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Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) constitue un héritage important pour le PCF qui n’a jamais cessé de revendiquer son caractère hautement révolutionnaire. Il convient donc de présenter ici son histoire, de sa genèse à son devenir dans la vie politique de la France libérée, ainsi que son contenu, pour réaffirmer davantage son actualité à l’heure où les services publics français sont menacés de disparition.

L’histoire des relations établies entre le Conseil national de la Résistance (CNR) et le PCF entre mai 1943 – date de création du CNR – et les lendemains de la Libération résulte largement d’une double initiative de rapprochement insolite, de la part du général de Gaulle et des dirigeants communistes.

Un double infléchissement politique
Lors de l’année 1941 – qui a vu successivement l’entrée en guerre contre les forces de l’Axe (Allemagne nazie, Italie fasciste, Japon militariste) de l’URSS en juin et des États-Unis en décembre –, le Parti communiste décide la création du Front national en mai 1941. Après le 22 juin et l’entrée en guerre de l’URSS, celui-ci va être utilisé dans le but d’activer auprès d’une grande diversité de patriotes, au-delà de la sensibilité communiste, la lutte contre « l’oppresseur et ses valets de Vichy ». Il tient à demeurer indépendant, hors de l’influence de la France libre, formée à Londres par de Gaulle dès l’été 1940, comme des autres mouvements de la Résistance intérieure, encore peu développés. Quant à de Gaulle, il se méfie par principe des partis ou des syndicats ayant rallié la Résistance intérieure. Mais l’année 1942 voit ces deux positions respectives fortement évoluer et opérer un rapprochement. Face au tournant militaire du conflit, du fait des premières défaites de l’Axe, du débarquement allié en Afrique du Nord (novembre 1942) et surtout de la victoire de l’Armée rouge à Stalingrad (février 1943) puis du débarquement allié en Italie et de l’armistice italien (septembre 1943), de Gaulle, en rivalité avec le général Giraud, a besoin pour assurer sa légitimité auprès des Alliés de s’assurer du soutien des forces politiques et militaires de la Résistance opérant dans la France, totalement occupée depuis novembre 1942. De son côté, à l’automne de 1942, les dirigeants du PCF restés en France – alors que Thorez est réfugié à Moscou – , Jacques Duclos et Benoît Frachon, clandestins en région parisienne, dépêchent Fernand Grenier à Londres afin de prendre contact avec le colonel Rémy, représentant de la France combattante, nouvelle dénomination de la France libre, signe de son nouvel état d’esprit. Cela témoigne du fait que le PC veut privilégier comme priorité la lutte patriotique active contre l’occupant – dont le bras armé est le Front national dans la version politique et les groupes de francs-tireurs et partisans (FTP) dans son volet militaire – bien au-delà des clivages politiques d’avant-guerre, et reconnaît pour cela l’autorité du général de Gaulle, même s’il maintient son autonomie d’organisation.

Le CNR et son double programme
Jean Moulin, ancien préfet limogé par Vichy, délégué général du général de Gaulle en France, dans sa mission générale de réunification des mouvements de Résistance, décide à la fin de 1942 de créer le Conseil national de la Résistance, afin d’affirmer auprès des Alliés le soutien total des Résistants de l’intérieur à de Gaulle et au Comité français de la Libération nationale (CFLN), amorce d’un gouvernement en exil à Alger depuis le printemps 1943. Et, en accord avec de Gaulle, il parvient à y introduire, aux côtés des mouvements de Résistance – dont le Front national représenté par Pierre Villon, dirigeant communiste –, des représentants de tous les partis résistants, dont le PC, et des deux confédérations syndicales (CGT réunifiée et CFTC). La première réunion des seize membres du CNR, soigneusement choisis par Jean Moulin, a lieu clandestinement rue du Four à Paris le 27 mai 1943. Le représentant communiste insiste surtout pour lancer un appel à l’action immédiate contre l’occupant, mais la réunion est écourtée, et il n’y aura plus de réunion plénière du CNR pour des raisons de sécurité jusqu’à la Libération en août 1944.

« Le Parti communiste décide la création du Front national en mai 1941 dans le but d’activer auprès d’une grande diversité de patriotes, au-delà de la sensibilité communiste, la lutte contre “l’oppresseur et ses valets de Vichy”. »

Après l’arrestation et l’assassinat de Jean Moulin en juin 1943, c’est le bureau de cinq membres, chacun représentant nécessairement plusieurs organisations – ainsi, Pierre Villon représente-t-il à la fois le PC, le Front national et, de manière insolite, la Fédération républicaine (parti de droite d’avant-guerre) –, sous la présidence de Georges Bidault, démocrate-chrétien membre du Front national, qui se réunit à raison de deux séances par semaine entre décembre 1943 et janvier 1944 afin d’élaborer un programme. Celui-ci se scinde rapidement en deux volets distincts. D’abord, l’action immédiate afin de hâter la libération qui doit résulter du débarquement allié : c’est la principale préoccupation et activité des communistes, qui pensent que l’indépendance future de la France, ainsi que leur poids politique qui en découle seront proportionnels à la participation active des Français à leur libération. Par-delà les réticences des socialistes, moins présents dans l’action, la première partie du programme contient un ralliement consensuel du CNR à l’action immédiate, devant toutefois être encadrée par des comités de libération (CDL), composés à l’image du CNR, mise en œuvre par les forces françaises de l’intérieur (FFI) intégrant toutes les composantes militaires de la Résistance (dont les FTP) et soumise in fine à l’autorité du CFLN et de De Gaulle.

