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En 1942, le poète Paul Éluard a 47 ans lorsque son poème « Liberté » est parachuté par les avions anglais au-dessus de la France à des milliers d’exemplaires. Rarement en France (hormis avec Aragon), la poésie ne s’est autant confondue avec la lutte politique contre l’oppression, ne l’a portée aussi haut. Et nous pouvons avoir la nostalgie, non de ce que fut ce temps, mais de ce qu’atteignit alors la poésie.
Paul Éluard (de son vrai nom Eugène Grindel) est né en 1895 à Saint-Denis et mort en 1952. Sa trajectoire le mène d’abord au dadaïsme et au surréalisme, qui innervera constamment sa poésie des « splendeurs de l’imagerie surréaliste » (selon les mots de Raymond Jean) et de la très haute conception de l’amour des surréalistes : il écrit plusieurs livres en commun avec André Breton, Benjamin Péret. Mobilisé en 1914, il est vite renvoyé à la vie civile du fait de sa mauvaise santé, mais restera marqué par la guerre et ses tranchées. En 1926, avec Aragon et Breton, révoltés notamment par la guerre coloniale au Maroc, il adhère au Parti communiste, dont il est exclu en 1933, avant de participer à la Résistance, et de réadhérer au PC en 1942.
Traqué, il se réfugie pendant l’hiver 1943-1944 à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole (célèbre pour le renouvellement profond apporté à la psychiatrie) avec la complicité de ses médecins, sous le prétexte officiel de démence légère. Collectionneur passionné d’art, auteur de plusieurs textes consacrés à des peintres, il y découvre l’« art brut » pratiqué par certains patients, avec notamment des œuvres qu’il fera connaître à Dubuffet et Picasso. À ce dernier (« l’ami dément ») le lie une amitié indestructible scellée par la guerre d’Espagne, le massacre de Guernica. Il lui dédie un de ses recueils et écrit de nombreux textes sur son œuvre : « Tu dessines avec amour ce qui attendait d’exister ».
Il ne cessera pas après la guerre de soutenir toutes les luttes en cours contre les régimes oppresseurs et de participer à toutes les manifestations en faveur de la paix.
Mais Paul Éluard est aussi un poète de l’amour qu’il connut et célébra avec trois femmes en particulier. Gala, ainsi surnommée par lui, fut la première, jeune Russe rencontrée en Suisse au sanatorium où il fut lui-même hospitalisé deux ans pour tuberculose de 1912 à 1914 et qu’il épousa en 1917. Ce sera ensuite Nusch (« Tu te lèves l’eau se déplie »), épousée en 1934 et morte brutalement d’une hémorragie cérébrale : « Vingt-huit novembre mil neuf cent quarante-six/Nous ne vieillirons pas ensemble/ ». Enfin Dominique, la dernière compagne, rencontrée au Congrès mondial de la paix à Mexico, sera celle qui réveillera Éluard à l’amour : « Tu es venue plus haute au fond de ma douleur ».
« Parler aux hommes le langage de tous les hommes et leur parler cependant un langage tout neuf, infiniment précieux et simple pourtant comme le pain de la vie quotidienne, nul poète, avant Éluard, ne l’avait fait si naturellement », écrit André Pieyre de Mandiargues dans une préface en 1966. l
Katherine L. Battaiellie

 

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres

Sur le sable sur la neige

J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir

Sur la solitude nue

Sur les marches de la mort

J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot

Je recommence ma vie

Je suis né pour te connaître

Pour te nommer

Liberté.

Poésie et vérité, 1942

 

 

La terre est bleue comme une orange

Les guêpes fleurissent vert

L’aube se passe autour du cou

Un collier de fenêtres

Des ailes couvrent les feuilles

Tu as toutes les joies solaires

Tout le soleil sur la terre

Sur les chemins de ta beauté.

 

L’amour la poésie, dédié à Gala 
Éditions Gallimard, 1966

 

Nous fuirons le repos nous fuirons le sommeil

Nous prendrons de vitesse l’aube et le printemps

Et nous préparerons des jours et des saisons

À la mesure de nos rêves.

 

Pablo Picasso Paul Éluard, Le visage de la paix, Éditions Cercle d’art, 1951

 

Cause commune n° 43 • mars/avril 2025