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Les villes sont un lieu privilégié par leur proximité pour faire progresser la culture de paix.

.Les collectivités locales savent depuis longtemps que leur travail à l’échelle locale s’inscrit dans un cadre plus vaste et qu’il leur est nécessaire d’avoir conscience de ce qui se passe dans le monde. Bien sûr, pour construire la paix, le silence des armes et l’arrêt de toute violence sont nécessaires, mais ils ne sont pas suffisants. Nous vivons dans un monde ébranlé de terribles crises financière, politique, économique, sociale et morale, un monde dans lequel la prolifération des armes fait courir à l’humanité un risque global qui ouvre la porte à toutes les dérives possibles.

Évolution des concepts de guerre et de paix
Dans ce contexte, le propos de Jaurès qui déclarait que « l’affirmation de la paix est le plus grand des combats » reste, en effet, d’une exceptionnelle pertinence. L’Europe occidentale, capitaliste et industrialisée, qui dominait le monde depuis quatre cents ans, est désormais soumise à la montée en puissance des pays dits « émergents » et ne peut plus s’imposer avec la même facilité. Ces évolutions, alliées au développement sans précédent des nouvelles technologies, amènent à une modification des concepts de guerre et de paix.

« La culture de la paix est aussi nécessaire au fonctionnement de la collectivité que la « démocratie participative » ou la prise en compte de la question environnementale. »

La fin de la « guerre froide » qui a mis un terme à la partition du monde en deux blocs antagonistes a modifié la donne. Si une guerre mondiale reste possible, elle est cependant plus difficile à concevoir et surtout moins utile aux forces dominantes qui lui préfèrent la multiplication de conflits localisés. À cela s’ajoute la déstabilisation croissante des États, des structures et des cadres sociaux qui les soutiennent. L’émergence du terrorisme, l’intensification des migrations, la résurgence des idéologies d’exclusion inégalitaires par principe, la recrudescence des comportements racistes et xénophobes ont replacé la violence et la guerre au cœur de nos sociétés, comme s’il s’agissait d’une fatalité à laquelle il faudrait se soumettre.
Pour ne prendre qu’un exemple, la loi de programmation militaire en France prévoit de consacrer 37 milliards d’euros pendant les sept prochaines années pour moderniser la bombe atomique ; soit précisément 14,5 millions d’euros dépensés chaque jour pour adapter aux enjeux contemporains une arme de destruction massive, inefficace et dangereuse, qu’on espère ne pas avoir à utiliser ! Cette logique aberrante des sommes colossales pour des œuvres de mort alors qu’elles pourraient être consacrées à des œuvres de vie. Pis encore : cette décision, prise sans que le parlement ait eu à en débattre, viole ouvertement les dispositions du traité de non-prolifération des armes nucléaires signé le 1er juillet 1968 et auquel la France a pourtant adhéré en 1992.

Des avancées encourageantes
Il y a toutefois en ce domaine des avancées encourageantes et significatives par leur dimension et leur répercussion internationales. On peut citer, entre autres :
• L’adoption à l’ONU, le 7 juillet 2017, du traité d’interdiction des armes nucléaires par 122 États sur 192, qui rend désormais ces armes illégales au même titre que les armes chimiques et bactériologiques ;
• L’appel de Nagasaki pour l’abolition des armes nucléaires et une paix mondiale durable lancé le 10 août 2017 à la 9e Conférence générale des « maires pour la paix » ;
• L’attribution, le 6 octobre 2017, du Prix Nobel de la paix à l’International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN). Elle a joué un rôle essentiel pour l’adoption du traité grâce aux campagnes menées depuis 2007 qui, à travers plus de cent États, ont fédéré cinq cent trois associations et contribué à la prise de conscience des conséquences humanitaires catastrophiques des armes nucléaires en cas d’emploi, d’usage par erreur ou par accident ;
• La décision des Nations unies de placer la journée internationale de la paix du 21 septembre sous le thème : « Le droit à la paix soixante-dix ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme ».

« La ville est un lieu adapté pour construire des espaces de paix car c’est aussi dans la ville qu’on se projette, qu’on entretient des relations les uns avec les autres, qu’on construit une communauté. »

La culture de paix 
Au-delà de la protestation contre les guerres, cultiver la paix c’est donc résister à l’air du temps en privilégiant, en toutes circonstances, le dialogue, la prévention des conflits, le respect de l’autre, le travail de mémoire, le lien social. C’est commencer à « construire ensemble » pour mieux « vivre ensemble ». La culture de paix est aussi nécessaire au fonctionnement de la collectivité que la « démocratie participative » ou la prise en compte de la question environnementale.
L’expression « culture de paix » est d’ailleurs récente. Elle apparaît dans l’intitulé de l’année internationale de la culture de la paix (2000) et dans celui de la décennie internationale de la promotion d’une culture de la paix et de la non-violence au profit des enfants du monde (2001-2010) proclamées par l’ONU avec l’UNESCO comme chef de file. Elle désigne un ensemble d’engagements concrets concernant tout à la fois : la consolidation de la paix, la médiation, la prévention et la résolution des conflits ; l’éducation à la paix, l’éducation aux droits de l’homme, l’éducation à la non-violence ; l’égalité entre les sexes, la tolérance, la cohésion sociale, le respect mutuel ; l’acceptation des différences, le dialogue interculturel et interreligieux ; de même que la citoyenneté et la participation démocratique comme moyens de parvenir à la sécurité internationale.

