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Santé et alimentation sont intimement mêlées. Chacun accepte cette évidence aujourd’hui. Pour autant, la société bouge, les problèmes se posent en termes nouveaux et appellent des solutions novatrices.

L’alimentation aujourd’hui
Un premier constat s’impose : dans la seconde moitié du XXe siècle, des progrès considérables ont été enregistrés en la matière. Il ne faut pas négliger cet aspect. Tout d’abord, la planète est réellement en mesure de produire suffisamment de nourriture pour répondre aux besoins de l’humanité. Toute l’humanité. Il n’y a donc pas lieu d’avoir une vision malthusienne qui recommanderait une limitation du développement de l’humanité. Les progrès ont été réalisés dans la quantité de nourriture produite mais aussi dans la qualité. Par exemple, le développement des chaînes du froid permet la conservation des aliments, ce qui a réduit considérablement les intoxications alimentaires et les maladies liées aux bactéries dans les pays développés. L’eau potable est accessible et les famines ont disparu dans ces pays. Ces progrès ont été un des facteurs qui ont permis l’allongement de la durée de la vie. Il ne s’agit pas de les balayer d’un revers de main. Là où ces problèmes perdurent, ils découlent de causes autres que la simple pénurie physique : les guerres, la prédation et la spéculation capitalistes, les inégalités sociales et politiques de toutes sortes.
Les famines sont d’autant plus insupportables que des solutions existent : sauvegarde de la planète, lutte contre la destruction des écosystèmes, lutte contre les pesticides, lutte contre le changement climatique, politiques de paix, de solidarité et de développement, politiques de l’eau. Cela dépasse la seule dimension sanitaire.

« La médecine nutritionnelle est peu développée et bien souvent inaccessible financièrement. »

Mais nos pays ne sont pas à l’abri d’une dégradation de la situation dans ce domaine déjà en cours. Les politiques agricoles, la dégradation des territoires, les effets climatiques, les nouvelles épidémies, le creusement des inégalités sociales, l’orientation générale de l’économie sont autant de problèmes qui méritent des réponses adaptées.
On peut aborder ces questions sous l’angle sanitaire. Que constatons-nous aujourd’hui ?
• Le développement de l’obésité dans tous les pays occidentaux, touche particulièrement les enfants. Il est lié d’une part aux habitudes alimentaires et culturelles et d’autre part aux inégalités sociales. Il y a un gradient très net entre la surcharge pondérale et la mauvaise alimentation liée aux ressources des familles ;
• L’essor des maladies cardiovasculaires, l’hypertension artérielle, les infarctus, les cancers sont corrélés entre autres à l’alimentation. L’alcoolisme comme maladie sociale est aussi à prendre en compte (50 000 morts par an en France).
• La covid 19 a tué massivement les personnes obèses et hypertendues : il y a une dépendance de ce fait entre l’action pathogène du virus et l’état initial de santé des individus contaminés.

