Ces dernières années, l’île de Mayotte a plusieurs fois occupé l’actualité hexagonale. Pénurie d’eau, violences endémiques, tensions communautaires, situation sanitaire préoccupante, échec scolaire… Tous les éléments sont présents pour faire de l’île comorienne une poudrière.
L’île de Mayotte, dans l’archipel des Comores, se trouve à près de 8 000 km de la France, entre le Mozambique et Madagascar. L’île est administrée par le gouvernement français qui la considère comme son 101e département. Pourtant, Mayotte cumule les mauvais records et un contentieux persiste sur son appartenance. On peut donc se demander pourquoi la France s’obstine à conserver ce vestige de son empire colonial.
Les derniers de la République
Mayotte, si on la considère comme un département français, se classe à la dernière place dans bien des domaines. On y trouve le produit intérieur brut par habitant le plus faible du pays, avec seulement 9 241 euros en 2018 contre 22 359 pour la Réunion et 38 900 pour la Seine-Saint-Denis.
Selon l’INSEE, la moitié de la population de Mayotte a un niveau inférieur à 3 140 euros par an et 80 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage y est de 27 % en 2017. Pourtant, les minima sociaux ne sont toujours pas alignés sur ceux de la France. En 2021, le RSA y est de 282 euros pour une personne seule contre 565 euros en France métropolitaine. De même le salaire minimum n’est qu’à 7,74 euros brut de l’heure contre 10,25 au niveau national. Difficile donc de sortir de la précarité, d’autant que tous les produits sont plus chers sur l’île dans la mesure où ils sont importés. Le gouvernement ne prévoit pourtant le rattrapage que pour… 2030. L’île détient aussi le plus faible taux de réussite au baccalauréat : 71,49 % en 2019 contre 88,1 % au niveau national. C’est donc le territoire français le moins diplômé avec 68,5 % des habitants peu ou pas diplômés contre 28,4 % au niveau national.
« Mayotte rappelle le passé colonial et les relents néocoloniaux de la France. »
Sur le plan sanitaire, là encore, la situation est unique. Des maladies disparues en France, comme la lèpre ou la tuberculose, circulent toujours sur l’île. Le nombre de médecins est insuffisant, on en dénombre que 79,9 pour 100 000 habitants à Mayotte contre 237,7 en Lozère et 399,2 dans les Hauts-de-Seine. L’hôpital et les dispensaires sont saturés, d’autant que Mayotte affiche des records de naissance. Difficile donc de trouver un lit ou même d’avoir un rendez-vous médical.
Revendications comoriennes
La présence française dans l’océan Indien est contestée. L’île de Tromelin est revendiquée par l’île Maurice, alors que les îles Éparses (Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India et Europa) sont, elles, revendiquées par Madagascar. Ces îles sont inhabitées mais, pour Mayotte, le cas est bien particulier.
Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande Comore étaient les quatre îles de la colonie des Comores. Elles partagent la même langue, la même religion, la même culture. La France ne décide de décoloniser le territoire qu’au début des années 1970. C’est en décembre 1974 qu’une consultation est organisée par la puissance coloniale sur les quatre îles qui composent cet archipel. Le résultat est sans appel : 94,88 % des suffrages exprimés sont favorables à l’indépendance. Mais si on regarde au cas par cas, île par île, seuls 34,53 % des suffrages exprimés à Mayotte sont en faveur de l’indépendance. La France, qui souhaite conserver des possessions dans l’océan Indien, a tout fait pour arriver à ce résultat, notamment en laissant agir les « chatouilleuses » et les « bastonneurs ». Les premières empêchent les militants indépendantistes de s’exprimer en les chatouillant. Les seconds, plus violents, agressent physiquement les militants et les expulsent de l’île. En l’absence de débats démocratiques sur une île au fonctionnement tribal et où un grand nombre des habitants sont illettrés, il fut donc facile d’influencer les 16 109 électeurs.
