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Difficile de parler de ruralité sans aborder l'enjeu central de l'agriculture. Les difficultés que vivent les paysans les conduisent souvent à se mobiliser et mettent en évidence l'urgence qu'il y a à mener des politiques publiques ambitieuses.

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L’agriculture est-il un secteur qui ne pèse plus grand-chose ? Ce poncif est généralement utilisé pour faire réagir et être ensuite vivement contesté. Pourtant il faut quand même être lucide : sans remonter à la Seconde Guerre mondiale, l’effondrement du secteur est important. En mars, le service statistique de la Mutualité sociale agricole (MSA) faisait état de 461 803 chefs d’exploitation ou d’entreprise. Un chiffre en baisse constante, quelle que soit la source statistique. Si l’on s’intéresse aux chiffres de la MSA, on s’aperçoit que depuis 2006 la baisse est de 15 %. Un plan social de plus de 73 000 personnes. Malheureusement, ce n’est pas la seule source d’inquiétude : la pyramide des âges est inquiétante, l’installation des jeunes agriculteurs n’est pas à la hauteur des besoins de renouvellement et les terres agricoles se raréfient drastiquement. C’est l’équivalent d’un département français qui est artificialisé tous les sept ans.
Enfin, pour finir de dresser le tableau, le revenu est dramatiquement bas : un paysan sur quatre gagne moins de 600 € par mois. Les aides de la politique agricole commune (PAC) sont devenues indispensables dans la construction de ce maigre revenu. Les politiques publiques mettent un pansement sur une jambe de bois, la libéralisation du secteur a provoqué l’amputation. Les forces progressistes existent mais ne sont pas au même niveau qu’au début des années 2000. Le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) a rassemblé entre 1,5 et 2 % des voix en 2013 aux élections professionnelles (contre 2,9 % en 2003) et la Confédération paysanne entre 19 et 20 % (contre 26,8 % en 2003).

Face aux constats, les paysans réagissent, parfois avec l’aide des citoyens
Pourtant, malgré ce tableau un peu sombre, arrêter le combat, considérer l’agriculture comme une cause perdue serait une grossière erreur politique. En premier lieu, mettre sur la table la question du revenu du paysan, c’est mettre sur la table l’opposition du capital et du travail. L’approche quasi féodale qu’entretiennent certains géants de l’agroalimentaire avec les paysans qui les approvisionnent est caricaturale. Dans le secteur laitier, Lactalis se permet de cacher deux milliards d’euros au Luxembourg, de ne pas publier ses comptes et de faire des impasses sur la sécurité alimentaire de produits destinés aux nourrissons ! Les mouvements de paysans face à ces grands groupes sont donc légitimes : travailler avec eux sur le juste prix de leurs produits doit être une priorité à tous les niveaux, les soutenir dans leurs luttes une évidence. Les affaires sur les trésors de guerre des entreprises laitières cachés dans les paradis fiscaux devraient abonder et permettre au PCF de diversifier sa campagne sur l’évasion fiscale. Ces pratiques rappellent également que la financiarisation (spéculation sur les matières premières alimentaires, évasion fiscale) est, depuis une vingtaine d’années, un cancer pour l’économie agricole. Il ne faut pas l’oublier car les émeutes de la faim peuvent se reproduire.

« Les paysans travaillent avec les “communs” et l'argent public permet d'orienter les pratiques agricoles vers une protection de ces derniers. »

