Plusieurs articles du dossier, ainsi que l’éditorial de Guillaume Roubaud-Quashie, approfondissent l’usage que le PCF peut faire et/ou doit faire de concepts permettant de qualifier les groupes sociaux que nous défendons. Fanny Chartier et Alec Desbordes proposent celui de « classe travailleuse ».
de Fanny Charnière et Alec Desbordes
Graphique des auteurs.
Sources des données : Marchand O. & Thélot C. (1991) Deux siècles de travail en France,
INSEE pour la période 1866-1982,
Marchand O. (2010) 50 ans de mutations de l’emploi,
INSEE, n°1312, pour la période 1990-2007
et recensement INSEE 2023.
Dans le dossier précédent, nous nous étions attachés à décrire la composition actuelle et certaines « fractions » socio-professionnelles de ce que nous appelons la « classe travailleuse ». Nous nous attarderons dorénavant sur la définition historique et théorique de cette classe. Du fait de débats trop rares, nous ne savons pas comment appeler et définir ce que Marx appelait autrefois le prolétariat, à savoir celles et ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre. Or l’impossibilité pour notre parti de nommer sa base sociale, et pour notre classe de prendre conscience de sa propre existence, est un frein incontestable à sa capacité de mener la lutte de classe. L’enjeu de ce débat est organisationnel et idéologique. Organisationnel car une analyse majoritairement partagée de la nature de la classe travailleuse aujourd’hui doit mener à des actions concrètes : privilégier notre adresse envers certains éléments, renforcer leur prise de responsabilités dans nos instances, affiner notre discours pour impulser l’unité de notre classe, etc. Idéologique d’autre part car nous ne pouvons pas penser « la transition vers une nouvelle civilisation » sans poser la question de son caractère de classe à partir des conditions réelles qui la définissent d’abord sous le capitalisme. Par-delà les vœux pieux, les communistes se doivent de travailler avec le réel.
Un besoin objectif de dépassement
Nous devons une explication d’abord à celles et ceux qui ont un attachement, justifié, à la notion de classe ouvrière. Cette notion historique a le mérite de se garder de notions postmarxistes qui segmentent la population entre le « peuple » et les « élites » ou autres concepts flous et malléables. Alors pourquoi dépasser la notion de classe ouvrière ? D’abord, elle est utilisée de manière éparse et sélective pour faire référence à des collectifs de travailleurs industriels en lutte, pas forcément ouvriers d’ailleurs. À d’autres occasions, elle sert de relique historique d’un temps lointain dont l’application actuelle est évitée. Peu utilisent ce terme aujourd’hui de manière précise et définie, une absence qui pèse lourd dans ce débat car il nous faut poser nos propres hypothèses.
« Pour redevenir un parti de masse, nous devons consacrer nos efforts aux fractions travailleuses qui n’ont plus rien à perdre, celles et ceux qui ont un travail mais qui chuteraient dans la misère la plus absolue en le perdant. »
La classe ouvrière fait-elle donc référence à l’ensemble des travailleurs manuels au sens de l’INSEE, dont la majorité travaillent hors du secteur de la production industrielle ou de la construction ? Si c’est le cas nous admettrons que côte à côte, pour des salaires similaires, dans les mêmes entreprises il y aurait des membres de notre classe (ouvrière) et que les autres (femmes et hommes aides-soignants, caissiers, enseignants, etc.) n’en feraient pas partie. Le terme de classe ouvrière fait-il alors référence aux travailleurs impliqués dans la production de marchandises stricto sensu, dont moins de la moitié sont des ouvrières ou ouvriers manuels comme nous l’avons chiffré dans notre précédent article ? Cela supposerait que dans la classe que nous souhaitons représenter se trouve un ingénieur-cadre de l’industrie électronique mais pas un ou une employée de grande surface. Notre ambition révolutionnaire ne peut se satisfaire de définitions contradictoires qui limitent notre base sociale à une petite minorité des travailleurs et de la population dans son ensemble.
Pour autant, nous ne remettons pas en question le choix historique de partis communistes dont le PCF d’avoir utilisé la notion de « classe ouvrière ». À l’époque de Maurice Thorez et du Front populaire, les ouvriers – travailleurs manuels de l’industrie mais aussi de l’agriculture et du tertiaire – formaient les deux tiers du prolétariat, de ceux qui n’avaient que leur travail pour vivre. Il est alors logique de prendre acte que la majorité définit l’ensemble, que la caractéristique principale de la classe travailleuse, c’est qu’elle est ouvrière et cela jusqu’au début des années 1970. Entre l’abandon d’une lecture de classe et l’ouvriérisme obstiné, il manque une lecture qui réconcilie la classe travailleuse dans son ensemble sans effacer les fractions potentielles qui la composent.
Qu’est ce qui fait la « classe travailleuse » ?
En tant que marxistes, nous définissons la classe par l’ensemble des personnes qui ont un même rapport aux moyens de production, et donc des intérêts matériels communs. L’ensemble des travailleuses et des travailleurs, ce que nous appelons communément le monde du travail, qui n’ont que leur force de travail pour vivre, partagent ce même rapport aux moyens de production. C’est ce qui distingue cette classe des agriculteurs propriétaires de leurs terrains, des indépendants maîtres de leur outil de production individuel, et des propriétaires d’entreprise et de capital.
