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Présentation du dossier : La paix est un projet politique

Parce que les conflits et les guerres naissent aujourd’hui, pour l’essentiel, de la décomposition des États et des sociétés, ce sont les réponses fondées sur la convergence, si ce n’est la communauté, d’intérêts des peuples et qui visent la satisfaction des besoins humains et sociaux, qui ouvrent la voie à la paix ; ce sont les liens de coopération, de fraternité et de solidarité au lieu de la concurrence, de la prédation et des humiliations qui offrent un avenir à l’humanité.
« La paix n’est pas l’absence de guerre ; c’est une vertu, un état d’esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice », écrit Spinoza ; et, assurément, tandis que la guerre devient un business et que le commerce se change en guerre, la paix – elle – est un projet politique.

La paix : un projet politique
C’est un projet politique qui, en articulant lutte contre l’escalade militaire et pour de nouveaux types de développement humain et social, a pour vocation d’apporter les réponses durables à ce qui est au centre des conflits dans le monde d’aujourd’hui : l’explosion des inégalités sociales et économiques, les insécurités, humiliations et instabilités générées par l’exploitation et la domination capitalistes, l’incapacité des puissances à les contrôler de même qu’à relever les défis mondiaux de la transition écologique, de la dictature de la finance, des mutations du travail, de la nécessité d’inventer de nouveaux modes de développement, d’exigences démocratiques et d’égalité entre femmes et hommes.
Négliger, jusqu’à les nier, les dimensions multiples de la construction d’un monde de paix, c’est-à-dire de sécurité humaine, revient à refuser de regarder la réalité en face.
La politique extérieure de la France est définie par les cercles dirigeants comme étant au service de la « défense des intérêts du pays » et est sous-tendue par une vision hiérarchisée des relations internationales, d’où l’importance disproportionnée donnée à des « clubs dirigeants » placés hors du cadre des Nations unies, comme le G7 et le G20 qui entendent dicter la marche du monde. De nos jours, les classes dominantes sont parvenues à faire confondre leurs intérêts de classe avec ceux du pays ; plus vulgairement, les dogmes néolibéraux ont pesé sur des choix politiques tels que la construction européenne ou l’élaboration des accords de libre-échange (ALE) en matière de relations économiques et commerciales transverses. Où sont les intérêts de la France (et de son peuple ?) quand le P-DG d’Alstom brade l’entreprise à l’américain General Electrics et que le gouvernement de François Hollande et ses ministres Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron se plient à cette décision ? De même, les logiques de domination et d’exploitation sont à la source d’interventions et d’occupations militaires au nom de la « démocratie » ou de la « lutte contre le terrorisme », sans que jamais les peuples soient entendus dans leurs aspirations.
Alors est-il possible – dans les conditions actuelles – de fonder la politique européenne et internationale de la France selon d’autres principes que ceux qui la gouvernent de nos jours ? En quoi cela peut-il consister, compte tenu de l’état actuel du rapport global des forces ?

Quel rôle de la France ?
Promouvoir une politique internationale de paix, de sécurité collective et de prévention des conflits, permet de penser nos intérêts nationaux comme confondus avec ceux de notre peuple et aussi convergents, et pour une part essentielle, communs avec ceux de tous les peuples du monde – car la sécurité des uns dépend de la sécurité de tous.
Ainsi, la remise en question de notre participation, active, au commerce mondial des armes doit être débattue et les citoyens sont en droit de décider des orientations du pays en la matière. De même s’agit-il de se saisir des occasions historiques qui s’offrent à nous : la première d’entre elles est sans doute le traité international d’interdiction des armes nucléaires, adopté en assemblée générale de l’ONU en 2017 par cent vingt-deux pays et qui, en complément du traité de non-prolifération (TNP), ouvre enfin la perspective crédible d’un monde sans arme nucléaire.
Membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU, la France n’est pas censée défendre uniquement ses propres intérêts mais bien ceux de tous les peuples, et ce en vertu de la charte des Nations unies. La France jouerait ainsi pleinement son rôle en mettant à l’ordre du jour des conseils de sécurité les enjeux sociaux et économiques.
Notre pays connaît un accroissement des inégalités sociales à la faveur des revenus du capital, un taux de chômage qui avoisine les 10 %, un tissu industriel sinistré et un secteur agricole laminé par l’industrialisation et la grande distribution, un délitement des infrastructures en raison du recul des investissements d’État dans les services publics (transports, santé, éducation, culture), un retard patent en matière de transition écologique. Tandis qu’à l’échelle de la planète, la question de la mise en place de nouveaux modes de production et de consommation est maintenant incontournable pour la préservation des écosystèmes et la lutte contre le réchauffement climatique, l’État persévère dans la libéralisation et la privatisation des grands secteurs de l’économie. Les politiques néo- et ultralibérales en Europe et dans le monde, la mise en compétition des peuples et des travailleurs, et l’insuffisance de droits, pouvoirs et protections en leur faveur génèrent des déséquilibres. Or, pour se développer (c’est-à-dire : satisfaire l’ensemble des besoins humains et sociaux), toute société a besoin d’un environnement stable.
Le contraire de la compétition, c’est la solidarité, la coopération : si nous souhaitons redévelopper un tissu industriel dynamique, respectueux des écosystèmes et en rupture avec des logiques consuméristes mais aussi créateur d’emplois stables et bien rémunérés, considérons qu’il s’agit là d’une aspiration partagée par nos voisins et tous les peuples du monde, et que des coopérations régionales et internationales permettraient d’atteindre cet objectif ; l’intervention des salariés, des citoyens, des peuples, dans les luttes et le combat politique étant déterminante pour y parvenir.
À l’heure d’une mondialisation dominée par le capitalisme financier, la création d’outils nouveaux à l’échelle européenne, comme celle d’un fonds de développement social et écologique assortie d’une politique de crédit à taux 0, favoriserait le financement de projets communs. À l’échelle internationale, de telles initiatives commencent à être envisageables, comme l’accord de dialogue politique et de coopération UE-Cuba qui – à la différence des ALE – ne contient pas de volet tarifaire. Cet exemple – menacé par la fin de la suspension du titre III de la loi états-unienne extraterritoriale Helms-Burton – indique toutefois que, dans le monde tel qu’il est, d’autres cadres d’échanges économiques et commerciaux, transgressifs, sont viables.
Et la tenue d’une COP sur l’évasion et la justice fiscales permettrait d’unir l’action des États pour récupérer les centaines de millions d’euros soustraits aux budgets nationaux pour financer des politiques publiques d’emplois et de développement. Pour que cette initiative s’impose, il faudra la porter dans les luttes tant sociales que politiques. Une politique internationale de paix implique que la France, sans naïveté et dans le débat et la lutte, privilégie les réponses aux défis nationaux et mondiaux qui placent en tête l’intérêt commun des peuples, des citoyens, des forces productives, et qu’elle les construise dans le dialogue avec tous les acteurs (syndicats, associations, ONG, institutions onusiennes mais aussi des États et leurs gouvernements) qui partagent cet objectif et peuvent former des majorités d’idées et d’action.


Lydia Samarbakhsh est membre du comité exécutif national du PCF, responsable du secteur International.
Maëva Durand et Igor Martinache ont coordonné ce dossier avec le secteur International.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019