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Cause commune est allée à la rencontre de Frédéric et Marc, militants insoumis à Schiltigheim – une ville de l’agglomération strasbourgeoise – ainsi que de Paul à Nantes pour tenter de mieux comprendre leur engagement dans ce mouvement, leur rapport à la politique.

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Pouvez-vous vous présenter brièvement ? Comment avez-vous rejoint le mouvement de la France insoumise ?
Frédéric : Je suis professeur d’histoire en collège. J’ai 26 ans. Je me suis engagé au sein de FI fin 2016. C’est mon premier engagement politique, avant j’étais un simple sympathisant du Front de gauche, même si je soutenais déjà Mélenchon en 2012. Au sein de FI, il n’y a pas vraiment de places attitrées, je mène des actions diverses, je tracte, je colle des affiches. Dans notre groupe d’appui, il n’y a pas vraiment de chef, c’est un mouvement horizontal.
Marc : J’ai 67 ans, je suis retraité. Je suis militant depuis 1969, j’ai fait mes classes à la JC et au PCF de 1970 à 1997. J’ai fait une pause dans mon activité politique jusqu’en 2008 car j’étais fatigué de l’activité politique et de ce qu’elle est devenue. Je suis revenu à la politique grâce au mouvement social contre la réforme des retraites. À la création du Front de gauche, je suis devenu sympathisant non encarté. J’ai regretté l’absence de place laissée aux militants non encartés et les tensions qui ont existé entre les différents partis composant le FDG. En 2017, j’ai continué à soutenir Mélenchon car pour moi le plus important, c’est de rassembler les gens, plus que les partis et les étiquettes. La question politique la plus importante pour moi c’est comment je bouge pour rassembler autour du programme L’avenir en commun et comment on rompt avec l’establishment. Ce qui compte avant tout, c’est de permettre aux gens d’agir, pas de faire de longues analyses politiques. Au sein de notre groupe d’appui, il y a des anciens militants du PCF, des trotskistes, des catholiques de gauche, des écolos ou des non affiliés. FI est un laboratoire, y compris organisationnel. Lorsqu’on fait des réunions, il n’y a jamais de vote, on discute.

« FI est un laboratoire, y compris organisationnel. Lorsqu’on fait des réunions, il n’y a jamais de vote, on discute.» Marc

Paul : J’ai 25 ans, je suis étudiant à Nantes. J’ai toujours eu un goût pour la politique au sens noble du terme mais, ces dernières années, j’étais dans le rejet et le dégoût d’une certaine vision bureaucratique de la politique. J’étais fatigué par le refrain de Thatcher « There is no alternative » (« Il n’y a pas d’alternative »). J’ai été attiré par la France insoumise début 2017 car, à mon sens, par rapport aux autres forces politiques à gauche, les socialistes mais aussi les écologistes et les communistes, FI propose une vraie stratégie électorale, un discours cohérent et une vision. Une alliance de l’alternative et de la crédibilité, ce que je ne retrouve pas ailleurs.

Que signifie pour toi être à la France insoumise ?
Frédéric : C’est la possibilité de dire non à la politique actuelle, de se regrouper autour d’un programme L’avenir en commun, notre socle idéologique, de faire des actions variées. C’est ma première expérience politique. FI m’a donné envie d’agir, de m’engager. Ce qui me frappe, c’est la diversité de gens et d’opinions qui existe dans ce mouvement.
Marc : Pour moi être à France insoumise, c’est rassembler les gens autour d’un programme de transformation de société. Chacun apporte sa pierre sans adhérer. On n’entre pas à la France insoumise comme en religion.

