Par

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Un jour de printemps,

le poète exprime ses sentiments

Si la vie est comme un grand songe,

à quoi bon tourmenter son existence !

Pour moi je m’enivre tout le jour,

Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied

  des premières colonnes.

Au réveil je contemple le jardin devant moi ;

Un oiseau chante au milieu des fleurs ;

Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes,

Il me répond : Celle où le souffle du printemps fait  

  chanter le loriot.

Je me sens ému et prêt à soupirer,

Mais je me verse encore à boire ;

Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,

Et à l’heure où finissent mes chants, je suis serein.

 

Nuit de lune sur le fleuve

Doucement la brise sur le fleuve se lève,

Tristement les arbres près du lac frissonnent.

Je monte sur la proue par la belle nuit calme.

On étale les nattes et la barque légère s’élance.

La lune suit la fuite des monts sombres,

L’eau s’écoule avec le ciel bleu,

Aussi profond qu’inversement le Fleuve céleste.

Rien n’est visible, sinon l’ombre mêlée de l’arbre

   et du nuage.

La route du retour est longue, longue ;

L’immensité du fleuve est triste, triste.

Je suis seul, les fleurs d’orchidée s’effacent,

Le chant du pêcheur rappelle ma tristesse.

Le détour escarpé dérobe le rivage en arrière,

Le sable clair signale un écueil par devant.

Je pense à vous, Seigneur, que ma vue n’atteint plus

Et le regard perdu au loin, médite mon regret.


Li Bai (701-762) est sans doute, avec son successeur Du Fu, le poète le plus éclatant de la dynastie des Tang (618-907), période où la Chine connut un épanouissement culturel et poétique exceptionnel, regardée depuis lors comme l’âge d’or de la culture chinoise classique. Si les circonstances de la vie du poète sont relativement bien connues, une foule de légendes l’entoure pourtant : il aurait, par la seule puissance de ses mots, mis en fuite toute une armée de « barbares » venus envahir la Chine. On raconte également quantité d’histoires sur son ivresse proverbiale que l’empereur lui-même tolérait, par égard pour le génie du poète. Notamment une, sur sa mort : un jour qu’il était, de nuit, sur un bateau, ivre, il se pencha sur la rivière pour essayer de saisir dans ses mains le reflet de la lune et se noya. Ces histoires, ces contes qui entourent le poète contribuent à faire de son personnage l’archétype chinois du poète génial aux sens déréglés, inspiré par le vin, volontairement en dehors de toute étiquette ou hiérarchie sociale. Cet « Immortel banni buvant seul sous la lune », comme il est en Chine surnommé, est devenu l’incarnation d’un détachement vis-à-vis de l’État et de la politique, d’un certain mode de vie « anarchisant », faute d’un autre mot, idéal de la pensée taoïste, d’autant plus caractéristique d’une période où les lettrés s’estimaient souvent frustrés par les carrières mandarinales et le jeu des faveurs de la cour.

Victor Blanc

Cause commune24 • juillet/août 2021