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Avec la Sécurité sociale et les nationalisations, la création des comités d’entreprise représente l’une des plus importantes mesures prises au sortir de la Seconde Guerre mondiale. À leur égard, on parle de « révolution par la loi » ou de « socialisation sans socialisme »… Leurs origines apparaissent toutefois variées et leur reconnaissance juridique assez mouvementée.

Les origines
La première source vient du programme commun de la Résistance qui envisage « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». Pourtant, ce programme dit « des jours heureux », il est vrai assez général, n’envisage pas la création des comités d’entreprise, en raison des divergences qui traversent ses membres sur le sujet. L’expression « comités d’entreprise » est cependant employée dans le rapport Courtin, préalable au programme du CNR, qui estime que leur création « ne doit pas être différée », mais qu’elle ne doit pas « nuire à la bonne marche des affaires ».
La deuxième émane de la charte du travail promulguée en octobre 1941 par le régime de Vichy. Celle-ci prévoit la mise en place de comités sociaux d’entreprise chargés de gérer les œuvres sociales et de réaliser « au premier degré la collaboration sociale et professionnelle entre la direction et le personnel », à l’exception cependant des questions économiques. A contrario du volet professionnel de la charte du travail, qui subira un échec patent, les comités sociaux d’entreprise connaîtront un réel succès. On en dénombrera environ neuf mille en 1944, soit à peu près autant que le nombre d’entreprises de plus de cent salariés dans lesquelles ils sont en théorie obligatoires. Financés essentiellement par des fonds d’origine patronale, ils représentent une part non négligeable d’un salaire indirect en pleine expansion, alors même que les salaires directs sont bloqués ou contrôlés. Leur activité se déploie dans de nombreux domaines comme l’aide aux prisonniers, le secours mutuel, les crèches, les colonies de vacances, mais c’est dans le domaine du ravitaillement (cantines d’entreprise, jardins ouvriers, etc.) qu’ils sont les plus actifs, d’où leur dénomination populaire de « comités patates ». Leur utilité paraît si évidente à la Libération que le Comité français de libération nationale envisage dès février 1944 leur maintien dans le cadre élargi des comités d’entreprise.

« C’est sans doute exceptionnel dans l’histoire du droit du travail français : les comités d’entreprise sont issus des deux réglementations que sont l’ordonnance du 22 février 1945 et la loi du 16 mai 1946. »

La troisième source, plus factuelle, est à chercher dans les comités de gestion créés spontanément dans quelques entreprises à la Libération à la faveur de la fuite ou de l’emprisonnement de leurs dirigeants. La création des CE doit aussi à la volonté du gouvernement provisoire de faire cesser ces expériences autogestionnaires, d’éviter qu’elles ne fassent tache d’huile et de les faire entrer dans la légalité.

Deux lois pour une seule institution
C’est sans doute exceptionnel dans l’histoire du droit du travail français : les comités d’entreprise sont issus des deux réglementations que sont l’ordonnance du 22 février 1945 et la loi du 16 mai 1946.
Le contenu de l’ordonnance du 22 février 1945, discutée par l’Assemblée consultative provisoire et promulguée par le gouvernement provisoire de la République française dirigé par le général de Gaulle, peut être résumé en trois caractéristiques :
• à rebours de la vision paternaliste de Vichy, les CE ne seront pas désignés par les syndicats mais animés par des syndicalistes élus par les salariés sur listes syndicales ;
• ils auront deux types d’attributions : d’une part, la gestion des œuvres sociales, héritée de la Seconde Guerre mondiale ; d’autre part, la coopération entre les divers acteurs dans la gestion économique de l’entreprise, dans le souci de favoriser la démocratie industrielle ;
• leur rôle économique sera exclusivement consultatif.
L’ordonnance de 1945 est très vite critiquée pour son manque d’ambition par les organisations syndicales, à l’époque la CGT et la CFTC, qui vont trouver une oreille attentive auprès de la nouvelle Assemblée nationale issue des élections législatives de 1945 et du nouveau ministre du Travail communiste, Ambroise Croizat.
Il faut reconnaître les changements importants apportés par la loi de mai 1946 comme l’élargissement de l’institution aux établissements de plus de cinquante salariés (au lieu de cent), l’exigence d’une consultation (au lieu d’une simple information) en matière économique ou encore les attributions accrues accordées à l’expert-comptable du CE. Pour autant, on ne peut pas dire qu’elle « a renversé l’esprit » de l’ordonnance de 1945, comme l’écrivait le nouveau président du CNPF Marcel Meunier. Issue, à quelques rares exceptions près, du texte voté par l’Assemblée consultative provisoire en décembre 1945, elle renforce le pouvoir des élus face à l’employeur mais conserve les principales caractéristiques qui étaient celles du CE dès 1945.

Jean-Pierre Le Crom est historien du droit. Il est directeur de recherche au CNRS.

Cause commune 37 • janvier/février 2024