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Tout en faisant le choix de respecter l’indépendance des organisations politiques ultra-marines, le PCF a toujours relayé à Paris leurs prises de position. Il considère que les réponses aux crises multiples que traversent les territoires d’outre-mer ne se situent pas uniquement du côté d’une réforme des institutions républicaines mais sont surtout à chercher dans la construction d’une autre voie de développement économique.

Un choix fort d’indépendance organisationnelle
Les outre-mer traversent une crise multidimensionnelle qui s’est encore aggravée sous les effets conjugués de l’épidémie de covid et de la perpétuation de l’économie du conteneur. Cette crise nourrit aujourd’hui une colère profonde dans l’ensemble du monde ultra-marin, anciens départements comme anciens territoires, colère qui s’est matérialisée, lors des dernières élections, par un vote massif en faveur des principales forces politiques d’opposition au gouvernement Macron.
La perception d’un pouvoir arbitraire des préfets dans la crise du covid, le déni de justice au sujet du drame du chlordécone, le troisième référendum contrarié en Nouvelle-Calédonie, la crise sociale et sécuritaire permanente à Mayotte, la pauvreté généralisée dans un contexte de prix spéculatifs et d’économie de services à bas salaire, l’effet des essais nucléaires dans le pacifique, toutes ces manifestations de la crise des outre-mer ont un nom : la dépendance économique et institutionnelle à la métropole.

« Au-delà des urgences, le PCF encourage la mise en place d’une politique de substitution à cette dépendance
dans la production agricole et industrielle. »

Depuis la décolonisation de la fin des années 1950 et la prise d’indépendance des partis communistes ultra-marins des Antilles et de La Réunion, le PCF a toujours relayé, à Paris, les positions des élus et mouvements politiques ultra-marins. Notre parti fut ainsi, rappelons-le, le seul parti politique français à avoir accompagné, à travers la création des partis communistes guadeloupéens, martiniquais et réunionnais, ces peuples dans leur volonté d’affirmation et d’émancipation. Ce choix fort d’indépendance organisationnelle a hier comme aujourd’hui correspondu à notre conception de peuples libres de choisir et d’affirmer leur destin. Ce choix et ce respect des forces progressistes permettent aujourd’hui le travail commun au sein du parlement.

Aller au-delà des réponses institutionnelles
Le PCF a, de ce fait, observé les débats entre partisans du statu quo institutionnel, de l’autonomie ou de l’indépendance, en dénonçant quand il le fallait le refoulé colonial, manifeste à Mayotte lors de la départementalisation de ce territoire, ou en Nouvelle-Calédonie, lors de la mise en œuvre des accords de Nouméa. Et il est aujourd’hui, vingt ans après les réformes institutionnelles ayant ouvert la création de « statuts à la carte » et au moment où s’ouvre le débat sur la « différenciation » de ces territoires, toujours en relais de la parole politique progressiste issue de l’outre-mer.
La gravité de la crise actuelle oblige cependant à comprendre combien les réponses aux problèmes de l’outre-mer ne sauraient être uniquement institutionnelles. Un nouveau statut ne réglera pas en soi la problématique du mal-développement de ces territoires. L’économie du conteneur, la dépendance au tourisme, l’absence d’industrie susceptible d’irriguer ces territoires autrement que par la migration d’ingénieurs métropolitains comme à Kourou en Guyane, tout cela pose d’abord et avant tout la question du développement endogène des outre-mer, loin des prescriptions et intérêts des élites capitalistes locales ou des grandes entreprises métropolitaines.
Aussi, le PCF défend la convocation de « conférences » réunissant élus et populations locales qui permettront « d’engager un programme solidaire de développement économique ». Dans l’urgence, il défend une baisse des taxes sur les produits de première nécessité, un démantèlement des monopoles de la distribution des denrées alimentaires importées depuis la métropole et un grand plan emploi et formation « pour permettre aux populations de vivre et de travailler dans ces territoires ».

« Entre les communistes français et les forces progressistes ultra-marines, reste une aspiration et une détermination commune à bâtir un monde de justice et de paix, débarrassé des logiques de domination, d’oppressions coloniales ou néo-coloniales que le capitalisme prédateur des hommes et de la planète entend continuer d’imposer au genre humain. »

Au-delà des urgences, le PCF encourage la mise en place d’une politique de substitution à cette dépendance dans la production agricole et industrielle. Le drame du chlordécone est en effet bien, avant toute chose, le drame d’une production agricole uniquement destinée à l’export et pour laquelle le respect des travailleurs de la terre et de l’environnement ne pèse rien face aux profits générés par l’agrobusiness. La problématique du nickel en Nouvelle-Calédonie est bien celle d’une maîtrise de toute une filière par les Kanaks eux-mêmes, c’est-à-dire de la construction d’unités de transformation du nickel sur le territoire calédonien, bien loin des appétits féroces d’Eramet comme de grands consortiums capitalistes miniers chinois ou australiens. L’enjeu de la « Montagne d’or » en Guyane est bien celui de l’opportunité de détruire toujours plus de forêt équatoriale et de biodiversité pour extraire un métal, l’or, parfait symbole d’une économie de prédation totalement impropre à susciter du développement local.

