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L’île de La Réunion a entrepris d’entrer dans une « nouvelle économie », adaptée aux enjeux du XXIe siècle, fondée notamment sur l’autonomie énergétique, la sécurité alimentaire et l’insertion dans l’espace indo-pacifique. Elle ne pourra toutefois y parvenir que si l’État assume pleinement ses responsabilités.

La Réunion, des potentialités entravées ?
Dans les outre-mer, depuis longtemps, depuis toujours, l’articulation entre les aspirations locales et l’échelon décisionnaire, entre les besoins et les politiques menées, sont en débat et en recherche. Cette antériorité a plusieurs origines. La plus évidente, la plus simple est assurément d’ordre géographique. Sous ce seul angle, le décalage est récurrent et se rencontre dans de nombreux secteurs. Trois exemples l’illustrent amplement.
D’abord les normes de construction. Élaborées en fonction et pour un climat tempéré, elles sont inadaptées au bâti tropical. Les catastrophes architecturales abondent et, si une prise de conscience est en cours, on est loin du compte.
Ensuite, l’aménagement. Qui connaît La Réunion sait que la plupart de nos communes s’étalent « du battant des lames au sommet des montagnes ». L’application de la loi Littoral de 1986 à cette géographie communale provoque beaucoup de difficultés, au risque de remettre en cause les actions favorables à un aménagement équilibré et respectueux de l’environnement dans Les Hauts comme à Mafate.
Enfin, l’impossibilité pour la région Réunion de porter une grande politique maritime. Notre zone économique exclusive (ZEE) couvre une surface de 2,2 millions de kilomètres carrés. Toutes les grandes puissances sont présentes dans l’océan Indien. Mais La Réunion n’est pas associée. Par exemple, l’État exerce une compétence exclusive sur les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et dans le domaine de la pêche, sans que la région ne soit associée.

« Avec la mer, le soleil, le vent, le volcan, la biomasse et l’eau, la nature a généreusement doté La Réunion de potentialités considérables dans la marche vers les énergies renouvelables. »

On le voit, les potentialités existent mais elles sont littéralement entravées. Et c’est l’efficacité de l’action publique qui est de plus en plus interrogée. Comment pourrait-il en être autrement quand le bilan de la loi de 1946 montre que des progrès évidents dans des domaines tels que la santé, l’éducation, les infrastructures, les acquis sociaux côtoient un chômage structurel élevé, des inégalités criantes et l’absence de perspectives pour une grande partie de la jeunesse pourtant de plus en plus formée et diplômée ?
Le sentiment d’insatisfaction est manifeste. Il se lit par exemple dans l’importance de l’abstention et des votes contestataires. Si l’on se réfère aux résultats de la dernière élection présidentielle, il est clair que les populations ne se reconnaissent plus dans les décisions prises à l’échelon national sans véritable concertation. C’est le déclencheur de l’appel de Fort-de-France qui propose une refondation des relations avec le pouvoir central ; une refondation à la carte ; au cas par cas ; territoire par territoire. Le pire scénario serait de clore la réflexion et de rabattre le débat sur des vieux réflexes.

Construire un projet de développement durable
À La Réunion comme dans tous les outre-mer, les citoyens aspirent à une plus grande efficacité de l’action publique et tous les acteurs reconnaissent qu’une nouvelle étape doit s’ouvrir face aux enjeux d’aujourd’hui. Partant de ce double constat, la région Réunion s’est donnée comme priorité de définir un projet de développement durable fondé sur nos atouts, nos caractéristiques et aussi nos ambitions. La stratégie étant d’inscrire ce développement dans le cadre de notre triple appartenance à la France, à l’Europe, à l’océan Indien. À partir de là, ce sont bien les exigences de ce développement durable et de cette stratégie qui appelleront les moyens juridiques et financiers nécessaires et non l’inverse.