« La seconde partie du programme, diffusé dans la clandestinité sous le titre Les Jours heureux  le 15 mars 1944, énonce les principales réformes politiques et surtout économiques et sociales pour l’après-guerre. »

La seconde partie du programme, diffusé dans la clandestinité sous le titre Les Jours heureux  le 15 mars 1944, est beaucoup plus brève – seulement un quart du texte final – et énonce les principales réformes politiques et surtout économiques et sociales pour l’après-guerre. À partir de plusieurs moutures – dont une proposée par le Front national en novembre 1943 –, la « charte » du CNR contient le rétablissement des libertés démocratiques et plusieurs « réformes de structures », qui constituent un ensemble d’institutions de régulation qui vont fonder l’État social d’après-guerre : un « plan complet de sécurité sociale » ; le « retour à la nation des grands moyens de production monopolisés » ; un plan de l’économie ; les comités d’entreprise ; un « statut du fermage et du métayage », ainsi que la « confiscation des biens des traîtres » et le « châtiment des traîtres ». Ce programme a été approuvé à l’unanimité des membres du bureau, puis de l’ensemble des membres du CNR, et du général de Gaulle, après des discussions et une consultation certes clandestine mais réfléchie et démocratique de l’ensemble des composantes du CNR.

Le PC et l’application du programme du CNR
À la Libération, le CNR en tant qu’organe de la Résistance demeure, mais se trouve quelque peu minoré par la libération du territoire, réalisation de la première partie du programme, et par la reconstitution des rouages administratifs et politiques de l’État. Son rôle apparaît toutefois fort du point de vue symbolique et politique puisqu’il incarne l’unité de la Résistance autour des grandes réformes de sa charte, premier et seul programme depuis 1789 soutenu par l’ensemble des forces politiques, syndicales et des associations – alors les mouvements de Résistance. Après la fin de la guerre et les premières élections législatives d’octobre 1945, le PCF se place en premier parti (avec environ 26 % des voix), suivi de peu par le Mouvement républicain populaire (MRP) démocrate-chrétien et par le Parti socialiste, et dispose de cinq ministres dans le gouvernement provisoire d’union nationale dirigé par le général de Gaulle jusqu’à son départ en janvier 1946 sur un désaccord quant au contenu de la Constitution de la future IVe République. Entre septembre 1944 et janvier 1946 sont adoptées les principales réformes du CNR : Sécurité sociale, comités d’entreprise, nationalisation des charbonnages du nord, d’Air France, de Renault, des banques de dépôts et de la Banque de France, élaboration d’un « plan de modernisation et d’équipement ». Entre janvier et avril 1946, le PC et ses ministres (Ambroise Croizat, ministre du Travail, et Marcel Paul, ministre de la Production industrielle) contribuent à accélérer la poursuite des réformes : nationalisation des charbonnages de France, d’EDF-GDF, de plusieurs compagnies d’assurances, achèvement et mise en œuvre effective de la Sécurité sociale, mise en route du premier plan ou plan Monnet. Lors de l’échec du premier projet de référendum sur la Constituante, les élections suivantes de juin 1946 voient le MRP ravir la première place au PCF, maintenu cependant à 25 % des voix, ce qui donne un coup d’arrêt à l’application du programme du CNR, il est vrai en grande partie réalisé.

La portée plus longue de ce rapprochement conjoncturel
Dès lors, la conjoncture évolue grandement avec la mise en place de la IVe République, l’entrée dans la guerre froide et l’éviction des communistes du gouvernement en mai 1947. Le Parti communiste tient cependant périodiquement à se présenter comme le garant le plus fidèle des réformes de la Libération issues du programme du CNR face aux risques de remise en cause, du fait du glissement vers le centre et la droite des gouvernements de troisième force. Cette brève histoire met en scène, dans une conjoncture courte mais exceptionnelle du fait de la lutte clandestine contre l’occupant, une convergence majeure entre communistes et gaullistes, étendue ensuite à l’ensemble des forces résistantes, qui a constitué les fondements de l’État social à la française des quatre décennies suivantes et au-delà, jusqu’aux révisions de la fin du XXe siècle.

Michel Margairaz est historien. Il est professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

Cause commune n° 14/15 • janvier/février 2020