Quelles actions menez-vous avec votre groupe d’appui ? Quelle forme prend votre militantisme ?
Frédéric : Du tractage, du collage. Nous discutons avec les citoyens sur les marchés mais nous militons également sur les réseaux sociaux. Le militantisme sur les réseaux sociaux me paraît tout aussi important que le militantisme de terrain, cela a une influence majeure aujourd’hui.
Marc : Je suis très branché par la politique locale, j’ai été quatorze ans conseiller municipal, ça laisse des traces.
Paul : Je m’implique aléatoirement en fonction de mon emploi du temps. Je discute beaucoup avec mes amis et sur les réseaux sociaux. Le mouvement France insoumise n’est pas dans la permanence mais il s’adapte. Il y a donc une différence d’activité politique entre la période électorale et la période actuelle qui est une période de résistance. Lors des réunions auxquelles je participe, j’apprécie la richesse des échanges politiques, l’ouverture à la culture que permet mon engagement. À Nantes, on organise des projections de film pour mieux comprendre le capitalisme et l’histoire du mouvement ouvrier. On sort du militantisme besogneux des autres partis. La qualité de l’échange politique me plaît. Je me sens libre de m’exprimer, il n’y a pas de cacique, de chef. Chaque groupe d’appui dispose d’une grande liberté d’action et d’initiative… Au sein des militants insoumis de Nantes, il y a pas mal de syndicalistes de la CGT, et d’anciens militants socialistes et communistes.

« Le mouvement permet une ré-affiliation des gens à la politique. Le mouvement FI fixe un horizon nouveau. Les vieux partis ont du mal à susciter l’adhésion. Paul

Votre groupe d’appui produit-il du matériel politique, des tracts ?
Frédéric : On ne produit pas de tracts, on les achète au siège national. On paye directement les frais de port.
Marc : Il n’y a pas de mot d’ordre venant de Paris qui nous dit : « Distribue tel tract ». Mais pour l’instant notre groupe d’appui n’a pas de trésorerie pour nous permettre de produire du matériel local, donc on utilise ceux du national. Il va falloir résoudre ce problème pour nous permettre de financer une campagne locale telle que celle des municipales.

Comment communiquez-vous avec les dirigeants nationaux de FI ? Quels sont vos rapports avec les dirigeants du mouvement ?
Frédéric et Marc : On communique via le site internet, on y inscrit nos dates de réunion et nos événements. Mais on ne dialogue pas véritablement avec le national, les élus. Notre groupe d’appui n’était pas représenté à la convention nationale de la France insoumise. Pour y assister, il fallait s’inscrire sur le site, puis les volontaires ont été tirés au sort. Ça ne nous a pas dérangés de ne pas être représentés car la convention nationale était complète sans nous.
Paul : Nous n’avons pas de crispation sur le rapport entre la base et le national. On est fier d’avoir un groupe parlementaire avec diverses fortes personnalités et pas seulement un seul leader, Mélenchon. On a une confiance envers les leaders du mouvement. On n’a pas besoin de « procéduraliser » des choses évidentes. Notre action politique est coordonnée et cohérente.
Quelle différence y a-t-il entre un parti et un mouvement selon vous ?
Frédéric : J’ai du mal à répondre à cette question car j’ai été uniquement dans un mouvement donc je n’ai jamais expérimenté la forme parti. Je pense que dans un parti les décisions sont plus verticales.

« La particularité de la France insoumise, c’est de permettre d’agir selon les thématiques que l’on souhaite sans passer par la direction nationale. Frédéric

Paul : Tout d’abord, France insoumise est le seul mouvement qui existe à gauche alors qu’il existe différents partis. Il y a une différence d’historicité puisque FI est un mouvement jeune et que les partis de gauche sont anciens. Le mouvement FI est marqué par son succès électoral de 2017 aux présidentielle et législatives mais aussi par son dynamisme. Le mouvement permet une ré-affiliation des gens à la politique. Le mouvement FI fixe un horizon nouveau. Les vieux partis ont du mal à susciter l’adhésion. Au niveau de l’organisation, on n’a pas pour objectif d’atteindre la rigueur qu’ont les partis. Je pense que les partis sont très rationalisés et qu’il y a une discipline totale et idéologique. La force de FI, c’est d’avoir construit un but, L’avenir en commun. FI est souple, ce qui permet de s’adapter au mieux au terrain, je crois que c’est une force. À FI, les gens n’ont pas besoin de lever la main droite et de faire une profession politique. Pour autant, il ne faut pas comprendre que le mouvement a une souplesse idéologique car l’alternative qu’on propose est très claire.

