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97 % du territoire maritime français se situe en outre-mer. Pourtant, les populations concernées sont trop peu associées à la gestion des enjeux stratégiques majeurs liés à la question des mers et des océans.

Le statut juridique des mers depuis l’adoption de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en 1982 a permis de préciser les conditions de l’espace marin et de ses utilisations, y compris la navigation et le survol, l’exploration et l’exploitation des ressources, la conservation des ressources biologiques, la protection et la préservation du milieu marin et la recherche scientifique marine. Les États côtiers jouissent alors : d’une souveraineté sur leur mer territoriale qui s’étend jusqu’à vingt-deux kilomètres du littoral ; d’une zone économique exclusive de droits souverains sur les ressources naturelles et sur certaines activités économiques sur plus de trois cent soixante-dix kilomètres ; d’une capacité de juridiction sur les ressources sous-marines du territoire pour explorer et exploiter les ressources naturelles. Certes, la zone de souveraineté paraît peu étendue, mais il importe de la mettre en relation avec l’ensemble du territoire maritime français dont 97 % se situe en outre-mer. C’est dire l’importance des territoires d’outre-mer dans ces enjeux stratégiques. Pourtant, à ce jour, les retombées ne sont pas palpables.

Exploitation, gestion et valorisation des mers et océans en outre-mer
Non seulement les mers et les océans procurent des ressources naturelles essentielles pour les êtres humains mais ils servent aussi au commerce, au transport, à l’aventure et à la découverte. Les océans ont pendant longtemps séparé les peuples mais aussi contribué à leur rapprochement. La ressource est existante, diversifiée ; reste à encadrer de manière prospective son utilisation, en mettant à plat les enjeux.
Il faut ainsi admettre qu’il est possible de contribuer à la fois au développement économique des territoires mais aussi d’exploiter les ressources en responsabilité. Ce dilemme se retrouve aussi bienau sein de la parole publique locale que sous le spectre des associations locales de défense de l’environnement ou de défense des droits des peuples autochtones. Il y a un rejet systématique de l’exploitation de certaines ressources, souvent pour préserver l’environnement comme en témoigne le projet d’exploitation aurifère de la Montagne d’or en Guyane.

« Nous devons plaider pour une diplomatie des mers et océans copilotée et cogérée, basée sur nos territoires pour défendre les intérêts par bassin et développer les intérêts économiques avec les autres pays. »

Or, il est impossible de parler d’autonomie, d’évolution statutaire, sans réfléchir aux moyens d’avoir des ressources fiscales propres passant par l’exploitation des ressources. La branche du nickel rapporte ainsi à la Nouvelle-Calédonie 43 milliards de francs pacifiques soit 360 millions d’euros en valeur ajoutée directe. De même, comment se positionner vis-à-vis de la filière des énergies marines, à l’heure de la transition énergétique accélérée ? Nous sommes des territoires au sein desquels il faudra associer les deux : être attaché à l’écologie et soucieux du développement économique n’est pas incompatible.
Quand on réclame plus de moyens à l’État, certains esprits chagrins nous invitent à prendre notre indépendance. Mais à regarder de plus près la répartition des fonds générés par l’exploitation des ressources, nos territoires ne sont pas avantagés, voire sont déficitaires sur tous les plans. Alors que nos richesses sur les mers et les océans sont indéniables, nous sommes les territoires les plus pauvres de la France. C’est donc bien la question de la redistribution des richesses qui est essentielle pour notre avenir. Dès lors, dans l’attente des évolutions statutaires, la problématique est premièrement politique.

Adapter la législation et consulter
Comment des territoires qui font de la France le deuxième espace maritime mondial, peuvent-ils ne pas être consultés lorsque le ministre, M. Berville, se déplace à l’ONU dans le cadre de la conférence intergouvernementale pour protéger la haute mer ? Il faut faire en sorte qu’aucune législation nationale ne soit adoptée sans consultation des élus des collectivités d’outre-mer, sans consultation des populations locales, et entraînant une mainmise totale ou partielle sur l’exploitation de ses ressources naturelles et bloquant toute perspective d’évolution des fiscalités locales.

« Il est impossible de parler d’autonomie, d’évolution statutaire, sans réfléchir aux moyens d’avoir des ressources fiscales propres passant par l’exploitation des ressources. »

Ainsi, a-t-on consulté les collectivités d’outre-mer en amont de la loi Hulot du 30 décembre 2017 qui a mis fin à la délivrance de titres de recherche et d’exploitation dans le domaine public maritime, dans le fond de la mer et dans le sous-sol de la zone économique exclusive et du plateau continental ? La Guyane était concernée par un projet de forage pétrolier au large des côtes par Total. Prenons également l’exemple de Mayotte, qui serait directement concerné par cet enjeu avec la possible présence de pétrole et de gaz dans le canal de Mozambique et entre l’île du lagon et Madagascar. Le risque est grand de laisser Mayotte à la traîne en raison de cette loi qui n’a pas laissé place à l’exception. Le problème se pose aussi pour la Martinique qui est concernée par la présence de gaz au large des côtes de La Trinité.
De même, l’État se désengage de la gestion des ports. Profitant de cette situation, les investisseurs privés souhaitent reprendre la main notamment sur le port maritime de la Martinique. Or, la construction d’une grande plateforme de transbordement à la Jamaïque implique un développement accéléré de nos infrastructures. Quelle stratégie devons-nous adopter ? Existe-il une vision globale et une vision par bassin ? Sans cohérence de développement, nous nous retrouverons avec des infrastructures sous ou surdimensionnées. La consultation renforcée doit être la règle et non l’exception.

Coopérer et cogérer
L’extension des champs de la coopération régionale permettrait de rendre cohérente certaines législations, notamment celle relative à valoriser au mieux les productions locales de la pêche et de l’aquaculture. Nous sommes plus près de nos voisins sud-américains que de l’Europe. L’avenir est celui des échanges commerciaux par bassin. La Réunion en souffre particulièrement. Le territoire souhaite ainsi échanger commercialement avec les États voisins mais ces échanges sont limités.
Il faut des moyens financiers mais surtout il importe de développer les outils juridiques permettant de cofinancer les actions et différents programmes comme pour le projet expérimental de la Guadeloupe avec Sarg’coop qui sera riche en enseignement.
Au regard des enjeux actuels et futurs il nous faut des ambassadeurs régionaux et internationaux, en mesure de défendre nos intérêts ainsi que nos ressources. Nous devons plaider pour une diplomatie des mers et océans copilotée et cogérée, basée sur nos territoires pour défendre les intérêts par bassin et développer les intérêts économiques avec les autres pays.

Jiovanny William est député (Péyi-A) de la Martinique

Cause commune n° 34 • mai/juin 2023