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Par Kristina Nikolaishvili

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Saint-John Perse, de son vrai nom Alexis Léger, est un poète et diplomate français né en Guadeloupe le 31 mai 1887 à Pointe-à-Pitre et mort à Hyères le 20 septembre 1975. Il est l’auteur d’une poésie réputée pour sa difficulté d’accès, écrite en versets et mêlant la modernité stylistique aux renvois aux origines les plus archaïques de la voix poétique dans la littérature occidentale. Les critiques ont abondamment glosé sur le « refus de l’histoire » dans l’œuvre de l’auteur. En effet, Saint-John Perse semble prendre le contre-pied de beaucoup de ses contemporains en ancrant son œuvre dans une sorte d’an-historicité mythifiée, exempte de références à l’actualité historique la plus immédiate, à une époque pourtant marquée par d’immenses bouleversements politiques, dont Alexis Léger, diplomate, maîtrise intimement les ressorts.
L’œuvre poétique de Saint-John Perse est nourrie de références aux récits mythiques fondateurs de l’histoire antique, notamment depuis l’écriture de Anabase (1924), sorte d’ascension vers les « hautes terres » de la poésie (du grec ancien anabasis) renvoyant aux Anabases de Cyrus (Xénophon) ou d’Alexandre le Grand (Arrien). Dès le premier vers de l’Anabase, Saint-John Perse superpose l’ouverture du poème sur un récit prophétique de fondation où le narrateur, qui pourrait très bien être le poète lui-même, apparaît comme un prêtre interprète de présages (selon le sens originel du mot « augure »). Le poème s’ouvre sur un processus de transformation achevé par la fondation d’une « loi », garantie par le narrateur, qui en est à l’origine. Si, dans la tradition classique, « l’Anabase » renvoie principalement aux expéditions de conquête à caractère également « fondateur », l’Anabase de Saint-John Perse ressemble bien davantage à une ascension vers le « Haut-Pays » de l’intériorité, de ce que l’auteur appelle « l’histoire de l’âme ». Pour ces raisons, l’œuvre de Saint-John Perse se verra longtemps intenter un procès en désengagement de l’histoire.
Il existe, chez Alexis Léger, une réelle volonté de séparer son activité littéraire de sa mission de diplomate. Cette volonté se lit d’abord dans le choix de son nom de plume, qu’il adopte à partir de l’écriture de l’Anabase et qui renvoie aux Évangiles, à l’Antiquité et à l’auteur latin du même nom. C’est sans doute non sans une certaine pointe de malice que Louis Aragon fera figurer Saint-John Perse dans Les Communistes, dernier volet romanesque de son cycle du Monde réel, où celui-ci se retrouve dépeint sous ses traits véritables, en diplomate, faisant son possible pour empêcher l’éclatement de la guerre. L’œuvre entière de Saint-John Perse participe à créer un effet de rupture de continuité dans l’identité du poète qu’on retrouve aussi bien dans le choix curieux qu’il fit, à un tournant de sa carrière, de changer entièrement de graphie, comme pour créer un hiatus complet dans ce qui définit si complètement l’identité d’un individu qui se trouve être, de surcroît, écrivain.

Kristina Nikolaishvili

Sur trois grandes saisons m’établissant avec honneur, j’augure bien du sol où j’ai fondé ma loi.
Les armes au matin sont belles et la mer. À nos chevaux livrée la terre sans amandes
nous vaut ce ciel incorruptible. Et le soleil n’est point nommé, mais sa puissance est parmi nous et la mer au matin est comme une présomption de l’esprit.
Puissance, tu chantais sur nos routes nocturnes !…
Aux ides pures du matin que savons-nous du songe,
notre aînesse ?
Pour une année encore parmi vous ! Maître du grain,
maître du sel, et la chose publique sur de justes balances !
Je ne hélerai point les gens d’une autre rive.
Je ne tracerai point de grands quartiers de villes sur les pentes avec le sucre des coraux. Mais j’ai dessein de vivre parmi vous.
Au seuil des tentes toute gloire ! ma force parmi vous ! et l’idée pure comme un sel tient ses assises dans le jour.

Saint-John Perse, Anabase

Cause commune n° 22 • mars/avril 2021