Quelle place doit jouer la démocratie interne dans le mouvement ?
Frédéric : L’avantage dans un groupe d’appui, c’est la possibilité de faire, de proposer des actions sans hiérarchie. Cette notion de démocratie interne est essentielle. La particularité de la France insoumise, c’est de permettre d’agir selon les thématiques que l’on souhaite sans passer par la direction nationale. La politique pour moi, c’est avant tout la démocratie. 
Marc : Dans notre mouvement, il n’y a pas de règles démocratiques, on n’en a rien à faire de la démocratie. À France insoumise, la question ne se pose pas en termes de majorité ou de minorité, ce qui prime c’est d’avoir envie d’agir, de bouger. Nous ne sommes pas antidémocratiques pour autant, toutefois le schéma de décision majoritaire ne s’applique pas. Le socle du mouvement, c’est l’action autour du programme, ce n’est pas le partage idéologique.
Paul : Je ne comprends pas bien la question. Les gens se sont retrouvés dans le programme L’avenir en commun. La ligne proposée est claire. FI propose un axe de résistance claire. Au sein du mouvement, il y a différents échelons. Le niveau national avec la figure de Mélenchon mais pas que, il y a aussi désormais nos parlementaires qui sont au contact direct des citoyens et des insoumis dans leurs circonscriptions. Il y a des possibilités constantes d’échange entre la base et le sommet, c’est démocratique. Ce qui nous intéresse, ce ne sont pas les procédures démocratiques internes. Nous souhaitons construire le pouvoir politique à l’échelle du mouvement. FI me semble très démocratique, on est libre, c’est une forme moderne d’engagement politique. On a eu une convention nationale avec des personnes tirées au sort. Il y a vraiment des possibilités permanentes d’interpeller nos cadres.

Comment définiriez-vous l’insoumission ? 
Frédéric : Pour moi, l’insoumission c’est pouvoir se détacher d’un conditionnement familial non propice à l’insoumission. Chez moi, on ne parlait pas de politique. J’ai donc dû sortir du conditionnement dans lequel j’ai été éduqué. Ensuite, l’insoumission, c’est aussi refuser l’ordre établi, la société actuelle. 

Mais est-ce que tu te considères de gauche, anticapitaliste ?
Frédéric : De gauche clairement, même si aujourd’hui ça ne veut plus dire grand-chose à cause du Parti socialiste, donc le terme insoumission résume bien mon engagement. 
Marc : L’insoumission, c’est s’affranchir d’une pensée générale. L’avenir en commun est un programme anticapitaliste mais pas socialiste au sens fort du terme. La France insoumise n’a pas de projet de société à caractère marxiste. Ce n’est pas un problème car cela permet un rassemblement plus large et de bouger plus, d’impliquer plus de gens pour participer à l’action sociale collective. Je ne dis pas qu’il ne faut plus de partis, de pensée théorique, mais je pense qu’aujourd’hui il faut permettre à tout le monde de se retrouver dans l’action. La culture politique et citoyenne se forge dans l’action. Je n’ai pas de soucis avec les gens qui veulent adhérer à un parti car je dois reconnaître que c’est le mouvement ouvrier organisé – parti et syndicat – qui m’a permis de bouger. C’est dans le matérialisme historique que j’ai beaucoup appris, alors que je suis sorti du système scolaire jeune.

Comment envisagez-vous vos rapports avec les autres mouvements et partis de gauche ?
Marc et Frédéric : Pas de fermeture. Possibilité de discussion, de mise en commun sur des thématiques qui nous rassemblent. En même temps, nous défendons le programme L’avenir en commun. On ne va pas changer le programme pour nouer des alliances électorales. L’avenir en commun est non négociable. Si vous n’êtes pas d’accord, pas d’alliance. Les accords d’appareils, les gens n’en veulent plus.
Paul : L’idée du mouvement FI est de tourner la page de ce qui a existé et qui n’a pas fonctionné. Notre objectif est de discuter avec les gens et pas avec des partis constitués. On est prêt à discuter avec d’autres militants de gauche mais à un niveau individuel.

Propos recueillis par Simon Burle pour Cause commune.

Cause commune n° 4 - mars/avril 2018