« Notre ambition révolutionnaire ne peut se satisfaire de définitions contradictoires qui limitent notre base sociale à une petite minorité des travailleurs et de la population dans son ensemble. »
La notion de « classe travailleuse » a le grand mérite d’inclure l’idée de classe et de partir de la notion populaire du travail, tout en englobant toutes les identités de genre. La classe travailleuse rassemble un groupe assez similaire à celui du salariat ou du monde du travail, tout en en faisant une classe. Comme classe c’est un intérêt commun au dépassement de l’organisation du travail par le capital qui regroupe l’ensemble de ses membres.
Quelles sont les fractions de la population qui peuvent se reconnaître dans un projet de rupture avec le capitalisme qui passerait par la nationalisation et la gestion sociale de tous les grands moyens de production ? Toutes celles et tous ceux qui vivent de leur travail et dont une part de la plus-value produite est captée au cours du processus d’exploitation pour rémunérer la classe capitaliste sont a priori intéressés par un projet de rupture avec le capitalisme. Les femmes et hommes salariés, mais aussi les privés d’emploi, les retraités, et leurs familles qui ne disposent pas des moyens de production ni d’un revenu suffisant pour accumuler du capital représentent l’immense majorité de la population.
Les fractions à privilégier
Néanmoins, s’arrêter là dans notre réflexion tactique serait de l’économisme. Le positionnement politique de la classe travailleuse n’émerge pas naturellement de son unité matérielle, sinon le champ politique français ne serait pas aussi divisé. La conscience de classe latente, bravement démontrée lors de la lutte contre la réforme des retraites, est une condition nécessaire mais non suffisante à la formation d’un projet politique de classe : c’est le rôle d’un parti communiste.
« Entre l’abandon d’une lecture de classe et l’ouvriérisme obstiné, il manque une lecture qui réconcilie la classe travailleuse dans son ensemble sans effacer les fractions potentielles qui la composent. »
Aujourd’hui notre parti a un ancrage fort au sein des travailleurs de la reproduction sociale, avec des effectifs importants dans l’éducation et significatifs dans la santé. C’est une force qui peut nous offrir une photographie précise de l’état de la lutte et de la conscience de classe dans ces secteurs très féminisés qui travaillent au plus proche des populations locales. En revanche, il nous faut faire le constat d’une faiblesse au sein des fractions employées et ouvrières, les moins diplômées, les moins bien rémunérées, et avec les emplois les plus précaires et épuisants.
L’état du parti, implique de focaliser et de prioriser nos efforts. C’est parmi les fractions travailleuses qui n’ont plus rien à perdre que nous devons consacrer nos efforts pour redevenir un parti de masse : celles et ceux qui ont un travail mais qui chuteraient dans la misère la plus absolue en le perdant. Ce prolétariat qui ne possède rien d’autre de précieux que ses enfants, pas d’économies ou de patrimoine, et dont le travail lui-même est soit précaire, soit très faiblement rémunéré, doit être le groupe auprès de qui le Parti communiste s’organise prioritairement. Cela implique de les faire adhérer, de les former et de leur confier des responsabilités dans nos instances : que « ceux d’en bas fassent l’objet de tous les efforts d’organisation », car ils sont le moteur révolutionnaire, sans pour autant en exclure les autres fractions de la classe travailleuse.
« La conscience de classe latente, bravement démontrée lors de la lutte contre la réforme des retraites, est une condition nécessaire mais non suffisante à la formation d’un projet politique de classe : c’est le rôle d’un parti communiste. »
Organiser la fraction prête au combat
Concrètement, cette fraction laborieuse se compose d’ouvriers dans les industries les plus exploitantes, comme l’agroalimentaire ou la logistique, ou les plus vulnérables aux délocalisations, comme la métallurgie. On la retrouve aussi dans le commerce, où se concentrent des employés malmenés aux petits salaires ou dans les services aux entreprises, où on retrouve les travailleurs du nettoyage et de la sécurité aux horaires décalées. On y retrouve aussi des professions intermédiaires, notamment dans la santé et dans d’autres services publics, violemment maltraitées par l’austérité et laissées pour compte par le transfert de ressources sociales au capital (comme la santé…). Il s’agit de la fraction qui a le plus fortement participé aux gilets jaunes mais aussi à la mobilisation contre la réforme des retraites, par-delà les partis et les syndicats. Le rôle de notre parti est alors de construire sa conscience politique. D’un point de vue organisationnel, il nous faut parvenir à développer des mots d’ordre et des structures qui permettront à la classe travailleuse de se mettre en mouvement plus vite, plus fort, et plus unie. C’est tout le travail que doit mener notre parti, le PCF.
*Fanny Charnière est statisticienne. Elle est membre du comité de rédaction de Cause commune.
Alec Desbordes est économiste. Il est responsable à Paris de l’activité du PCF en entreprise.
Cause commune n° 42 • janvier/février 2025