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La période ouverte par le conflit des retraites donne de nouvelles responsabilités aux partis politiques de gauche afin de construire une issue progressiste aux luttes du monde du travail.

La relation entre les organisations syndicales et politiques (et singulièrement le Parti communiste) est vieille comme le mouvement ouvrier. Elles comptent en France des spécificités (la charte d’Amiens par exemple) comme dans tout pays, mais évacuons d’emblée une idée reçue : dans toute l’Europe, l’histoire syndicale et celle des forces de gauche est intimement liée, parfois de manière plus organique encore que ne le furent les liens entre le parti communiste et la CGT par exemple. Du reste le thème de la « courroie de transmission » a le plus souvent été exagéré et agité comme un chiffon rouge par les adversaires de classe du monde du travail. Est-ce à dire qu’un retour en arrière vers les formes appartenant au XXe siècle est souhaitable ou même possible ? Assurément pas !
Assumer des intérêts communs, ceux du monde du travail, et construire ensemble des méthodes de travail et d’action à la hauteur des enjeux de notre temps : voilà les défis de ce siècle. De ce point de vue, le message adressé au congrès du PCF par Sophie Binet, fraîchement élue à la tête de la CGT, est une excellente nouvelle dans l’annonce d’une volonté d’échange et de travail (« les organisations syndicales ont besoin de travailler avec les organisations politiques pour construire l’horizon de transformation sociale que nos combats visent à mettre à l’ordre du jour » a-t-elle notamment déclaré). Et la nouvelle direction de la CGT a entamé un programme de rencontre avec diverses forces politiques parmi lesquelles évidemment le PCF et son secrétaire national Fabien Roussel qui déclarait, lors de la désignation de Sophie Binet, « le monde syndical est une force incomparable ».

Une période nouvelle entre espoirs et dangers
Deux constats sont nécessaires :
- Dans l’histoire nationale, les moments fondateurs de poussée révolutionnaire et l’obtention des grands conquis sociaux sont issus de la conjugaison de la mobilisation syndicale et de conquêtes de positions institutionnelles par des forces politiques défendant les intérêts du monde du travail – comme le PCF – dans le cadre permis par la République. On pense bien entendu au Front populaire, aux conquis de la Libération assis sur le programme du Conseil national de la Résistance pour lesquels la classe ouvrière organisée a joué un rôle déterminant, ou encore à la séquence 1981-1983 qui fait suite à Mai 1968, aux luttes des années 1970 et à l’expérience du programme commun.
- Le recul du nombre de militants et de l’influence dans la société a marqué d’un même mouvement les forces de gauche et les forces syndicales. Les conséquences sont importantes dans les deux champs, avec pour exemple le plus notable la percée du Rassemblement national, et ce jusque dans les rangs des travailleurs se réclamant d’une proximité syndicale, alors même que le RN n’a jamais dérogé à son hostilité aux organisations syndicales, même si Marine Le Pen n’hésite pas à les qualifier « d’idiots utiles » et que son programme est hostile aux intérêts du monde du travail.
Il y a donc urgence à la réflexion comme à l’action si nous voulons gagner ensemble. Et la dernière période révèle les impasses comme les potentialités. Si à ce stade Macron a mis en échec l’intersyndicale sur les retraites, c’est pour lui une victoire à la Pyrrhus qui a fini de délégitimer son pouvoir, désormais coupé de tout appui populaire. Depuis septembre c’est l’intersyndicale qui donne le ton et qui a permis le retour des revendications sociales sur le devant de la scène avec de nombreuses luttes et des victoires notables sur les salaires (comme récemment à Vertbaudet) au-delà de l’épreuve de force massive sur les retraites.

 

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Des convergences nouvelles au service du monde du travail
À gauche, les velléités de LFI depuis septembre d’imprimer sa stratégie et son orientation dans la rue et à l’Assemblée nationale, en faisant peu de cas des remarques et du calendrier de l’intersyndicale auront pesé. Il s’agit là non pas d’un hasard conjoncturel mais d’une cohérence politique en lien, par exemple, avec ce qu’a pu exprimer de manière très claire Jean-Luc Mélenchon fustigeant la charte d’Amiens à l’agora de la Fête de l’Humanité en septembre 2022.
À l’inverse, le PCF s’est déployé en soutien au rapport de force social construit dans les entreprises par les travailleurs eux même et leurs organisations syndicales. Et Fabien Roussel s’est employé à échanger régulièrement avec les dirigeants des principales centrales en toute franchise, en toute liberté et dans le respect le plus absolu de la souveraineté de chacun.
Il y a là aussi deux illustrations éloquentes pour l’avenir des potentiels et des écueils de la période. À l’heure où les puissances d’argent en imposant de nombreuses réformes sous Sarkozy-Hollande-Macron veulent réduire la démocratie sociale à la portion congrue, la responsabilité de la gauche vis-à-vis des organisations syndicales est grande.
En réalité, sur la ligne de crête, il n’y a que deux issues, garder l’équilibre et prétendre atteindre à nouveau le sommet... ou la chute cruelle pour le peuple travailleur. Des forces syndicales dominant le champ politique, ou des forces politiques ordonnant aux organisations syndicales, c’est le déséquilibre et la chute.
Des forces politiques et syndicales, souveraines et s’associant librement dans des combats communs ouvrent la possibilité de victoires nouvelles utiles au monde du travail. C’est sur cette option que le PCF veut déployer toute son énergie. Ainsi, les communistes ont beaucoup débattu lors de leur congrès de Marseille de la nécessité de se réimplanter massivement dans les entreprises, un objectif de premier plan pour le PCF non pas pour y jouer le rôle de syndicat bis, mais pour peser sur la bataille idéologique qui y fait rage. Considérant non seulement que les lieux de travail sont toujours des lieux de socialisation constitutifs des imaginaires permettant aux idées de se déployer dans toute la société mais aussi que l’entreprise et les lieux de travail concentrent des enjeux de pouvoir, de lutte, de constitution du rapport de force avec le capital, l’essentiel des potentialités de changement, donc. Alors oui, l’heure est à inventer des relations politiques et syndicales décomplexées parce qu’elles conditionneront les victoires à venir.

Aymeric Seassau est membre du comité exécutif national du PCF, chargé du secteur Entreprises et lieux de travail ainsi que des relations avec les syndicats.

Cause commune n° 35 • septembre/octobre 2023