Pourtant, depuis la grève du lait de 2007, les mouvements qui portent sur les questions des prix des produits agricoles sont moins visibles que ceux qui portent sur les aides publiques. Baisse des indemnités compensatoires pour les handicaps naturels, retard de paiement des aides de la PAC, menace d’arrêt de financement des surfaces pastorales… Ce n’est pas étonnant, quand on sait que ces aides représentent souvent une grosse part du revenu des paysans. Là encore, ces mouvements doivent nous faire réagir. Souvent la technocratie européenne est mise en accusation, à moins que ce ne soit l’austérité. Pour les paysans, le résultat est le même : un mois, deux mois de revenu en moins ou en retard… Aujourd’hui, ces aides permettent de faire baisser les prix de l’alimentation et d’ « organiser » le budget des ménages. La population a vu la plupart des postes de son budget (logement, transports, loisirs) augmenter en valeur et en proportion aux dépens du poste alimentaire. Les vrais bénéficiaires de ces subventions sont donc les grandes surfaces qui cassent les prix alimentaires et, plus largement, le monde de la finance qui bénéficie du « pactole » libéré par la baisse du budget des ménages consacré à l’alimentation.

Mener des luttes sur le plan de l’alimentation pour mettre en valeur des politiques publiques agricoles
Pourtant, dans l’immédiat, il semble important de légitimer les subventions. D’une part, elles sont vitales, aujourd’hui, pour la survie économique des fermes. D’autre part, on peut en faire un outil de transition écologique et de dialogue. En effet, les paysans travaillent avec les « communs » et l’argent public permet d’orienter les pratiques agricoles vers une protection de ces derniers. Il ne faut donc pas abandonner le combat de la régulation et de la maîtrise de la production, qui permettront de casser la spirale des prix bas, mais en même temps garder ces 7,7 milliards d’euros par an pour orienter un secteur économique stratégique, cela n’a rien de choquant. C’est tout aussi logique que de défendre les dotations des écoles, des hôpitaux et des transports publics. D’ailleurs, nous serions dans notre rôle d’oser le parallèle. Soyons clairs : le rêve de Macron est de saborder ces aides. Nous devons être extrêmement vigilants dans la préparation de la prochaine programmation en 2019. Son raisonnement de banquier pourrait être : un secteur agricole capable de vendre ses produits plus chers (de « monter en gamme ») pourrait ne pas avoir besoin d’aides publiques. C’est en tout cas ce que laisse penser une note du gouvernement français sur le prochain cadre budgétaire pluriannuel de l’Union européenne, les récentes coupes dans les aides pour l’élevage ou l’agriculture biologique ou le discours d’Emmanuel Macron à Rungis…

« Les mouvements de paysans face aux grands groupes sont légitimes : travailler avec les agriculteurs sur le juste prix de leurs produits doit être une priorité.»

Enfin, une autre raison de lutter est que l’alimentation est un sujet fédérateur dans notre société. Pour le meilleur, comme pour le pire d’ailleurs. Prenons l'exemple de l'association L214, qui promeut le droit des animaux et le véganisme, et qui a connu un succès médiatique important ces dernières années. En surfant sur de vraies dérives de l'agriculture industrielle, les leaders de ce mouvement affirment que la consommation de viande et de produits laitiers serait criminelle. Cette attitude tend à diviser alors que l'objectif est de rassembler : la division entre producteurs et consommateurs n’a pas de sens, nous sommes tous membres de la même communauté de destin, voués à vivre sur le même territoire, à le préserver, l’entretenir durablement. C’est d’autant plus le cas que l’alimentation est un enjeu à la croisée de plusieurs thématiques : santé, écologie, économie, agriculture… Les militants communistes ne se trompent pas quand ils organisent, par exemple à Paris et en Seine-Saint-Denis, des ventes de fruits et légumes. Les élus communistes ne se trompent pas quand ils préservent des terres agricoles à Aubagne ou à Saint-Denis. Quelle alimentation voulons-nous ? C’est la question qu’il faut mettre en débat dans toutes les strates du parti et il faut en profiter pour associer à cette réflexion des paysans, des citoyens engagés dans une autre distribution, des artisans, des ouvriers de l’agroalimentaire… Il faudra par la suite traduire ses aspirations populaires en politiques publiques et c’est bien là le rôle d’un parti politique.

Maxime Bergonso est membre de la commission Agriculture du PCF.

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018