Une politique de santé appropriée à la situation
Le système de santé aurait les compétences et les connaissances pour prendre en charge ces questions, ce qui n’exonère pas bien sûr les autres volets de l’action publique pour agir sur ces déterminants. On ne peut laisser de côté les aspects économiques, sociaux et politiques des problèmes. Mais une nouvelle politique de santé pourrait jouer un rôle essentiel.
• L’un de ses premiers piliers réside dans la connaissance : la France est notoirement sous-équipée en matière de santé publique pour produire les connaissances nécessaires à l’action. Il est urgent de développer les outils d’analyse, les lieux de formation et de recherche dans ce domaine.
• Le second élément est une politique de prévention et d’éducation. La seule médecine de soin est insuffisante pour régler les problèmes en jeu. La médecine scolaire est quant à elle dans un état déplorable : le nombre de médecins scolaires est insignifiant (1 pour 12 000 élèves), de ce fait, ils sont peu disponibles pour suivre les questions d’alimentation. La médecine du travail est pour sa part en voie de disparition. La protection maternelle et infantile (PMI), qui concerne les enfants de 0 à 6 ans, est malmenée. La médecine nutritionnelle est peu développée et bien souvent inaccessible financièrement. La profession de nutritionniste est mal reconnue, non considérée comme une profession de santé et à ce titre non conventionnée avec l’assurance maladie. Enfin, comme souvent lorsque le système public est défaillant, une multitude d’acteurs privés, sans formation, s’appuyant sur des théories non scientifiques, voire sectaires, font de l’argent en proposant des solutions individuelles ésotériques. Ils sont les bénéficiaires secondaires des carences du système de santé.
• La troisième priorité consisterait à mettre en place une politique nationale de formation d’effectifs répondant aux besoins : augmenter le nombre de médecins, d’infirmières et de diététiciens pour couvrir les embauches nécessaires.
• La quatrième mesure à prendre est de développer une politique démocratique de santé de nature à répondre aux besoins de l’ensemble du territoire. Le volet santé publique et prévention est à insérer dans les organismes, comme les centres de santé locaux.
• Le cinquième volet sanitaire est le soutien à des politiques locales transformant les habitudes et les pratiques. Une nouvelle qualité des cantines scolaires et des restaurants d’entreprise permettrait à la fois de répondre à des besoins qualitatifs et d’aller dans le sens des évolutions écologiques nécessaires (circuits courts, productions locales, etc.). Des expériences d’atelier diététique où l’on apprend à cuisiner mieux, autrement, dans le respect des cultures de chacun, ont été conduites ces dernières années. Malgré leurs effets très positifs, elles ont bien souvent été abandonnées, faute de suivi financier sur le long terme. L’habitude prise par l’État de soutenir une action de prévention pendant un temps court puis de passer à autre chose est délétère.
• Le sixième enjeu est celui de la question du financement. Sans argent, rien ne se fera. L’assurance maladie doit jouer son rôle et être financée à la hauteur de ses responsabilités.
Nous entrons là dans un domaine très large qui dépasse le seul cadre de la nutrition. C’est toute la santé qui est sous-financée. Une réforme de son financement est à promouvoir. La commission nationale Santé et protection sociale du PCF a conduit de nombreux travaux sur ce sujet ; on peut les retrouver par exemple dans les Cahiers de santé publique et de protection sociale (https://cahiersdesante.fr). Nous ne développerons pas ici ces thèmes. Certains proposent la création d’une sécurité sociale de l’alimentation. Nous comprenons le souci et les objectifs des promoteurs de cette idée. Comme l’écrit le docteur Michèle Leflon dans Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, n° 38 : « L’analyse conduisant à ce projet ne peut être que partagée : les revenus insuffisants de trop d’agriculteurs, l’enjeu environnemental et la difficulté de nombreuses familles à bien se nourrir. On ne peut que souscrire aussi à l’idée qu’il faut une politique universelle et pas seulement des mesures pour les “pauvres”, qu’un processus démocratique est nécessaire pour une vision globale permettant de régler les contradictions inhérentes aux droits des agriculteurs, aux impératifs environnementaux et à l’aspiration à une nourriture saine pour toutes et tous ».

« Une nouvelle qualité des cantines scolaires et des restaurants d’entreprise permettrait à la fois de répondre à des besoins qualitatifs et d’aller dans  le sens des évolutions écologiques nécessaires (circuits courts, productions locales, etc.).»

Pour autant, cette proposition soulève plusieurs questions. Le financement reposerait sur la cotisation salariale. Deux critiques au moins peuvent être apportées à ce projet : il faut rappeler que le but de la Sécurité sociale est d’assurer des moyens d’existence dans tous les cas où les personnes sont incapables de se les procurer par le travail. Les revenus de remplacement sont là pour permettre, entre autres, l’alimentation, à ceux qui ne peuvent travailler. Donner une carte Vitale de l’alimentation à tous change le sens de la Sécurité sociale. Se pose la question des rapports des agriculteurs avec les banques, avec les entreprises de production d’intrants ou de transformation et de commercialisation des produits, qui n’est pas abordée. La transformation capitalistique de ces entreprises est à la fois un élément majeur des atteintes environnementales, de la dégradation de la qualité des aliments et une forme déguisée d’exploitation du travail des agriculteurs.

« Le développement de l’obésité dans tous les pays occidentaux touche particulièrement les enfants. Il est lié d’une part aux habitudes alimentaires et culturelles et d’autre part aux inégalités sociales. »

D’autres pistes nous paraissent plus intéressantes pour résoudre les questions posées :
• une augmentation générale des salaires (et des revenus de remplacement) permettant à tous de consacrer une part plus importante à l’alimentation et donc d’assurer des revenus décents aux agriculteurs ;
• des lois contraignantes sur la distribution comme l’intégration de la rémunération des paysans dans la définition législative du coût de production et l’interdiction d’achat de produits agricoles en deçà des coûts de production en France ;
• le développement de véritables services publics de l’environnement, de l’agriculture, de l’alimentation, de la recherche agronomique…
La sécurité sociale alimentaire, en négligeant les rapports de production, se place en dehors de la réalité de la lutte des classes et du rapport capital/travail. Elle fait rêver mais la gravité de la situation actuelle oblige à partir du réel : un capitalisme certes en grande difficulté, mais qui n’en est que plus agressif.

Michel Limousin est médecin. Il est membre de la commission Santé du PCF.

Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021