Par

L’urgence de réformer la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) sous prétexte de déficit insoutenable cache mal la volonté de livrer clé en main l’entreprise publique à la concurrence privée.

exe_autocol_train_8.jpg

En suivant quasi in extenso les préconisations du rapport de février 2018 de Jean-Cyril Spinetta (fossoyeur d’Air France mais aussi ancien président du conseil de surveillance d’Areva, ancien membre des conseils d’admi­nistration d’Alcatel-Lucent, de Saint-Gobain et d’Engie) que lui avait commandé l’exécutif pour refonder le système ferroviaire français, le gouvernement envisage le passage de la SNCF du statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), où l’État est propriétaire, à celui de société nationale à capitaux publics, où l’État est actionnaire. Ce faisant, il met tout en place, quoiqu’il s’en défende, pour ouvrir le capital et privatiser la SNCF à court terme (scénario bien connu, appliqué à Air France, Électricité de France, Gaz de France…). L’urgence de réformer la SNCF sous prétexte de déficit insoutenable cache mal la volonté de livrer clé en main l’entreprise publique à la concurrence privée.

Risques publics et recettes privées
Il a fallu tout d’abord affaiblir le service rendu, ce à quoi se sont attelés les différents gouvernements depuis des années. Le dernier exemple en date est la mise en service du tronçon de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux. Il s’agit d’un partenariat public-privé (PPP) avec comme principale caractéristique des montages financiers où les risques sont publics et les recettes privées (dont les banques tirent aussi parti). Le consortium Ligne Sud Europe Atlantique (LISEA), qui regroupe Vinci, la Caisse des dépôts, Axa et Sojas, est à ce jour le PPP le plus important de France. Cette privatisation octroie la gestion du bien construit durant plusieurs décennies en échange d’un loyer payé par le partenaire public (ici un loyer de cinquante ans entre Réseau ferré de France [RFF] et LISEA). Mais le plus incroyable est que LISEA est assuré de toucher la totalité des péages que les trains circulent ou non (7 000 € par trajet), alors que 71 % des financements sont publics (État, RFF et collectivités locales). Des péages qui atteindront 50 % du prix du billet contre 37 % pour les lignes de train à grande vitesse 100 % publiques avec comme résultats immédiats de nouvelles pertes financières pour l’opérateur public SNCF qui ne manquera pas de les répercuter aussitôt sur les usagers.

« Le rôle de la SNCF comme service public est durement remis en cause, avec le danger de délaisser les trains régionaux et donc de mettre fin à l’égalité de traitement, quel que soit notre lieu d’habitation, qui implique un large maillage territorial. »

Remise en cause du service public
Le rôle de la SNCF comme service public est durement remis en cause, avec le danger de délaisser les trains régionaux et donc de mettre fin à l’égalité de traitement, quel que soit notre lieu d’habitation, qui implique un large maillage territorial. L’ouverture à la concurrence ne réglera pas les problèmes réels du déficit de la SNCF, dû en grande partie à l’obligation faite par l’état à la SNCF de développer la recherche et d’investir dans les TGV et les LGV au détriment des trains express régionaux (TER) et des trains d’équilibre du territoire (TET). Par ailleurs, cela signifiera à coup sûr l’abaissement du niveau de qualité du service, la fermeture de lignes jugées non rentables et la mise sur les routes de centaines d’autocars ou le développement du « tout voiture » (dans le même temps que sont mis en place des plans dits « antipollution » dans les métropoles). Dans les cas extrêmes, certaines régions pourraient voir leur offre de transport ferroviaire disparaître. Aujourd’hui, ce sont 27 400 cheminots qui concourent directement à la circulation des TER partout en France. Ce sont 7 000 TER qui circulent chaque jour sur le territoire et plus de 95 0000 voyageurs qui utilisent les transports régionaux au quotidien. Il s’agit là d’une bataille majeure à mener et à gagner avec les usagers, non pas pour préserver un pré carré mais pour empêcher un désastre futur.

Stéphane Lamouroux est secrétaire de la section des retraités de la CGT cheminots de Villeneuve-Saint-Georges (94).

Cause commune n° 5 - mai/juin 2018