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Les récents propos provocateurs de Stanislas Guérini sur la nécessité de rompre avec le « tabou du licenciement » dans la fonction publique ne sont qu'un énième avatar d'un discours libéral qui ne cesse de suggérer que les fonctionnaires sont des privilégiés qui s'abritent derrière un statut rigide et figé pour moins travailler et ne pas rendre des comptes. Ils visent à justifier une nouvelle attaque en règle contre le statut.

Ce type de discours passe sous silence une réalité : aujourd'hui les services publics, minés par les politiques libérales, ne tiennent encore que par l'engagement de leurs personnels qui répondent présents à chaque crise. Mais il ignore aussi ou feint d'ignorer les raisons pour lesquelles il existe un statut et l'intérêt de son contenu pour notre démocratie et notre avenir commun.
Rappelons donc une banalité qu'on oublie régulièrement : le statut n'est pas fait pour les fonctionnaires, il est fait pour que ceux-ci puissent assurer leur mission : prendre en charge l'intérêt général. L’idée qui le sous-tend est que, parce qu'ils ont en charge cet intérêt général et non celui d'un quelconque employeur, leur indépendance doit être assurée vis-à-vis des pressions politiques, religieuses ou économiques, voire de l’arbitraire administratif : pour la garantir, il est nécessaire de recourir à la loi, expression de la volonté générale, plutôt qu'au contrat où c'est l'accord des deux parties qui fait la règle.

Une articulation de droits et d'obligations
Le statut est donc construit sur une articulation de droits et d'obligations : des droits qui lui permettent un exercice responsable et citoyen de ses missions ; des obligations liées aux contraintes et aux principes qui régissent les services publics : la neutralité, la continuité du service public, l'adaptabilité, l'égalité de traitement... On peut donner comme exemple la distinction du grade et de l'emploi, souvent présentée comme la garantie d'un emploi à vie qu'elle n'est pas : le fonctionnaire a droit à une carrière quel que soit son emploi (et qui que soit son supérieur hiérarchique ou l'administration dont il dépend) et s'il perd son emploi, il conserve son grade qui lui permet d'obtenir un autre emploi correspondant à ce grade. La contrepartie est que le fonctionnaire doit accepter tout poste correspondant à son grade dans lequel on a besoin de lui, même si ce poste ne correspond pas à ses souhaits ou à ses contraintes personnelles comme sa résidence. Ce qui constitue une « fonction publique de carrière » représente ainsi une garantie aussi bien pour l'agent que pour les usagers qui voient ainsi assurées les conditions d'une égalité de traitement et d'une pérennité de l'action publique, pour peu bien sûr que les postes nécessaires soient créés.

L’intégrité ou le sens du service public
Et le fonctionnaire est responsable, ce qui a une double signification : il exerce sa responsabilité dans la mise en œuvre des instructions de sa hiérarchie et il doit rendre des comptes sur son action.
Ce statut qui unifie les règles régissant l'ensemble des fonctionnaires, qu'ils relèvent de l'État, des collectivités territoriales ou des hôpitaux, leur permet d'évoluer, de se comparer, leur assure des passerelles entre les divers secteurs. En ceci, il constitue bien une « fonction publique », c'est-à-dire un organe collectif dont les membres sont à même de travailler ensemble et de coopérer pour répondre aux besoins de la société. Il a permis aussi de construire des valeurs partagées comme l'intégrité ou le sens du service public qui est un des moteurs de l'action de la plupart des fonctionnaires.

« L’évolution du statut doit se faire en respectant les principes qui le régissent et surtout être débattue démocratiquement et de façon transparente car, au service de l'intérêt général, son devenir concerne toute notre société. »

Sur ces bases les agents ont très souvent bâti avec leurs organisations syndicales des modalités de gestion – des barèmes par exemple – qui ne sont pas prévues expressément par la loi mais qui correspondent à son esprit et à ses finalités, permettant la transparence et la comparabilité entre les situations et donc l'égalité de traitement et la solidarité entre agents.

Adaptabilité et solidité du statut
Le statut a souvent été modifié au cours des ans. Toutes ces modifications n'ont pas été des régressions mais même les régressions, pourtant multiples, n'ont pas jusqu’à récemment atteint ses bases : il a montré à la fois son adaptabilité et sa solidité. Cependant s’est développée une logique managériale, inspirée de l'entreprise privée, qui tout en affirmant le maintien des principes du statut, les a rognés en substituant la simple addition de la performance individuelle et la concurrence entre agents à l'efficacité collective que permet l'existence d'une fonction publique fondée sur le principe de carrière. Une logique qui repose à la fois sur le développement de la contractualisation et sur une gestion à la performance qui casse les solidarités et les droits collectifs pour mieux favoriser l'arbitraire de la hiérarchie.

« Le fonctionnaire a droit à une carrière quel que soit son emploi (et qui que soit son supérieur hiérarchique ou l'administration
dont il dépend) et s'il perd son emploi il conserve son grade. »

Or c'est ignorer qu'à la différence des entreprises l'action publique, chargée de l'intérêt général est multifactorielle : la précarité et la concurrence peuvent difficilement être gages d’efficacité dans des services publics qui, confrontés à des défis et des enjeux de plus en plus complexes, ont besoin de personnels stables, ayant la capacité de travailler ensemble sur la durée et d’assurer la pérennité de cette action.
Lorsqu'on regarde les besoins de la société et de notre avenir commun, besoin de cohésion sociale, de lutte contre les inégalités, besoins d'éducation et de formation, besoins de protection et de gestion de biens communs, défis du numérique ou de la transition écologique…, on peut aisément comprendre que leur prise en charge nécessite des formes de gestion collectives, solidaires et démocratiques qui passent par des services publics et des agents bénéficiant de cet ensemble de droits et d'obligations qu'articule le statut. Sans compter le fait que le statut peut constituer une référence sociale pour l'ensemble des salariés. Non pour transposer à tous le statut des fonctionnaires car il répond aux besoins spécifiques du service public, mais plutôt pour travailler à une convergence, notamment en matière de hiérarchie des normes et de protection, respectant les spécificités de chaque secteur mais permettant des droits analogues.
Cela ne signifie pas que le statut doive rester figé : c'est une construction qui doit vivre. Mais son évolution doit se faire en respectant les principes qui le régissent et surtout être débattue démocratiquement et de façon transparente car, au service de l'intérêt général, son devenir concerne toute notre société.  

Gérard Aschieri est syndicaliste. Il a été secrétaire général de la FSU de 2001 à 2010.

Cause commune n° 39 • juin/juillet/août 2024