La démocratie communale a beaucoup évolué depuis quelques décennies. Chacun a en tête des exemples dans sa commune. Nous proposons ici un témoignage d’une petite ville de 7 500 habitants, Neuville-sur-Saône, à vingt kilomètres au nord de Lyon. Une liste de gauche et écologique, sans étiquette de parti, vient d’y être élue au premier tour, le nouveau maire étant membre du PCF.
Comment peut-on produire un programme et une liste « par en bas » ?
E.B. : Nous avions une mairie de droite depuis 1983, la maire n’était plus très populaire. Il y a eu une démarche individuelle de quelques personnes qui se connaissaient pour appeler à constituer une liste de gauche. Elles ont réservé une salle, on s’est retrouvés à une trentaine en septembre. Chacun s’est présenté, le PS n’existait plus, rares étaient les citoyens encartés quelque part : quelques communistes, un écologiste ; les participants ont indiqué leur sensibilité dans des termes assez larges.
On a commencé par établir un diagnostic de ce qui n’allait pas dans la ville et on a travaillé sur quelques thématiques : 1) habiter, se déplacer ; 2) dynamiser et innover ; 3) prendre soin ; 4) grandir et mieux vieillir. Jusqu’en novembre, il n’y avait pas de tête de liste, d’ailleurs au départ personne n’était partant pour cela (moi non plus). On m’a sollicité ; comme je suis à Neuville depuis 1987, que j’y ai longtemps été instituteur et conseiller municipal de 2001 à 2008, j’ai fini par accepter. Mais il y a bien d’autres gens très impliqués, surtout des femmes ; paradoxalement il a fallu travailler pour avoir le contingent d’hommes parmi les vingt-neuf candidats !
Les partis politiques doivent-ils être considérés comme une aide ou comme un obstacle à l’expression citoyenne ?
E.B. : Pour moi, c’est une aide : l’expérience politique donne des idées, évite erreurs et naïvetés, il y a des sessions de formation. Mais la question a été beaucoup discutée, dans notre liste, au cours de la campagne. Certains craignaient que les étiquettes crispent des habitants, empêchent de « ratisser large ». J’ai pu obtenir que la liste se dise ouvertement « de gauche » et « écologique », mais nous n’avons pas fait apparaître les logos des partis qui la soutenaient, le fait qu’il n’y ait que ceux du PCF et d’EELV n’étant pas représentatif de la majorité des candidats. La question s’est posée plus explicitement quand une troisième liste s’est montée : celle-ci ayant repris en partie nos arguments, des habitants nous ont demandé quelle différence il y avait avec la nôtre. Il a bien fallu répondre que nous étions de gauche et eux plutôt de droite, le montrer clairement ; on doit aussi être transparents et non pas faire comme ceux qui, sous couvert d’« apolitisme » ou de « ni gauche ni droite », cachent en fait leur conformisme vis-à-vis des pouvoirs établis.
« Démocratie représentative et démocratie participative sont les deux versants de la démocratie, ils se complètent et s’alimentent l’un l’autre.
Neuville-sur-Saône fait partie de la métropole de Lyon, n’y a-t-il pas là une contrainte qui étoufferait la démocratie ?
E.B. : La métropole de Lyon, qui englobe cinquante-neuf communes, a un statut unique en France, puisqu’elle cumule les compétences d’une communauté de communes et celles du département. Surtout pour les petites communes, cela éloigne les lieux de décision du citoyen de base, y compris pour la vie quotidienne, mais la ville garde une certaine autonomie sur divers dossiers. Avec le nouveau mode électoral de la métropole, par circonscriptions, il y a un hiatus : au moment où je réponds (6 juin), avant le second tour, nous pouvons nous retrouver avec zéro élu au conseil de métropole ou avec une seule élue (mais opposante au conseil municipal), c’est peu démocratique et même déraisonnable. L’ancien système électoral avait aussi ses défauts en surreprésentant certaines petites communes.
Dans une commune, les associations sont-elles typiquement des lieux de démocratie ?
E.B. : Les associations sont utiles et nécessaires pour la démocratie. Mais il peut aussi s’y poser des problèmes internes de fonctionnement démocratique, voire des crises. Il faut trouver un équilibre entre l’associatif et l’échelon municipal. À Neuville, à part le financement et le soutien à une médiathèque communale, il n’existe pas de politique culturelle municipale. La culture est principalement portée par les associations. La ville doit avoir une politique culturelle, tout en respectant la liberté de création et d’animation des associations. Il faut donc écouter, débattre, jouer sur les complémentarités, articuler les divers niveaux, sans a priori trop généraux ou abstraits.