« La loi de programmation militaire en France prévoit de consacrer 14,5 millions d’euros chaque jour pour adapter aux enjeux contemporains une arme de destruction massive, inefficace et dangereuse, qu’on espère ne pas avoir à utiliser ! »

Introduire ces éléments de réflexion dans les champs d’activité des collectivités locales, c’est affirmer que celles-ci jouent un rôle indispensable pour contribuer à la prise de conscience nécessaire afin de « préserver les générations futures du fléau de la guerre ». Ban Ki-moon, ancien secrétaire général de l’ONU, le rappelait le 4 mai 2010 à l’occasion de la conférence des maires pour la paix en déclarant aux élus locaux présents : « Construire un monde pacifique ne commence pas dans les salles de conférences à New York ou à Genève. Cela commence sur le terrain, dans les quartiers, dans les communautés. Cela commence par des leaders éclairés dans les villes et villages partout dans le monde. Cela commence avec vous. Et vous êtes en première ligne. »

Rôle décisif des collectivités locales
C’est ce qu’ont également souligné les participants au premier forum mondial sur les violences urbaines et l’éducation pour vivre en société et la paix, qui s’est déroulé à Madrid du 19 au 21 avril 2017, en insistant sur le fait que la ville est un lieu adapté « pour construire des espaces de paix car c’est aussi dans la ville qu’on se projette, qu’on entretient des relations les uns avec les autres, qu’on construit une communauté ».
Les collectivités locales ont donc un rôle décisif à jouer. Deux outils principaux sont à leur disposition :
• le réseau « Maires pour la paix » et sa branche nationale « Association française des communes, départements et régions pour la paix » (AFCDRP) ;
• les programmes locaux d’actions à la culture de la paix (PLACP).
L’ AFCDRP fait partie du réseau international, « maires pour la paix » (Mayors for Peace) créé à l’initiative des maires d’Hiroshima et de Nagasaki. Présent aujourd’hui dans 164 pays et établi sur cinq continents, il regroupe plus de 7 500 collectivités dans le monde, dont près de 160 en France, et représente plus d’un milliard de citoyens.
Sa reconnaissance par les institutions internationales lui permet de participer aux conférences de l’ONU sur le désarmement ; son action apporte une ouverture au monde, utile pour mieux appréhender l’effet des politiques internationales au niveau local.
Pour sa part, l’AFCDRP s’attache à faire progresser la culture de paix par la mise en place de programmes locaux, qui sont autant de moyens efficaces pour résister au racisme, aux politiques de haine et d’exclusion en luttant contre la fragmentation de la société. Cette dynamique permet aux collectivités locales d’agir dans les huit domaines d’action définis par les Nations unies et l’UNESCO, qui recouvrent tous les champs de compétence des élus locaux, premiers garants de la sécurité et du bien-être de leurs administrés.
Il s’agit de sensibiliser la population en mettant en œuvre une démarche volontariste adossée au schéma classique : « Agir local, penser global ».
Outils pratiques et concrets, les PLACP permettent de relier de manière simple toutes les initiatives concernant la culture de paix et de faciliter leur diffusion auprès des citoyens. L’important est d’agir pour transmettre à la population une culture citoyenne et pacifiste. Cela passe par plusieurs initiatives, parmi lesquelles :
• le soutien aux populations victimes de la guerre ;
• la valorisation de la culture de paix sur le territoire de la ville ;
• la prise en compte de l’histoire de la ville et de son patrimoine ;
• l’encouragement aux échanges et à la connaissance des autres ;
• le soutien aux campagnes pour un monde sans armes nucléaires et contre le projet européen de « défense commune », en privilégiant toute initiative visant à faire de l’Europe un espace exempt d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive. Cela passe par la signature et la ratification du traité d’interdiction et d’élimination des armes nucléaires et par la sortie de l’OTAN, au profit d’un projet de sécurité et coopération communes, de développement économique mutuellement bénéfique entre États membres de l’UE, entre l’UE et son voisinage est-européen ainsi qu’avec les pays d’Afrique, du Maghreb et du Proche-Orient.

Philippe Rio est maire (PCF) de Grigny. Il est président de l’AFCDRP.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019