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L’offensive générale contre le camp du travail est une offensive contre la République elle-même, celle-ci dynamitant le pacte social qui la fonde.

«L’Italie est une République démocratique, fondée sur le travail. » Ainsi s’ouvre la constitution italienne, conçue à la Libération avec un apport déterminant des communistes italiens. Ce détour par l’Italie confirme que la question du travail est assez centrale pour fonder la constitution d’un État moderne. Centrale en tout cas pour les communistes du monde entier. En France, la réception polémique des propos et propositions de Fabien Roussel pour le PCF lors de la campagne présidentielle ou lors de la Fête de l’Humanité révèle des reculs idéologiques assez conséquents pour la gauche qui s’est longtemps présentée comme le « camp du travail ». Jusqu’à expliquer son décrochage ? Très probablement. Plus encore après les « cinq lois travail » présentées par Hollande ou son successeur Macron. Alors oui, parlons travail à gauche !

Travail et pouvoirs
C’est une question presque anthropologique mais aussi un enjeu de pouvoir et de transformation sociale. Marx nous enseigne la place centrale du travail dans l’histoire des sociétés humaines de l’esclavage antique au servage puis au travail salarié pour envisager demain une société communiste de producteurs libres ; notre cité future est gouvernée, donc, par des travailleurs. Et dans le même rapport au temps long, il faut considérer celles et ceux qui sont exclus du champ du travail, du bénéfice des richesses produites et des pouvoirs qui en découlent, du patriarcat antique à la domination capitaliste en passant par l’absolutisme féodal.

« Les communistes ne se résignent pas à une société où certains bénéficieraient des revenus liés à leur activité créative quand d’autres seraient relégués à la solidarité nationale. »

De tout temps, travail et pouvoirs sont intimement liés, de l’individu au collectif. Voilà pourquoi les communistes ne se résignent pas à une société où certains bénéficieraient des revenus liés à leur activité créative quand d’autres seraient relégués à la solidarité nationale. C’est entre autres ce qui différencie notre proposition de Sécurité d’emploi et de formation permettant d’évoluer dans sa vie professionnelle sans perte de revenus, des propositions de revenus « d’autonomie » ou « universel » déployés d’un bout à l’autre de l’échiquier politique dans des formules diverses d’accompagnement du libéralisme.
Or, les libéraux ne s’y trompent pas. En témoigne leur obsession à s’en prendre à tout ce qui protège les travailleurs et leur permet d’être acteurs du changement dans l’entreprise comme dans la cité : lois travail, assurance chômage, retraites… L’offensive générale contre le camp du travail est une offensive contre la République elle-même, qui dynamite le pacte social qui la fonde. La crise du capitalisme qui s’étend par convulsions successives depuis 2008 a ouvert une course de vitesse nouvelle entre le travail et le capital. En Europe, où la social-démocratie convertie au libéralisme a été dominante au tournant du siècle, c’est aujourd’hui l’extrême droite qui obtient des résultats inquiétants en prétendant protéger le « travailleur national » contre l’étranger et proposant en fait une solution autoritaire de maintien de l’ordre économique établi.

Porter le fer au cœur de la domination capitaliste
Alors oui, la reconquête à gauche passe sans aucun doute par le retour du travail comme élément structurant. Et cela explique sûrement la popularité de Fabien Roussel qui a immédiatement pris cette question à bras-le-corps. Dans une France et une Europe où le travail paie insuffisamment, les luttes qui se développent sur les salaires en France, en Italie, au Royaume Uni, avec des victoires arrachées dans de nombreuses entreprises, sont autant de points d’appuis.
Parce que les communistes considèrent les travailleurs, leurs luttes, leurs droits conquis non pas comme un problème mais comme la solution. En réalité, lutter, engager le rapport de force à l’entreprise, c’est porter le fer au cœur de la domination capitaliste… Et c’est œuvrer pour l’intérêt général.

« Qu’il s’agisse de contester les licenciements boursiers ou de changer de modèle de production pour résoudre la crise écologique, l’intervention des travailleurs sur l’appareil productif lui-même est déterminante. »

Déjà Jaurès remarquait : « La Révolution a fait du Français un roi dans la cité et l’a laissé serf dans l’entreprise ». La perspective révolutionnaire de notre temps est donc celle des nouveaux pouvoirs pour les travailleurs à l’entreprise parce qu’elle est à même de faire reculer la domination capitaliste qui précipite l’humanité et la planète vers la catastrophe. Avec leurs organisations syndicales et politiques les travailleurs sont une force considérable pour gagner le changement. Qu’il s’agisse de contester les licenciements boursiers ou de changer de modèle de production pour résoudre la crise écologique, l’intervention des travailleurs sur l’appareil productif lui-même est déterminante. Et c’est sûrement l’apport original des communistes au pays que de conjuguer les luttes sociales et les batailles politiques en favorisant l’intervention sociale jusque dans les conquêtes institutionnelles importantes qu’ont été les congés payés, les retraites, la Sécurité sociale…
Travailler tous, travailler moins, travailler mieux, c’est possible à l’unique condition d’une mobilisation générale de celles et ceux qui vivent de leur travail pour construire durablement le rapport de force nécessaire avec les puissances d’argent. Alors, et alors seulement, pourrons nous rêver avec Camus « d’une société où ne régnera plus le juge mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. »

Aymeric Seassau est membre du Comité exécutif national du PCF. Il est animateur du secteur Travail, Emploi, Entreprises

Cause commune32 • janvier/février 2023