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En outre-mer, la promesse égalitaire républicaine reste encore largement non tenue. Les logique coloniales et capitalistes sont loin d’avoir disparu et constituent des obstacles majeurs au développement de ces territoires. En lien avec les forces progressistes locales, le PCF entend contribuer au travail de réflexion et de proposition sur ces enjeux.

par Nicolas Tardits et Pierre Wadlow

Une longue tradition
« Cela faisait longtemps que je souhaitais une telle rencontre afin de réactualiser le projet communiste en lien avec les forces progressistes et les forces de gauche des outre-mer, concernant l’avenir de leurs peuples, l’avenir de ces territoires et l’actualité de nos combats communs ». C’est en ces termes que Fabien Roussel a conclu le colloque Un droit des outre-mer au service du développement et de l’égalité républicaine le 29 mars 2023 à Colonel Fabien. Fidèle à la longue tradition historique qui le lie aux peuples des outre-mer et conscient de l’importance des enjeux actuels, le PCF a voulu contribuer par cet événement au travail de réflexion et de propositions, ainsi qu’il l’a toujours fait à chaque rendez-vous décisif entre les outre-mer et la République. Ce numéro de Cause Commune en est le prolongement direct.
Les débats autour de l’égalité républicaine au sein des territoires d’outre-mer ont jalonné l’histoire longue des communistes. Cette histoire est aussi celle du lien de confiance construit avec les forces progressistes locales et le PCF qui a parfois impulsé leurs structurations à l’image du Parti communiste réunionnais en 1959 ou martiniquais en 1957, eux-mêmes portés par le désir profond des communistes locaux à leur autonomie afin de défendre efficacement leurs propres revendications. Soulevant débats, inquiétudes, réorientations politiques quant aux relations à entretenir et positions à tenir, les communistes français ont toujours pris à bras-le-corps ces enjeux. Dès 1946, par la voix du jeune député de Martinique Aimé Césaire, les communistes ont ainsi porté la loi de « départementalisation » qui transforme juridiquement les dites « vieilles colonies » de Martinique, de La Réunion, de la Guadeloupe et de la Guyane en départements.

« Les débats autour de l’égalité républicaine au sein des territoires d’outre-mer ont jalonné l’histoire longue des communistes. »

Un véritable aveu d’échec
Mais où en sommes-nous, plus de soixante-quinze ans après, de ce long processus né de la promesse égalitaire adaptée aux spécificités des territoires de l’ancien empire colonial français ? Véritable aveu d’échec, la loi du 14 février 2017 adoptée à l’unanimité inscrit en son premier article que « la République reconnaît aux populations des outre-mer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français ». La juste égalité dans la République demeure un vœu, une perspective, une ambition, mais pas une réalité. Départements d’outre-mer (DOM), territoires d’outre-mer (TOM), départements et régions d’outre-mer (DROM), collectivité territoriale unique, le long processus de décentralisation marqué par la diversité des échelons institutionnels n’a jamais résorbé les inégalités profondes. Bien au contraire, la succession de ces multiples couches administratives révèle la difficulté, voire l’hypocrisie des gouvernements successifs qui, face aux exigences de l’égalité territoriale n’ont apporté comme réponse que des transformations administratives, peu ambitieuses.

« Services publics absents et fragilisés, infrastructures publiques en piteux état, manque de personnel, les inégalités subies dans les territoires d’outre-mer questionnent d’abord la place de l’État. »

Services publics absents et fragilisés, infrastructures publiques en piteux état, manque de personnel, les inégalités subies dans les territoires d’outre-mer questionnent d’abord la place de l’État. La récente crise à Mayotte le révèle, avec l’opération Wuambushu de destruction de dizaines de quartiers d’habitat informel et l’expulsion de centaines de ressortissantes et ressortissants comoriens en « situation irrégulière ». Loin de contribuer à résoudre durablement les difficultés, la réponse répressive par l’usage unique de la force de l’État n’est pas à la hauteur des véritables besoins de Mayotte en matière de service public de l’eau, de la santé, de l’éducation et du logement. En effet, la marginalisation des outre-mer par les autorités françaises se perçoit concrètement dans les profondes inégalités scolaires vécues en Guyane, où entre 3 % et 10 % de la population en âge d’être scolarisée ne le serait pas, et ce taux serait même de 30 % à Mayotte. De même, en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, 30 % des jeunes rencontrent des difficultés dans le domaine de la lecture contre un peu moins de 12 % en métropole. Ces résultats inquiétants ne sont que le reflet des politiques éducatives inadaptées en vigueur dans des établissements scolaires surchargés. Cet abandon de l’État se perçoit aussi pour la santé, le logement, l’aménagement du territoire ou encore les politiques environnementales comme en témoigne le tragique choix du laisser-faire autour de l’usage d’intrants chimiques aux Antilles jusqu’en 1993. Le récent classement sans suite du procès lié au scandale sanitaire du chlordécone démontre la permanence de ces injustices.

