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Ce pacte adopté le 19 décembre 2018 a suscité beaucoup de commentaires acerbes alors qu’il est très décevant pour tous ceux qui défendent le droit des migrants.

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Rarement un texte international n’aura soulevé un tel tollé quelques jours avant son adoption. Pourtant l’intérêt de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour ces questions n’est pas nouveau. En effet, dès 2003, Kofi Annan mettait sur pied une commission mondiale sur les migrations internationales. Quoi de plus normal pour une organisation qui, selon ses propres termes, a pour mission de « prendre des mesures pour résoudre un grand nombre de problèmes auxquels est confrontée l’humanité au XXIe siècle » ?

Le rôle de l’ONU
Si les migrations ne sont pas un « problème », elles se sont effectivement mondialisées et quasiment tous les pays sont aujourd’hui pays d’origine, de transit et/ou de destination. Qui est alors mieux placé que l’ONU pour aborder cette question mondiale ? C’est ce qui a été fait : deux dialogues de haut niveau sur les migrations internationales ont été organisés en 2006 et 2013 et des forums annuels sur la migration et le développement ont été mis en place.

« Le pacte se déroule autour de dix principes et vingt-trois objectifs qui ne sont que des rappels d’engagements internationaux déjà existants. »

La « crise » de 2015-2016 dans la zone Méditerranée a sans doute accéléré le processus. Toujours est-il que, le 19 septembre 2016, l’assemblée générale des Nations unies a adopté à l’unanimité une déclaration, dite « de New York », pour les réfugiés et les migrants. Cette déclaration a engagé un processus de négociation pour l’adoption de deux nouveaux pactes mondiaux : l’un sur les réfugiés et l’autre « pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » – le pacte sur les réfugiés a été piloté par le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et adopté par l’assemblée générale de l’ONU le 18 décembre par 181 pays ; seuls les états-Unis et la Hongrie ont voté contre et trois se sont abstenus, la République dominicaine, l’érythrée et la Libye. Il s’ensuivit dix-huit mois de négociation et un projet de texte final adopté par 192 pays en juillet 2018 lors d’une conférence intergouvernementale, c’est-à-dire l’ensemble des pays membres de l’ONU, à l’exception des États-Unis qui s’étaient retirés du processus en décembre 2017.

Une controverse de mauvaise foi
C’est donc un débat quelque peu surréaliste qui s’est enclenché dans les semaines précédant la tenue du sommet de Marrakech le 10 décembre dernier, date symbolique puisqu’elle correspond au 70e anniversaire de l’adoption de la déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH). Mi-novembre, en quelques jours, une dizaine de pays dont Israël, la Hongrie, la Pologne, l’Italie, la République tchèque, la Bulgarie, l’Estonie et l’Australie ont annoncé qu’ils ne signeraient pas le pacte. L’Autriche, alors qu’elle présidait le conseil européen dans le cadre de la présidence tournante de l’Union européenne, a fait de même. La Suisse qui avait activement participé au processus d’écriture a, sous la pression de son parlement, renoncé à aller à Marrakech. Le texte a engendré une crise politique en Belgique et fait tomber le gouvernement de Charles Michel. La France n’a pas été épargnée par le débat et Emmanuel Macron a décommandé son déplacement au Maroc, certains « gilets jaunes » ayant menacé de bloquer son avion. Il s’est néanmoins fait représenter par un secrétaire d’État, inconnu du public, Jean-Baptiste Lemoyne.

« Les pays du Nord ont lourdement pesé sur le texte de façon négative l’empêchant de constituer un instrument pour lutter contre les dérives des politiques actuelles. »

On est habitué à lire tout et n’importe quoi sur le sujet des migrations mais cette fois, on a atteint des sommets de mauvaise foi. Qu’on en juge : Emmanuel Macron a été accusé de vouloir « vendre la France aux étrangers » et de « remettre ses clés à l’ONU », laquelle « voudrait nous imposer sa vision d’un monde sans frontières ». « Huit pays seraient obligés d’accueillir 480 millions de migrants », alors que le nombre total de migrants internationaux dans le monde n’est que de 258 millions, soit 3,4% de la population mondiale, et ce « pacte diabolique », pour reprendre une expression de Marine Le Pen, créerait « un droit à la migration ».

Un cadre de coopération non contraignant
Tout ceci pour un « pacte » qui se contente d’établir un cadre de coopération juridiquement non contraignant, respectant la souveraineté des États, une sorte de guide de bonnes pratiques que chaque État signataire restera libre de mettre en œuvre. Certes, un mécanisme permettra de suivre les « progrès » réalisés et un cadre régulier de discussions internationales sera mis en place, un peu comme pour le climat. C’est dire ! Le pacte se déroule autour de dix principes et vingt-trois objectifs qui ne sont que des rappels d’engagements internationaux déjà existants.
Il ose notamment rappeler que tous les migrants (femmes et hommes) ont des droits, quel que soit leur statut, ce qui n’est finalement qu’un rappel de l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et qu’il faut leur « assurer l’accès aux services de base ».

« Ce pacte reflète la triste évolution des pays européens au regard des droits de l’homme et leur incapacité croissante à réagir face à la montée des discours racistes et xénophobes. »

À peine osera-t-on se féliciter que son premier objectif soit de « collecter des données précises afin d’élaborer des politiques fondées sur la connaissance des faits », que le septième propose de « s’attaquer aux facteurs de vulnérabilité des migrants et de les réduire », le treizième de « ne recourir au placement en détention administrative qu’en dernier ressort », en cherchant des solutions de rechange ou encore de faire en sorte de « sauver des vies » et d’« éliminer la traite ».
Mais il y a de quoi être plus inquiet quand on lit qu’il faut « munir tous les migrants d’une preuve d’identité légale » ou encore « coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité ». L’impression générale est que les pays du Nord ont lourdement pesé sur le texte de façon négative, l’empêchant de constituer un instrument pour lutter contre les dérives des politiques actuelles qui freinent les possibilités de migrer pour les deux tiers de la population mondiale.
Ce texte, finalement adopté le 19 décembre dernier à New York par 152 pour, 5 contre (États-Unis, Hongrie, République tchèque, Pologne et Israël), et 15 abstentions (dont l’Autriche, l’Australie, la Bulgarie, l’Italie, la Roumanie, la Suisse, l’Algérie, le Chili et… le Liechtenstein), est plutôt fade et déçoit largement les attentes de ceux qui défendent les droits des migrants. Il reflète malheureusement la triste évolution des pays européens au regard des droits de l’homme et leur incapacité croissante à réagir face à la montée des discours racistes et xénophobes dont les migrantes et les migrants sont les premières victimes. Il révèle une fois de plus la nécessité pour les progressistes de repartir à l’offensive sur ces questions pour ne pas laisser le champ libre à l’extrême droite.
Marie-Christine Vergiat est députée au parlement européen, membre du groupe GUE/NGL.

Cause commune n° 10 • mars/avril 2019