« La région recèle de nombreuses ressources, tant halieutiques qu’énergétiques. »
L’ONU met alors en garde la France sur la nécessité de respecter l’intégrité du territoire comorien, comme cela se fait pour les autres colonies qui accèdent à l’indépendance. Mais la puissance coloniale s’obstine et organise une nouvelle consultation, uniquement à Mayotte, en janvier 1976. L’Union des Comores a déjà proclamé son indépendance, le 6 juillet 1975, sur la base des résultats de la consultation et en revendiquant les quatre îles de l’archipel. Elle ne reconnaît donc pas le référendum de 1976, à l’instar de l’ONU. La France est alors condamnée par plus de vingt résolutions différentes pour son annexion de l’île de Mayotte. C’est d’ailleurs au sujet de Mayotte que la France utilise seule, pour l’unique fois de son histoire, son droit de veto au conseil de sécurité, en 1976 justement. Depuis, l’Union des Comores, appuyée par la Ligue arabe et l’Union africaine, n’a de cesse de réclamer la souveraineté sur Mayotte ; la France, quant à elle, fait la sourde oreille.
Quel intérêt pour la France ?
Face à l’important retard de développement de Mayotte et aux revendications de l’Union des Comores, on peut s’interroger sur la pertinence de conserver le territoire. De plus, l’île est en proie aux violences, en particulier intercommunautaires. Les Mahorais accusent les migrants des autres îles de l’archipel d’être responsables de tous les maux de l’île. Des « collectifs citoyens », ouvertement xénophobes, font pression sur les pouvoirs publics pour augmenter le nombre d’expulsions de migrants dits « clandestins ». Dans le même temps, des milices s’organisent, faisant justice elles-mêmes ou se livrant à des « décasages ». Cette pratique consiste à expulser de force, et en pleine nuit, une famille considérée comme « illégale » de son logement et de détruire celui-ci. Pas étonnant donc que les résultats aux élections du parti d’extrême droite (FN puis RN) soient en progression et parmi les plus élevés de France : 27,3 % au premier tour en 2017.
« Mayotte, au cœur du canal du Mozambique, occupe une position privilégiée. »
Pourtant, l’île a bien des atouts. Elle se trouve sur une route stratégique, indispensable au commerce mondial. Mayotte, au cœur du canal du Mozambique, occupe donc une position privilégiée. Elle abrite d’ailleurs un régiment de la légion étrangère et peut accueillir navires et avions de guerre si besoin. La France a aussi installé un centre d’écoute qui lui permet de surveiller l’ensemble de l’océan Indien et une bonne partie du continent africain. La région recèle aussi de nombreuses ressources, tant halieutiques qu’énergétiques. D’importants gisements gaziers y ont été découverts ces dernières années. Avec les îles Éparses, Mayotte permet à la France de contrôler l’intégralité du canal du Mozambique et de s’affirmer comme une puissance maritime incontournable au niveau planétaire avec, rappelons-le, la deuxième plus grande zone économique exclusive au monde. Vu la faiblesse des investissements français à Mayotte, cette position se paie à un moindre coût et la sixième puissance militaire au monde ne semble pas prête à rétrocéder le territoire. Pas dans son intégralité en tout cas. La concentration des infrastructures et des activités sur Petite-Terre, qui est pourtant bien moins peuplée que Grande-Terre, a en effet de quoi interroger. Le gouvernement comorien serait probablement disposé à accepter une rétrocession partielle lui permettant de s’afficher victorieux et ménageant les intérêts français. Ainsi, un terrain d’entente pourrait être trouvé et permettrait à la France de montrer qu’elle respecte le droit international.
« L’Union des Comores, appuyée par la Ligue arabe et l’Union africaine, n’a de cesse de réclamer la souveraineté sur Mayotte ; la France, quant à elle, fait la sourde oreille. »
Mayotte semble être un caillou dans la chaussure de la France avec son retard économique et ses tensions sociales. Elle rappelle le passé colonial et les relents néocoloniaux de la France. Celle-ci ne peut faire la leçon à la Russie au sujet de la Crimée ou à la Turquie au sujet de Chypre, alors qu’elle-même administre illégalement ce territoire de l’océan Indien. La rétrocession – même partielle – semble, à terme, inévitable et on peut s’interroger sur les modalités de celle-ci mais aussi sur les mouvements de population qu’elle risque d’engendrer.
Damien Gautreau est professeur d’histoire-géographie.
Cause commune n° 24 • juillet/août 2021