collectivité. Certes, cela a creusé le déficit des collectivités, mais avaient-ils le choix ? Naturellement les services déconcentrés de l’État ont tout fait pour « recadrer » ces élus qui étaient sortis du cadre, mais ils ont tenu bon et heureusement.
En définitive il y a donc un souci dans la posture politique. Il faut assumer que nous sommes des peuples, que nous avons un droit à l’autodétermination et que nous devons penser par nous même ! Il faut assumer le fait que sur toutes les questions, y compris dans le domaine de la santé, nous devons définir nous-même quels sont les choix politiques à faire en s’affranchissant des doctrines, des façons et des modes opératoires français.

Jean-Victor Castor est député (MDES) de Guyane.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023