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La musique féministe chuchotée par Marine Le Pen est assez continuellement reprise dans les commentaires médiatiques. Pour autant, la proximité de classe semble bien plus décisive que l’appartenance genrée.

Cela semble désormais être une évidence, les femmes voteraient au moins autant pour l’extrême droite que les hommes. Une évidence n’allant jamais seule, ce serait parce que Marine Le Pen est une femme, que son parti est désormais « dédiabolisé », qu’elle est parvenue à les convaincre et à vaincre leur résistance. Peu importe que les déclarations de vote FN/RN s’établissent dans les enquêtes entre 7 et 12%, soit bien en dessous des scores obtenus par ce parti depuis une quinzaine d’années, peu importe que les femmes aient deux fois moins soutenu Éric Zemmour que les hommes lors de la dernière présidentielle, la petite musique féministe chuchotée par Marine Le Pen est assez continuellement reprise dans les commentaires médiatiques.

Un travail de politisation des questions sexuelles et raciales
Cette petite musique est orchestrée par un travail de politisation conjointe des questions sexuelles et raciales qui occupe l’espace médiatique et politique depuis le milieu des années 2000. La leader de l’extrême droite peut ainsi se faire la porte-parole de la cause des femmes françaises menacées par l’immigration historiquement dénoncée par son parti. Cette petite musique est en outre assez largement relayée par des responsables politiques qui reconnaissent désormais à Marine Le Pen une légitimité institutionnelle ; l’arrivée récente de quatre-vingt-neuf députés Rassemblement national à l’Assemblée nationale, leur ultra notabilisation et l’assentiment de la majorité présidentielle devant inévitablement renforcer cette tendance.

« Si l’instrumentalisation du féminisme pratiqué par Marine Le Pen fonctionne, c’est donc avant tout dans l’espace défini par un nationalisme sexuel articulé autour de la figure menaçante de l’immigré musulman prédateur. »

Ce que l’on sait pourtant des travaux de science politique est que les électrices ne soutiennent pas davantage les candidates femmes. Ce qu’on interprète comme une réduction des différences de comportements électoraux entre les hommes et les femmes est sans doute à considérer par rapport à d’autres facteurs que le sexe, à savoir la génération, le statut professionnel mais également l’offre politique.

Un électorat hétérogène
En effet, lorsqu’on recueille la parole des femmes qui votent FN/RN, rien ne permet d’identifier un groupe de femmes unifié, conscient de ses intérêts au sein d’un électorat qui demeure profondément hétérogène, peu fixé d’une élection à une autre et fortement volatil. Si on vient rarement seule au FN/RN, on s’en rapproche d’abord en couple, en famille ou entre amis, et on y trouve même parfois les moyens d’y reconstituer ces ensembles. La proximité de classe semble bien plus décisive que l’appartenance genrée au sein de ces ensembles. La question du chômage y est alors étroitement cadrée par la question migratoire. L’insécurité professionnelle et la précarité sociale et personnelle priment par rapport aux questions de genre. Si l’instrumentalisation du féminisme pratiqué par Marine Le Pen fonctionne, c’est donc avant tout dans l’espace défini par un nationalisme sexuel articulé autour de la figure menaçante de l’immigré musulman prédateur. Marine Le Pen n’a fait que poser progressivement les lunettes « genre » sur la grille raciste du programme défendu par son parti.

« Plus que la question de genre c’est la question sociale qui doit être (re)posée pour ramener ces femmes, fragilisées socialement avant d’être femmes, vers d’autres options que l’abstention ou le choix de l’extrême droite. »

Si l’écart entre les hommes et les femmes s’est bien réduit, rien ne permet de dire que c’est définitif et irréversible et surtout rien ne permet d’y reconnaître l’efficacité de la stratégie mise en place par Marine Le Pen. Au vu des travaux que nous conduisons depuis plusieurs années sur les différentes élections, les jeunes femmes (autour de la trentaine) déclarent tendanciellement plus un vote FN/RN. Mais celles qui le font présentent la particularité d’être plus fréquemment en couple, traduisant sans doute par là leur insertion dans des milieux sociaux dans lesquels on prolonge moins ses études et on se marie plus tôt. Elles occupent des positions de forte dépendance à leurs environnements familiaux (mariage précoce, moins d’indépendance financière) et appartiennent plutôt à des catégories dominées socialement (faiblesse des capitaux scolaires et professionnels, moins fréquemment en activité, parcours professionnel accidenté). Quand elles sont en activité, elles se recrutent un peu plus dans les catégories ouvrières et employées et vivent des conditions de travail dégradées.
En revanche, si le FN/RN fait un peu mieux que les autres partis dans ces catégories, il ne les incite pas plus à voter. Plus que la question de genre c’est la question sociale qui doit être (re)posée pour ramener ces femmes, fragilisées socialement avant d’être femmes, vers d’autres options que l’abstention ou le choix de l’extrême droite.

Christèle Lagier est maîtresse de conférence de science politique à l’université d’Avignon.

Cause commune n° 31 • novembre/décembre 2022