« Notre responsabilité est de produire l’avenir. Ce qui oblige à lever tous les obstacles y compris normatifs qui, du fait de leur inadéquation ou encore de leur carence, entravent les politiques de développement et découragent les initiatives. »

La traduction dans les faits a déjà commencé. Ainsi, la région Réunion a engagé un processus en vue de définir ce que nous intitulons « La nouvelle économie », c’est-à-dire une économie adaptée aux enjeux du XXIe siècle et créatrice d’emplois pour notre jeunesse. Plusieurs grandes orientations ont d’ores et déjà été programmées.
L’autonomie énergétique de La Réunion vers 2035. Avec la mer, le soleil, le vent, le volcan, la biomasse et l’eau, la nature a généreusement doté La Réunion de potentialités considérables dans la marche vers les énergies renouvelables. Les filières sont identifiées. Un projet a été élaboré et intitulé : « Un toit solaire pour chaque famille réunionnaise ». Nous œuvrons à présent d’une part pour mobiliser les moyens financiers nécessaires et d’autre part pour disposer des compétences locales grâce aux filières de formation que nous encourageons.
Autre exemple, la sécurité alimentaire. La Réunion produit déjà 73 % des fruits et légumes frais qu’elle consomme. Elle représente 60 % du chiffre d’affaires de l’agroalimentaire des outre-mer. Pour atteindre l’autonomie alimentaire, il manque 1 000 hectares. Ce foncier existe mais il faudrait défricher. Il faudrait là aussi un cadre normatif conçu pour une agriculture en milieu tropical et non pas, et non plus une « tropicalisation » des normes d’un pays tempéré.
Dernier exemple significatif : l’insertion dans notre environnement géo-économique et l’action internationale. La Réunion est sur l’axe d’échanges Afrique-Asie qui est en forte expansion économique et en plein dynamisme démographique. L’Indo-Pacifique, c’est 60 % de la richesse mondiale et la moitié de la population de la planète. Nos capacités juridiques à agir dans ce domaine ne sont pas à la hauteur de l’ambition que nous por­tons pour une véritable politique de codéveloppement régional. L’État et l’Union Européenne concluent des accords de coopération avec des pays de notre environnement sans que nous y soyons associés. Sait-on que plus de 98 % des prises dans notre bassin maritime sont le fait de flottes extérieures à notre île et que notre droit de regard est égal à zéro ?

Lever tous les obstacles
Notre responsabilité est de produire l’avenir. Ce qui oblige à lever tous les obstacles y compris normatifs qui, du fait de leur inadéquation ou encore de leur carence, entravent les politiques de développement et découragent les initiatives.

« L’État doit également assumer pleinement ses compétences dans le domaine de la santé ou encore dans l’éducation où les retards et les manquements sont documentés avec précision »

D’abord, « batailler » pour que l’État assume pleinement ses compétences. Au moment où le prix des billets d’avion flambe, la continuité territoriale est un sujet prioritaire. L’État doit garantir l’égalité de traitement entre les territoires, comme il le fait en Corse et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette intervention est d’autant plus légitime que La Réunion est la région la plus éloignée de la France hexagonale. L’État doit également assumer pleinement ses compétences dans le domaine de la santé avec notamment la sur-prévalence du diabète et des conséquences qu’il provoque ou encore dans l’éducation où les retards et les manquements sont documentés avec précision. Ensuite, lors de chaque transfert de compétence, la question des moyens mais aussi de leur dynamisme doit être absolument garantie. Enfin, nous proposons une application automatique de l’article 73 de la Constitution pour l’adaptation des lois et de leur application. Cela signifie associer systématiquement le ministère des outre-mer et les exécutifs locaux à l’élaboration des normes et surtout de rendre obligatoire la justification de l’absence d’adaptations dans les projets de loi. Cela aurait en outre l’avantage d’éviter le recours abusif aux ordonnances pour l’adaptation des normes nationales.
Sans préjuger des évolutions constitutionnelles à venir, nous défendons une optimisation des potentialités de la Constitution, en particulier de l’article 73 mais aussi du principe de subsidiarité prévu à l’article 72 alinéa 2. Nous appelons en outre à une réorganisation des services de l’État. La déconcentration est la grande oubliée alors qu’il paraît indispensable que les représentants de l’État puissent adapter leurs décisions aux réalités locales, comme lors de la crise sanitaire.
Il va de soi que les citoyens seront d’autant plus partie prenante à ce débat qu’ils auront la certitude qu’il est arrimé à leur vécu, qu’il s’articule à leurs attentes. Il risque sinon d’apparaître hors-sol ou alors d’être une fois de plus instrumentalisé à d’autres fins que le développement.

Huguette Bello est présidente du conseil régional de La Réunion. Elle est présidente du parti Pour La Réunion.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023