« La gravité de la crise actuelle oblige cependant à comprendre combien les réponses aux problèmes de l’outre-mer ne sauraient être uniquement institutionnelles. »

Ce besoin de donner les moyens aux Ultra-marins de définir et de mettre en œuvre leur propre voie de développement appelle naturellement la possibilité de nouer des accords d’échange et des coopérations régionales avec les pays limitrophes de ces territoires. Cela suppose également de leur permettre d’investir dans une production énergétique propre et durable. La question est notamment posée en Guyane aujourd’hui, avec le projet de centrale électrique solaire et hydrogène de l’ouest guyanais, contestée sur son emplacement, mais largement approuvée quant à son opportunité. Mais elle est prégnante dans tous ces territoires, nos amis réunionnais ayant cherché, dès 2001 avec notamment, la proposition de loi « portant création d’un observatoire national sur les effets du réchauffement climatique en France métropolitaine et dans les territoires d’outre-mer » de notre camarade Paul Vergès, soit bien avant que cette question soit portée dans le débat politique métropolitain, à ce que leurs territoires agissent au plus vite sur la question écologique. Dans ces territoires particulièrement exposés aux conséquences du réchauffement climatique et où la biodiversité est particulièrement riche, les élus ultra-marins démontrent ainsi toujours leur haut degré de conscience des principaux enjeux de leurs territoires.
Aussi, c’est dans ce cadre de construction d’un développement endogène de chacun de ces territoires qu’il importe de travailler la question de l’accession aux postes à responsabilités de la population issue des territoires concernés, et pour cela de favoriser la diffusion de la culture issue du métissage et de l’histoire singulière de chaque territoire. Là est aussi le caractère profondément révolutionnaire du codéveloppement que nous appelons de nos vœux, tant il suppose d’affronter l’« eurocentrisme » ou l’« occidentalo-centrisme » et d’accepter les différences non du bout des lèvres mais en y voyant le reflet de la richesse de l’humanité, voilà la condition d’une vraie égalité des peuples.

Un pas en avant hautement anticapitaliste
Pour les communistes, il n’y a donc pas d’issue politique qui ne serait qu’institutionnelle. Tous les territoires d’outre-mer sont déjà différents statutairement. La Collectivité de Martinique est une assemblée unique inscrite dans l’article 73 de la Constitution qui regroupe la région et le département, la Guadeloupe possède toujours deux assemblées, Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont régies par l’article 74 de la Constitution et toutes les deux n’ont pas le même statut vis-à-vis de l’Europe. La Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte, Wallis et Futuna, la Polynésie, La Réunion… tous jouissent de différences statutaires. Et tous sont confrontés aux mêmes problématiques de mal-développement parce que ces réformes n’ont jamais abordé – et pour cause ! – la confrontation avec l’économie de prédation héritée du passé esclavagiste de ces territoires et l’enjeu pour l’État d’accepter de partager certains de ses pouvoirs régaliens. Aussi, alors qu’un nouveau chapitre de ces débats institutionnels semble s’ouvrir à la suite de l’appel de Fort-de-France et à l’éruption de cette colère populaire consécutif aux élections de 2022, les communistes français insisteront bien, aux côtés des élus ultra-marins, sur le fait qu’aucune avancée institutionnelle ne saurait être acceptée, sauf bien sûr pour donner à l’outre-mer la capacité d’avancer vers un développement conçu et mis en œuvre par et pour les populations de ces territoires. La situation exige ce pas en avant hautement anticapitaliste.
La situation géopolitique diverse de ces territoires, les enjeux internationaux qui s’y jouent (nucléarisation militaire, militarisation, la restitution de Chagos) appelle une intervention convergente des forces progressistes françaises. De tous ces exemples de combats à poursuivre entre les communistes français et les forces progressistes ultra-marines, reste une aspiration et une détermination commune à bâtir un monde de justice et de paix, débarrassé des logiques de domination, d’oppressions coloniales ou néo-coloniales que le capitalisme prédateur des hommes et de la planète entend continuer d’imposer au genre humain.

Denis Rondepierre était responsable des questions relatives aux outre-mer pour la direction du PCF lors de l’élaboration de ce dossier.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023