« Ce numéro ouvre la voie à la réactualisation de notre projet communiste sur l’outre-mer en faisant les constats qui s’imposent, mais aussi un état des lieux des différentes propositions. »

Les chiffres relatifs au taux de chômage deux à trois fois plus importants qu’en métropole ou encore ceux de la population vivant sous le seuil de pauvreté sont colossaux. Pour ne prendre que quelques exemples frappants, l’INSEE note en 2022 qu’entre une et trois personnes sur dix est ainsi en situation de grande pauvreté dans les DOM et que ces chiffres grimpent à plus de 15 % en Guyane chez les retraités. Cette fragilité sociale dans les outre-mer ne peut alors se dissocier d’abord des caractéristiques d’un marché du travail marqué par le chômage, le recours massif aux temps partiels et au travail informel mais aussi d’un coût de la vie très nettement supérieur à la métropole avec des écarts de prix sur les produits alimentaires s’élevant à plus de 28 % pour La Réunion par exemple. Ces inégalités sont telles qu’elles nécessitent pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna l’usage dans la République d’une deuxième monnaie officielle fortement dévaluée, le franc pacifique, qui pourrait porter le nom plus signifiant de « franc des colonies » (1 franc pacifique étant égal à 0,0084 €). Toutes ces inégalités frappantes, vécues par la majorité des salariés et habitants d’outre-mer ne sauraient alors masquer la place des riches propriétaires, investisseurs, entreprises privées et autres spéculateurs qui profitent des richesses produites sur ces territoires.

Une méfiance voire un rejet de l’État
Cette accumulation d’inégalités vis-à-vis de la métropole et le sentiment d’abandon qui en résulte entraînent une méfiance voire un rejet de l’État et de la métropole dans les territoires d’outre-mer. Cette défiance se traduit d’abord politiquement par une abstention massive. Au second tour des élections présidentielles, le taux d’abstention moyen en outre-mer était de 52 %, soit plus de 20 points au-dessus de la moyenne nationale. Ce taux atteint même un pic en Nouvelle-Calédonie avec plus de 65 % d’abstention. Mais outre cette abstention, les résultats électoraux marquent le rejet massif du président sortant lors de ces dernières élections présidentielles. Lors du premier tour de 2022, les territoires d’outre-mer ont placé Jean-Luc Mélenchon assez largement en tête. Il obtient ainsi 40 % des suffrages sur l’ensemble de ces territoires, soit deux fois plus que dans la métropole. De l’autre côté Marine Le Pen et Emmanuel Macron sous-performent en récoltant l’une et l’autre 21 % des suffrages. Cependant, au second tour, c’est le parti d’extrême droite qui arrive largement en tête en récoltant plus de 58 % des voix. Si ce vote pour Marine Le Pen n’est pas un vote d’adhésion, il traduit cependant le violent rejet de la politique d’Emmanuel Macron dans les territoires d’outre-mer. Bien heureusement, des victoires politiques peuvent nous rassurer à l’image de celle de Tavini Huiraatira, qui permet à la Polynésie française de se doter d’une majorité claire pour l’Assemblée de Polynésie avec des candidats porteurs de l’exigence de justice sociale, de lutte contre les inégalités, de la liberté de choix que se donneront les Polynésiennes et les Polynésiens pour décider de leur avenir.

Rompre avec les logiques coloniales et capitalistes
Les réponses à apporter à ces inégalités grandissantes sont multiples et les seules réformes institutionnelles en cours ne sont pas à la hauteur de ces enjeux. En décembre 2022 les présidentes et présidents des régions : Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, Martinique, Saint-Martin et Guyane ont lancé un appel en ce sens. Ils dénoncent une « situation de mal-développement structurel » et des inégalités « de plus en plus criantes » dont souffrent les populations de ces territoires. Cet appel de Fort-de-France réclame aussi une meilleure prise en compte des spécificités locales de chacun de ces territoires. Enfin, au-delà des problématiques d’autonomie vis-à-vis de la métropole, la situation des territoires d’outre-mer pose avant tout la question de la réappropriation des terres et des moyens de production par leurs habitantes et leurs habitants. Cela ne pourra se faire qu’en rompant avec les logiques coloniales et capitalistes sur lesquelles reviennent de nombreux articles.
Avec des articles de parlementaires d’outre-mer, d’universitaires linguistes, juristes, sociologues, de militantes et militants communistes, ce numéro revient sur les formes variées que prennent les inégalités entre la métropole et les territoires d’outre-mer, sur la faiblesse des réponses qui y sont apportées par le gouvernement Borne mais aussi sur le droit à la différenciation que réclament les forces progressistes d’outre-mer. Ce numéro ouvre ainsi la voie à la réactualisation de notre projet communiste sur l’outre-mer en faisant les constats qui s’imposent, mais aussi un état des lieux des différentes propositions.

Nicolas Tardits et Pierre Wadlow sont politistes et membres de la rédaction de Cause commune. Ils ont coordonné ce dossier.

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023