Par

IMG_5720.jpg

«Près de la moitié de l’humanité confinée » : la formule, reprise à l’envi par la plupart des médias au printemps dernier, faisait sans doute l’impasse sur le nombre des « travailleurs essentiels » – ou plutôt des « travailleuses essentielles », leurs métiers méprisés et sous-payés étant largement occupés par des femmes. Cette formule a permis de gloser sur une uniformisation mondiale de la crise sanitaire, qui n’a pas cependant résisté au temps car, si le « confinement » fut un même outil de prévention de la propagation des épidémies, les gestions politiques de la crise sanitaire ont été plus que diverses, selon les choix idéologiques ou pragmatiques de leurs dirigeants. Sur ce point, les distinctions tracées par l’idéologie dominante entre démocraties occidentales et régimes autoritaires n’ont pas tenu longtemps : après avoir poussé quelques cris indignés, les « démocraties occidentales » ont rapidement recouru à des mesures comme le confinement imposé aux populations, le traçage via les smartphones, ou encore la fermeture des frontières.

« La fin de cette tranche temporelle marquée par les confinements laissera-t-elle des traces qui modifieront durablement nos sociétés ? »

D’autres différences, cependant, seront à porter bien haut, lorsqu’il sera temps de faire les comptes : de l’imposition d’attestations de sortie à l’absence de masques, puis de tests et désormais de vaccins, il n’est pas sûr que la France y brille particulièrement. Faut-il y voir l’indifférence d’un pouvoir dont le souci est davantage d’assurer la sauvegarde du taux de profit du capital, ou le résultat d’une incapacité plus structurelle d’un État rendu exsangue par des décennies de casse des services publics ? Il reste que la situation commencée le 17 mars avec la décision d’un premier confinement est encore loin d’être terminée, laissant, pour nos vies partiellement arrêtées, une impression de « boucle temporelle », ressort scénaristique de la science-fiction. Dans cette dernière, toutefois, le héros, bloqué dans le temps et contraint à revivre la même journée, parvient à améliorer, progressivement, le déroulement des faits, et voit sa personnalité et son action sur le monde modifiées. La fin de cette tranche temporelle marquée par les confinements laissera-t-elle, de même, des traces qui modifieront durablement nos sociétés ?

Affronter les crises qui s’annoncent
Si les épidémies sont rarement en elles-mêmes des moteurs historiques, les politiques de gestion sanitaire qui les accompagnent les ont toujours mises à profit pour mettre en place des changements majeurs, négatifs ou positifs, comme le contrôle des personnes ou la mise en place d’un système de santé, et l’on s’accordera, en regardant l’année qui vient de s’écouler, sur le fait que l’épidémie de covid-19 a mis en lumière de nombreux phénomènes déjà sous-jacents. La durée – non pas de la présence du virus, mais des dispositifs temporels et spatiaux réorganisant la vie quotidienne – est marquante et sert de révélateur à des tensions inégalitaires qu’il devient impossible de cacher. Pour autant, l’effet d’aubaine fonctionne efficacement, permettant d’instaurer, à des échelles qu’on n’aurait pas imaginées pour de simples tests, la dématérialisation intensive des échanges au sein des sociétés humaines, en en réduisant la substance physique à sa plus petite expression.

« Faut-il y voir l’indifférence d’un pouvoir dont le souci est davantage d’assurer la sauvegarde du taux de profit du capital, ou le résultat d’une incapacité plus structurelle d’un État rendu exsangue par des décennies de casse des services publics ? »

Dans le même temps que les conséquences économiques apparaissent, les perspectives d’une justice sociale et spatiale appuyées sur la démocratie sont sévèrement contrariées. Nous avons voulu nous demander, dans ce dossier, en multipliant les perspectives (catégories sociales, professionnelles, etc.) et les domaines (sociologie, psychologie, géographie, littérature, etc.), si certains traits de cette période confinée subsisteraient dans un temps plus long ; une réflexion indispensable pour qui veut reprendre la maîtrise sur le cours des événements – dont la gestion fractionnée est suspendue aux annonces d’un président rendu omnipotent par une Constitution délétère – et affronter les crises qui s’annoncent : crise économique majeure dans l’année qui vient ; nouvelles crises sanitaires, dans le contexte d’une économie mondialisée et de destruction d’écosystèmes ; crise environnementale, entre les conséquences du réchauffement climatique et le manque de métaux rares. Le capitalisme vante la crise comme possibilité de se réinventer, quoi qu’il en coûte en pertes humaines. Pour nous, communistes, il s’agit moins d’une opportunité que d’une nécessité pressante, pour réussir à préserver l’humain et la planète. Espérons que ce dossier y contribue.

*Corinne Luxembourg et Marine Miquel sont membres du comité de rédaction de Cause commune. Elles ont coordonné ce dossier.

Cause commune n° 21 • janvier/février 2021