(Commission Culture de la fédération du Rhône du PCF)
Aujourd’hui trois cent mille, ils et elles vivent des situations variées, mais avec de nombreuses caractéristiques communes fortement ressenties, bien entendu sans pour autant former « une classe ». Ce n’est pas « un statut », ils ne sont pas « précaires » (au sens usuel du terme), même s’ils restent toujours dans l’incertain et la quête permanente (de morceaux) de travail.
Ils sont salariés, ayant effectué au moins cinq cent sept heures professionnelles, puis rétribués par l’UNEDIC, c’est-à-dire par l’assurance-chômage, pour les tâches réalisées en amont du spectacle (préparations, recherches, répétitions), le plus souvent non-rémunérées par les employeurs. Ils exercent des métiers très différents : comédiens, régisseurs du son, costumières, etc. (l’emploi du masculin et du féminin ici reflétant un usage évidemment discutable). Leurs employeurs, sont rarement adhérents au MEDEF. L’UNEDIC, organisme paritaire, qui les rétribue au même titre que tous les privés d’emploi, est cogérée par le MEDEF et la CFDT (syndicat majoritaire), qui voient mal leur « régime » et aimeraient bien le « réformer » sans y parvenir. Rarement riches, vivant toutefois peu souvent dans des quartiers populaires, ils habitent en général (assez chichement) dans des secteurs en voie de gentrification. Il y a parmi eux quelques vedettes et beaucoup de soutiers. Ce qui cimente, sinon des couches ou des catégories sociales, des communautés, ce sont aussi des capacités de mobilisation commune. Les luttes des intermittents pour conserver leur pseudo-statut, somme toute victorieuses (alors que l’assurance-chômage a été plusieurs fois mise à mal), ont pu faire du bruit, notamment en 1991, 2003 et 2014, mais elles ne sont guère le fait que d’une partie d’entre eux et surtout des salariés du théâtre public, pratiquement pas de ceux du théâtre privé, ni du cinéma, peu de la musique ; elles ont surtout touché Paris et le festival d’Avignon, pas celui de Cannes. En 2021, ils ont été très majoritairement à l’initiative de l’occupation des théâtres (non essentiels) durant la période de confinement (plus de cent théâtres occupés).
Comprendre cette diversité, cette efficacité paradoxale en conflit permanent, demande d’examiner assez finement les contradictions économiques, sociales, politiques et idéologiques. C’est ce qu’a expliqué, de façon fort convaincante et très dialectique, Serge Proust, au café-librairie Carbone à Villeurbanne le 19 décembre, en présentant son livre Les Intermittents du spectacle. 35 ans de lutte (Presses universitaires de Lyon, 2024). Quand le régime a été créé en 1969, ces intermittents étaient quelques centaines (et ne coûtaient donc pas bien cher), puis six mille au début du premier septennat de Mitterrand, quarante-cinq mille dix ans plus tard (la culture était un marqueur des gouvernements de gauche d’alors). Les spectacles publics (particulièrement les théâtres, fruit d’une longue histoire spécifiquement française initiée par le ministre gaulliste André Malraux : « la décentralisation ») ne sont pas vraiment (en tout cas pas toujours) dans le domaine marchand, contrairement à ce qui se passe en Angleterre ou aux États-Unis, les financer par un autre régime que l’intermittence coûterait parfois davantage. Ces spectacles dépendent de subventions simultanément allouées par des ministères, des administrations et des collectivités locales, de bords différents, qui en retirent (directement ou indirectement) des images politiquement utiles voire indispensables, ou qui craignent des incidents électoralement néfastes. D’où la nécessité d’un jeu subtil sur les contradictions entre les divers types de patronat, l’État, les collectivités territoriales, les syndicats (le rôle trouble de la CFDT a été maintes fois souligné), pour lequel le métier des gens de théâtre et leur connaissance du terrain (par exemple la différence entre le in et le off au festival d’Avignon) ont pu être des atouts « professionnels », au moins aussi efficaces que les traditionnelles manifestations et grèves. En d’autres termes, pour notre dossier, la défense de couches sociales dont l’apport est original et fondamental exige souvent de jouer avec les ruses de la raison, d’articuler les réflexions de nature théorique et l’analyse concrète des situations concrètes.
La commission Culture de la fédération du Rhône du PCF
Cause commune n° 42 • janvier/février 2025