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Entretien

Techniciens, artistes, personnels administratifs, etc., les intermittentes et intermitents du spectacle regroupent un grand nombre de travailleurs, hommes et femmes, qui font vivre quotidiennement la culture dans notre pays. Mais, depuis plusieurs années, elles et ils sont régulièrement vilipendés comme des « assistés » ou des « privilégiés » qui vivraient sur le dos du régime d’indemnisation du chômage. Quels sont les enjeux sous-jacents à de telles attaques ?

En quoi consiste exactement le statut d’intermittent du spectacle ?
Il n’y a pas de « statut » d’intermittent du spectacle. Il y a seulement certaines règles spécifiques d’indemnisation du chômage dans le cadre de l’assurance chômage de tous les salariés du secteur privé. Ce régime d’indemnisation a pour spécificité d’être adapté à l’intermittence qui caractérise historiquement une partie de l’emploi dans le champ de l’art et de la culture, dans lequel on a la possibilité d’avoir recours à des « contrats à durée déterminée d’usage », afin de s’adapter au caractère très instable du temps de la création, comme dans un certain nombre d’autres branches du reste.

« Un modèle pour l’ensemble des travailleurs confrontés à l’emploi discontinu. »

Pouvez-vous rappeler quand et pour quelles raisons il a été mis en place ?
Ce régime d’indemnisation a été mis en place au milieu des années 1960 au moment où il était question de généraliser la couverture contre le risque chômage à l’ensemble des salariés, y compris à ceux qui n’avaient pas un emploi correspondant à un contrat « standard » (contrat à durée indéterminée à temps plein). Mais d’un point de vue numérique le développement de ce régime a véritablement eu lieu à partir des années 1980. C’est à partir de ce moment que les intermittents ont commencé à se mobiliser pour défendre ce régime de façon régulière face aux attaques et aux menaces de remise en cause qui pesaient sur lui.

Pourquoi certains ont-ils souhaité le remettre en cause ?
Le patronat et ses alliés dans le camp des syndicats de salariés ont mis en cause ce régime d’abord pour ce qu’il symbolise : à savoir, un modèle alternatif au plein-emploi de tous et de chacun. Dans sa version « bienveillante », que l’on peut retrouver également dans les rangs de militants de gauche, ce discours critique du régime d’intermittence consiste à dénoncer une « subvention de la précarité ». Selon ceux qui le portent, il ne faudrait surtout pas donner des droits à des salariés précaires de peur qu’ils s’installent durablement dans cette précarité de l’emploi. C’est en quel­que sorte pour le bien des salariés concernés qu’il faudrait mettre fin à ce régime. Le patronat est pour sa part surtout animé par une volonté de faire reculer les dé­penses de l’assurance chômage. Mais une partie de la gauche pratique ce que l’on peut qualifier de politique de l’autruche : elle ne veut pas prendre acte que l’emploi flexible existe dans ce secteur mais aussi partout ailleurs et qu’il serait temps de reconnaître de nouveaux droits aux salariées et aux salariés concernés plutôt que de leur expliquer que seul un hypothétique emploi stable doit constituer un horizon désirable.

Quelles seraient les conséquences à attendre de l’alignement du secteur culturel sur le régime général d’indemnisation du chômage ?
Un tel alignement n’est heureusement plus d’actualité depuis la signature le 27 avril 2016 d’un accord entre la Fédération CGT du spectacle, les autres fédérations de syndicats de salariés et les employeurs du secteur. Cet alignement constituait bien alors l’objectif du MEDEF, mais aussi de la CFDT, et l’on peut aisément imaginer qu’ils reviendront à la charge sur le sujet à l’avenir. Le danger immédiat serait de perdre un modèle d’indemnisation dans lequel des salariés à l’emploi intermittent bénéficient d’une certaine continuité de l’emploi. Le régime général est mal adapté à cette intermittence. Plus exactement, le régime général fonctionne – avec des dispositifs comme « l’activité réduite » ou les « droits rechargeables » – non plus comme une assurance sociale (qui permet d’être davantage indemnisé lorsque l’activité diminue) mais comme un compte épargne emploi (qui consiste à être « récompensé » par un droit à un peu d’indemnisation supplémentaire chaque fois que l’on accepte un emploi quel qu’il soit). Bref, une telle évolution serait d’abord une catastrophe sociale pour la grande majorité des intermittents qui seraient en pratique largement privés d’indemnisation. Mais ce serait aussi un modèle, une alternative possible, qui disparaîtrait pour tous les salariés à l’emploi discontinu de France et d’ailleurs. Ce modèle intéresse en effet bien au-delà de nos frontières pour l’ensemble des travailleurs confrontés à l’emploi discontinu. n

Mathieu Grégoire est sociologue. Il est maître de conférences à l’université de Paris-Ouest-Nanterre.
Propos recueillis par Igor Martinache.

Cause commune n° 6 - juillet/août 2018