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La paix ne régnera pas en Afrique sans de profonds changements économiques et politiques œuvrant pour la justice et le développement.

La diversité du continent africain
Les représentations médiatiques dominantes présentent l’Afrique comme un bloc homogène, voire un pays. Pourtant nul n’a jamais parlé « africain » à « Africaville », capitale de l’Afrique. Il y a une longue tradition idéologique qui ne peut s’empêcher de substantifier l’Afrique, de la transformer en « parc à thèmes ». Hegel, Buffon et autre Gobineau en sont d’illustres précurseurs. Nicolas Sarkozy, qui n’a pas le même pedigree que ces éminents penseurs, a réussi le tour de force de se hisser à leur hauteur avec son fameux discours de Dakar, en juillet 2007, où il tance « l’homme africain » qui « n’est pas assez entré dans l’Histoire… ». Hors du prisme médiatique, il est plus difficile d’ignorer la diversité du continent africain. Il est évident pour qui veut sortir des préjugés, « l’Afrique » n’a aucune existence sociétale ou culturelle. Sur le plan politique, l’Union africaine apparaît plus comme un syndicat de chefs d’État que l’incarnation d’un pouvoir décisionnel sur le destin des Africains. En vérité, que de différences entre ce que le géographe Roland Pourtier appelle l’Afrique des troupeaux et celle des greniers et de la houe ! Ou encore entre l’Afrique des paniers et celle des bananiers.

« Les déstabilisations en cours justifient les dominations militaires, et donc politiques et économiques. »

L’Afrique du Nord et le reste du continent. Et que dire de l’Afrique subsaharienne qui regroupe quarante-sept pays (îles comprises), qui comptait environ 1 milliard d’habitants en 2015, un chiffre qui devrait atteindre 1,5 milliard en 2050 ? Mais il y a une constante, plus marquée pour les pays d’Afrique subsaharienne, c’est leur mode d’insertion à l’économie-monde capitaliste. Mis à part quelques exceptions comme l’Afrique du Sud, les pays africains sont spécialisés dans l’exportation de produits primaires à faible valeur ajoutée.

Essoufflement de la période de croissance
Après plusieurs décennies d’un « afropessimisme » où seules les descriptions apocalyptiques d’une Afrique marginalisée et déchirée par les calamités avaient droit de cité, la mode est à l’optimisme dans les cercles spécialisés depuis une dizaine d’années. Le rapport du cabinet McKinsey « L’heure des lions : l’Afrique à l’aube d’une croissance pérenne » publié en 2010 est passé par là. L’Afrique est désormais présentée comme la région du monde à la plus forte croissance, l’eldorado des investisseurs, un marché d’1 milliard de consommateurs avec une classe moyenne en expansion, etc. Les institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international) considèrent que cette nouvelle image est la preuve de l’efficacité des politiques qu’elles ont imposées indistinctement depuis les années 1980 à l’ensemble des pays du continent. Sous le vocable d’ajustement structurel, de lutte contre la pauvreté ou de croissance inclusive, le cadrage néolibéral inspiré du consensus de Washington est devenu la norme et l’horizon indépassable de toutes les politiques publi­ques. Le postulat de cette théorie est que la croissance économique est favorable à la création d’emplois et au développement humain compris comme réducteur de la pauvreté. Les moyens sont la libéralisation du commerce, la dérégulation du secteur financier, la réduction de la sphère d’intervention de l’État. Au cours de la première décennie du siècle, les taux de croissance enregistrés ont été de l’ordre de 5 à 6 %. Pour la commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA), ce cycle de croissance s’explique par des considérations géopolitiques, socioéconomiques et technologiques. Les changements dans l’environnement international avec la fin de la guerre froide et du régime d’apartheid en Afrique du Sud et la révolution des nouvelles technologies de l’information, notamment l’augmentation de l’utilisation des téléphones mobiles, ont rendu plus facile la participation à la vie sociale, économique et politique. Tous s’accordent pour reconnaître que cette croissance a été, pour beaucoup, impulsée par le boom des matières premières consécutif à la forte demande provenant des économies émergentes, en particulier de la Chine. Depuis 2015, la forte croissance du début de XXIe siècle s’est essoufflée et la reprise est moins vigoureuse. Le constat est que cette période de croissance soutenue n’a pas fondamentalement changé la structure des économies africaines qui restent peu diversifiées. Plus grave, le constat est que cela ne permet pas de créer suffisamment d’emplois pour absorber les millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail.

« La présence imposante et inquiétante des forces étrangères ont augmenté les budgets de la défense dans la plupart des pays au nom de la lutte contre le terrorisme, tandis que les luttes des travailleurs et des peuples ont été brutalement réprimées. »

Malgré les échecs patents de ces politiques, aucun autre modèle de développement n’est toléré. Autrement dit, et pour ne prendre que l’exemple de l’ancien pré carré français, la question est de savoir si un pays pourrait envisager une politique souveraine ? La réponse est clairement négative, pour l’instant. Si auparavant les tentatives étaient contrecarrées manu militari (de Sékou Touré à Laurent Gbagbo en passant par Thomas Sankara et tant d’autres), aujourd’hui le jeu est plus pernicieux. C’est au nom de concepts humanitaires ou de « guerre contre le terrorisme » que les dominations s’opèrent. Les déstabilisations en cours justifient les dominations militaires, et donc politiques et économiques. En filigrane, la françafrique s’est transformée pour laisser place à des réseaux privés au service des intérêts des transnationales (français et autres). Comment dans ces conditions penser des solutions africaines aux problèmes africains ?

Militarisation accrue du continent
L’Afrique est en crise à cause des guerres, des conflits politiques, des attaques terroristes menées par des groupes obscurantistes tel que Boko Haram, des tensions impérialistes comme l’agression de la Libye, de l’absence de démocratie, du non-respect des droits de l’homme, de la corruption et de la cupidité, de l’héritage colonial et du système mondial injuste en général. La militarisation accrue du continent et la présence imposante et inquiétante des forces étrangères, en particulier européennes et américaines ainsi que diverses autres forces militaires et armées, ont augmenté les budgets de la défense dans la plupart des pays au nom de la lutte contre le terrorisme, tandis que les luttes des travailleurs et des peuples ont été brutalement réprimées.
La paix n’est pas seulement l’absence de conflits armés mais l’existence de conditions générales favorisant la dignité humaine, la justice, l’égalité et le développement. L’absence de ces conditions fait le lit de la violence et les conflits cycliques. Ce sont alors les travailleurs et les pauvres qui souffrent le plus. Prendre le contre-pied du néolibéralisme en Afrique, qui provoque tant de déstructurations et de chaos, peut passer par un nouveau paradigme promouvant la sécurité, c’est-à-dire la sécurisation de la vie, des parcours de vie. Comme partout dans le monde, chaque Africain est en droit de bénéficier d’une sécurité sociale et d’un système de retraite solidaires, avec des financements et des organisations qui restent à inventer pour répondre aux réalités sociologiques et économiques avec entre autres une agriculture vivrière et écologique.

Félix Atchadé est membre du secteur International du PCF et du collectif Afrique.

Cause commune n° 12 • juillet/août 2019