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Louise arborait son prénom comme un étendard. Avec fierté et détermination.

Du plus loin que lui remontent ses souvenirs, elle avait toujours vécu à deux pas du métro Louise-Michel. À l’époque pré-balkanyenne, où les ouvriers étaient tolérés à Levallois-Perret.

Son père se rendait chaque matin quai Michelet, pour trimer chez Citroën. Militant syndical, son principal ennemi était la CSL, le syndicat-maison bien fourni en anciens collabos, en militants d’extrême droite et en gros bras du SAC. Sa mère était vendeuse aux magasins du Printemps. C’était pratique, pas de changement de ligne et, selon son humeur, elle descendait à Saint-Lazare ou à Havre-Caumartin.

Louise n’était pas de ces enfants de militants qui avaient tourné le dos aux idéaux familiaux. Libre, féministe, anarcho-syndicaliste, communarde, elle était de tous les combats, même les plus humbles. Elle avait autant de compassion et d’indulgence pour les gens modestes qui trahissaient leur propre cause, qu’elle avait de haine contre les nantis, les bourgeois, les ploutocrates. Balkany, qui l’avait sur le dos à toutes les occasions, la surnommait « la vierge rouge ». Dans sa bouche, cela sonnait comme une insulte suprême, aux oreilles de Louise c’était du miel. Tel qu’en fabriquent les abeilles ouvrières. Des ouvrières qui, comme elle, contribuaient au bien commun.

De toutes ses années de lutte, elle en avait bavé, appris à gagner, à perdre, à regagner, compris qu’après avoir vaincu un sommet d’autres montagnes restaient à gravir.

Maintenant que ses yeux clairs s’entouraient de rides, elle n’avait plus le temps. Il lui fallait des résultats. Et vite.

Banlieusarde, mais très attachée à la capitale, elle s’amusait à faire visiter les côtés sombres de la Ville Lumière. Les quais de la Seine d’où les Algériens de Nanterre avaient été jetés ; le métro Charonne où les flics avaient chargé : des morts dont le jeune Daniel Féry ; les Tuileries dont les belles pierres furent ramenées des campagnes meurtrières de Napoléon ; la place de la Concorde où Louis XVI a été raccourci ; l’immeuble de la rue Marie-Rose où vécut Lénine ; les grands boulevards décidés par Haussmann pour élargir les rues afin de mieux mater les foules ; la place de la Bastille sans sa célèbre prison ; et bien sûr tout ce qui se rapportait à la Commune.

Le Sacré-Cœur était le monument de Paris le plus détesté de l’héritière philosophique de Louise Michel, la communarde. Notre Louise ne ratait jamais l’occasion de rappeler le discours de la pose de sa première pierre : « C’est là que la Commune a commencé, là où ont été assassinés des généraux que s’élèvera l’église du Sacré-Cœur ! Nous nous rappelons cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer. » Le Sacré-Cœur comme expiation des crimes de la Commune…

Notre Louise nous obligeait à constater que les ennemis des idéaux de la Commune étaient toujours à pied d’œuvre. La classe dirigeante et les possédants mouraient de trouille que les petits, les sans-grades, les exploités et ceux qui voudraient bien l’être décident que leur fête était finie. Il fallait les voir trembler devant les gilets jaunes. Il fallait voir leurs rassemblements d’un autre temps contre le mariage pour tous ou l’avortement, pour la peine de mort. Il fallait entendre et lire leurs porte-parole médiatiques encenser le chacun pour soi, monter les pauvres contre les encore plus pauvres, les exclus de la consommation contre les exclus tout court ! Louise en avait marre. Simplement marre.

Alors, pour ce lundi 8 mars 2021, elle avait préparé un happening de derrière les fagots. À sa façon, quoi.

Premier étage de la fusée : organiser un flash mob.

Durant de longs mois de préparation, elle avait discrètement contacté quelques personnalités « en vue ». Du gratin réactionnaire à souhait. Discrétion et clandestinité étaient les maîtres-mots qui firent basculer leur réponse dans la colonne des « oui ».