« On doit être transparents et non pas faire comme ceux qui, sous couvert d’“apolitisme” ou de “ni gauche ni droite”, cachent en fait leur conformisme vis-à-vis des pouvoirs établis. »
On dit parfois que « la démocratie participative, c’est bien pour les petites choses, mais, pour les projets globaux de quelque importance, seule la démocratie représentative est valable, parce que le citoyen lambda n’en a pas les compétences ».
E.B. : Je crois qu’il ne faut pas opposer ces deux versants de la démocratie, ils se complètent et s’alimentent l’un l’autre. La démocratie de proximité, avec la participation active des citoyens, c’est aussi un moyen de faire revenir les électeurs en ces périodes de forte abstention. Et les élus apprennent en se frottant aux questions du quotidien. Quant à la prétendue incompétence de l’habitant de base sur les grandes questions, c’est aussi souvent parce qu’on ne veut pas leur donner les éléments. Mais il est vrai que, dans les comités de quartier, on discute surtout du très local ; il faut des structures qui permettent de traiter les problèmes de l’ensemble de la cité, voire de l’intercommunal, comme pour la médiathèque ou les transports.
La France est centralisée, est-ce un obstacle à la démocratie participative ?
E.B. : Le fonctionnement de la France est assez pyramidal et descendant, mais la décentralisation crée aussi des petits chefs. Les pouvoirs étendus donnés aux conseils régionaux ont des conséquences perverses. Par exemple, les lycées dépendent d’eux : alors dans une région riche, ou menant telle politique, les élèves auront tous une tablette et ceux d’autres régions non ; pourquoi des enfants ont-ils des droits différents ? La situation est même plus caricaturale en Espagne où les missions des enseignants et leurs salaires sont différents selon les régions. S’il y a volonté, la démocratie participative peut être pratiquée dans des pays aux habitudes politiques diverses.
« Les associations sont utiles et nécessaires pour la démocratie. Il faut trouver un équilibre entre l’associatif et l’échelon municipal. »
On dit souvent la démocratie, c’est « une personne = une voix ». Mais, sans précautions, cela peut déboucher sur la domination des malins, des ambitieux ou des « grandes gueules ».
E.B. : « Une personne = une voix », c’est quand même la base de la démocratie ; changer cela pourrait donner une variante du suffrage censitaire. Il est vrai que le charisme ou l’ambition constituent des prises de pouvoir, quelqu’un peut retourner une salle et les participants se rendre compte seulement après coup qu’ils ont été abusés. Mais il y a des moyens (oraux, écrits, informatiques...) pour éviter ou contourner ces écueils, pour faire s’exprimer les gens qui ont des choses à dire et qui n’osent pas parler. Il ne faut pas se limiter aux grandes assemblées générales, on peut jouer sur les ateliers, les ruches, les tours de table. C’est un peu ainsi que nous avons procédé pendant la campagne et que nous pensons continuer pendant le mandat.
« La politique se construit d’abord sur le terrain, au plus près des gens, en les écoutant et en partant de leurs besoins. »
Est-ce que, lors de ces municipales, toutes les listes n’auraient pas procédé de la même façon, à quelques variantes mineures près ?
E.B. : C’est vrai qu’aujourd’hui les questions d’écologie, tu les retrouves partout ; mais il y a ceux pour qui c’est un vrai souci et ceux pour qui c’est un créneau porteur à la mode. Les problèmes de circulation, on les a également retrouvés sur les trois listes, mais il a bien fallu montrer qu’ils n’étaient pas abordés de la même façon. Je prends deux exemples.
1) Nous sommes rive gauche, la rive droite est bien mieux desservie par les transports en commun et a le train, donc beaucoup de Neuvillois traversent le pont tous les jours. Or celui-ci a été conçu il y a longtemps : le trottoir est étroit, pour les vélos c’est dangereux car ils n’ont pas de voie, des camions se croisent ; il faut donc partir de ces problèmes concrets pour avancer.
2) Nous avons une petite navette communale gratuite, très utile, qui complète les bus de la métropole, mais elle ne va pas jusqu’au bout de la ville et ne fonctionne pas en juillet et août. Comme ce sont les gens les plus pauvres qui habitent les quartiers les plus éloignés, ils se retrouvent mis de côté (surtout les vieux et les enfants) ; la pente est trop raide, la navette ne peut pas accéder à certains quartiers. Il faut donc se battre pour que tous, et surtout les plus démunis, aient les mêmes droits (ici de transport). Les obstacles techniques doivent pouvoir être surmontés avec une volonté politique.
En résumé, la politique se construit d’abord sur le terrain, au plus près des gens, en les écoutant et en partant de leurs besoins.
Éric Bellot est maire de Neuville-sur-Saône.
Propos recueillis par Pierre Crépel.
Cause commune n° 18 • juillet/août 2020