Pour ce faire, elle avait usé des méthodes mafieuses, claniques et conspirationnistes : l’ami d’un ami, le cousin de campagne, l’ancienne maîtresse, l’attachée de presse bernée par les promesses d’un retentissement médiatique, un crétin prétendument journaliste d’une chaîne d’info en continu, des annonces sibyllines dans la presse bien-pensante et même – à la guerre idéologique comme à la guerre idéologique ! – la menace de dévoiler quelques mœurs inavouables. Pour sa part, elle se foutait bien de ce que chacun faisait de ses fesses et avec qui, mais ce beau linge-là, prompt à donner des leçons de morale, frissonnait à l’idée que le grand public ait vent de leurs turpitudes. Dis-moi avec qui tu couches et comment, je te dirai qui tu es.

Ainsi, les Zemmour, Boutin, Balkany, Pinault, Arnault, Bolloré, la fille Bettencourt, Le Pen, et même Onfray pour la caution « intellectuelle » étaient persuadés participer à une contre commémoration du cent-cinquantième anniversaire de la Commune. Un flash mob. Les uns contre l’égalité hommes/femmes et toutes ces conneries LGBT, d’autres pour le droit d’exploiter son prochain sans retenue, certains pour maintenir le peuple loin de l’éducation et de la culture, au cas où cela l’aiderait à comprendre les dysfonctionnements du monde, puis aussi pour lutter contre le grand remplacement que nous préparait l’immigration massive, et aussi contre le principe de participation des gens aux décisions, et encore pour la privatisation des services publics à commencer par la santé, enfin contre l’assistanat qu’était le système de Sécurité sociale, d’allocations chômage, vieillesse, familiale, logement…

Toutes ces belles personnes étaient sûres que leurs combats permettraient de lutter contre une valorisation – à leurs yeux, outrancière et démagogique – des quelques semaines d’expérience de la Commune de Paris. Contre le communisme, quoi. Elles avaient su garder le silence que tout complot exige. Elles se sentaient fortes, courageuses, investies. À la limite de la Résistance.

Second étage de la fusée : organiser un second flash mob.

Organiser un flash mob est assez simple en vérité. Il lui fallut bien moins de temps pour s’assurer la participation de milliers de citoyens que pour convaincre une dizaine de richards.

Chacun savait où était le rendez-vous, à quelle heure et de quoi se munir. C’est le principe : personne ne se connaît, cela se déroule dans un lieu public, on y effectue une action convenue préalablement, cela dure très peu de temps, chacun repart une fois les vidéos tournées et le message clairement énoncé.

Les internautes avaient rendez-vous pour montrer que les valeurs de la Commune de Paris avaient encore du soutien. Une seule condition : être femme.

Le jour J, les personnalités se retrouvèrent sur l’esplanade du Sacré-Cœur, lieu le plus symbolique des anticommunards. Elles croyaient participer à une conférence de presse où les journalistes ne seraient prévenus qu’au dernier moment. Méthode corse.

Comme demandé elles se promenaient, l’air de rien, dans les environs de la basilique et d’y pénétrer à 14 heures pile, heure du flash mob/conférence de presse. Habitués à se croiser dans les salons, certains se reconnurent mais jouaient le jeu de l’anonymat, rendu assez facile par l’affluence dans les rues adjacentes, sur les escaliers de la butte. Ainsi, les gens baguenaudaient, l’air aussi badaud qu’eux, un jour de semaine, tous portant un masque et respectant autant que faire se peut les gestes barrières.

Le jour J, les internautes mobilisées déambulaient. Pourtant quelque chose dans l’air, dans les regards, disait une complicité palpable. Certains crurent reconnaître Zemmour ou Le Pen sous leurs masques FFP2. Pensées fugaces vu le mot d’ordre du rassemblement, il serait étonnant qu’ils y participent.

À l’heure H, soit 14 heures, au moment où quelques notables mirent le pied dans la nef du Sacré-Cœur, des milliers de femmes hurlèrent leurs slogans, d’autres sortirent des bombes de peinture pour les taguer de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sur les murs prétentieux de cette saloperie de basilique.

Les personnalités se blottirent, tel un troupeau effrayé, entouré de dizaines d’internautes leur balançant de la peinture en veux-tu en voilà.

La vidéo fit un tabac sur les réseaux. Y compris sur les médias nationaux.

La manifestation était signée Louise Michel, accompagnée de cette courte phrase : « Simple, forte, aimant l’art et l’idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »

Cause commune n° 23 • mai/juin 2021